Danny Manning incarne à lui seul la malédiction frappant les first picks des Clippers (à l’exception de Blake Griffin…). Avec Kansas, « Mister D. » laissa une empreinte indélébile dans l’histoire du basket universitaire américain. La NBA promettait le meilleur à ce « point forward » éblouissant. Ses genoux en décidèrent autrement…
Pourquoi Danny Manning fait-il la gueule ? N’est-il pas, quatre ans après, complètement remis de son problème au genou (une rupture du ligament antérieur en janvier 1989, durant son année rookie, aurait pu mettre un terme à sa carrière pro après seulement 26 matches) ? Ne figure-t-il pas parmi les meilleurs marqueurs NBA avec 22 points par match, sa meilleure moyenne ? Et son équipe, les Los Angeles Clippers, n’est-elle pas enfin respectable dans la division Pacific, celle qui tue, dans la tradition des meilleurs westerns ? C’est quoi le problème, Danny ?
« Je veux divorcer. Larry Brown et moi avons été ensemble trop longtemps », explique Manning en ce début d’année 1993.
Sympathiques, les vœux ! Un peu plus tard, il se corrige :
« Mes paroles ont peut-être un peu dépassé mes pensées. Je suis sûr que le coach a autant envie de gagner que moi. »
31 pts et 18 rbds en finale universitaire !
Ouais, on veut bien mais il y a quand même un souci. Pour comprendre Daniel Ricardo Manning, il faut aussi connaître Lawrence Harvey Brown. Manning a 26 ans. II est Noir et mesure 2,08 m (pour 100 kg). Né dans le Mississippi, il a été élevé à la manière du Sud. D’où une personnalité très tranquille. Brown a 52 ans. Il est Blanc et ne mesure que 1,75 m. Né et élevé à New York, il est un véritable personnage urbain. Quelque part, Brown a besoin de se créer des soucis pour être heureux. Ces deux-là forment bizarrement l’une des paires les plus fameuses de NBA. C’est un vieux couple, un vrai. Ils sont ensemble depuis 1984. A l’université de Kansas, Brown embaucha Ed Manning, le père, comme assistant. Histoire de récupérer le fils, dirent les mauvaises langues… Papa Manning avait tout de même joué six ans en NBA. A partir de ce moment, Brown et Danny atteignirent les sommets, même si ce ne fut pas toujours dans la plus parfaite harmonie.
Manning, deux fois All American, totalise 2 951 points, capte 1 187 rebonds et bat toutes sortes de records dans la Big Eight Conference et la NCAA en général. Avec les Jayhawks, Brown et Manning remportent 113 matches en quatre ans, achevant le show par l’obtention du titre universitaire 1988. Kansas s’offre le grand favori Oklahoma 83-79. Ce soir-là, Danny donne des frissons à toute l’Amérique. Il marque 31 points, prend 18 rebonds, adresse 5 passes décisives et réussit 2 contres. Une performance historique qui l’installe dans la légende du basket universitaire et fait de lui le futur numéro 1 de la draft. Les distinctions pleuvent, à commencer par le titre de Most Outstanding Player du Final Four NCAA. Cette équipe de Kansas qui avait abordé le tournoi universitaire avec 21 victoires pour 11 défaites (plus gros total pour un futur champion) est rebaptisée « Danny and the Miracles ». Manning nage en plein bonheur. Même s’il connaît, durant l’été 1988, une grosse désillusion avec la sélection américaine, médaillée de bronze aux Jeux Olympiques de Séoul. En demi-finales contre l’Union Soviétique, le membre de la confrérie Kappa Alpha Psi ne réussit pas le moindre point…
« Ce fut l’une des plus grosses déceptions de ma vie… »
Victoire des Russes 82-76 sur un Team USA emmené par David Robinson, Mitch Richmond, Stacey Augmon, Hersey Hawkins et Dan Majerle (qui termine meilleur marqueur US). Lorsque Manning fait le grand saut en NBA, choisi par les Clippers en première position de la draft 1988, Larry Brown rejoint lui aussi les pros. Le « Professeur » signe en faveur des San Antonio Spurs. Les destins de ces deux-là semblent liés. « Mister D. » connaît l’enfer durant sa saison rookie. Un soir pluvieux de janvier, son genou pète en contre-attaque. Le début d’un calvaire qui prend véritablement fin quand les deux complices sont à nouveau réunis, le 6 février 1992. Coach Brown, viré des Spurs pour cause de désaccord avec le proprio, remplace Mike Schuler à la tête des Clippers.
Larry Brown et Danny Manning se retrouvent aux Clippers
Les retrouvailles sont chaudes… Brown emporte dans ses bagages son attaque en mouvement, sa réputation de winner mais également sa faculté à contrarier les fortes personnalités. Avec lui, les fortes têtes désenflent ! Les joueurs apprécient son charisme mais comme partout, des relations se fanent. Brown avait tendance à secouer Manning en particulier dès le college, décelant le potentiel exceptionnel de « Danny Boy ». En arrivant à Los Angeles, il ne change pas de comportement. Il s’agit aussi d’éviter d’afficher un quelconque favoritisme. En janvier 1993, Manning explose en fin de match. La discussion entre les deux hommes se poursuit dans le hall de l’hôtel. Brown reproche à Danny son manque d’engagement aux rebonds et une mauvaise sélection de shoots. En colère, Danny demande aussitôt à être transféré. Même s’il changera d’avis un peu plus tard, le mal est fait. En ce début d’année 1993, tout laisse à penser que Manning fera ses adieux aux Clippers à l’issue de la saison suivante.
« Je ne vois pas bien ce que je pourrais faire », confie Manning en décembre. « Pour franchir un palier supplémentaire, l’équipe a besoin de changement. Il est évident qu’il nous faut un vrai pivot par exemple. »
En vérité, les relations avec Larry Brown ne sont que l’un des griefs de Manning vis-à-vis des Clippers. Pendant des années, ils ont été la risée de la ville. Notamment à cause du comportement du propriétaire, le milliardaire Donald T. Sterling. Avant la saison 1991-92, les Clippers n’avaient pas participé aux playoffs depuis 16 ans. Un bail. Le GM, Elgin Baylor – le Michael Jordan des Lakers dans les années 60 -, prend ses responsabilités et ça commence à payer. Mais tout n’est pas parfait.
« C’est frustrant de savoir qu’on a de gros moyens et qu’on continue de mal les exploiter », constate Manning.
Danny promet de faire des efforts. De même que Larry Brown jure de changer ses méthodes. Avec le coach et le franchise player des Clippers, la NBA tient son feuilleton vedette.
« Quoi qu’il arrive entre Danny et moi, je serai toujours plein de respect pour lui », assure le premier. « C’est le meilleur joueur que j’aie jamais eu sous la main. Je suis juste déçu par ses velléités de départ… »
Premier Clipper All-Star depuis 1986
En réalité, il est peu probable que Manning soit transféré. Quelle équipe concluerait un échange pour le récupérer alors qu’elle peut le faire signer sans contrepartie durant l’été 1994 ? Comme la saison précédente, le n°5 est le meilleur marqueur et contreur de l’équipe californienne. Il est évident qu’une franchise NBA cassera bientôt sa tirelire pour s’offrir la finesse du natif d’Hattiesburg (Mississippi). Un grand ailier, archi-polyvalent, altruiste, capable de jouer indifféremment intérieur et extérieur et possédant un Q.I. basket largement au-dessus de la moyenne. Le rêve de tout coach. Quoi qu’il advienne, Danny mènera sa petite vie tranquille. Marié à Julie, il est le père d’une petite Taylor Elisabeth (il fallait y penser !). Il passe son temps à s’occuper d’œuvres de charité – il a notamment offert 500 repas aux sans-abris de Los Angeles le soir de Noël – et d’associations de lutte contre la drogue et l’alcool. Le basket reste quand même la grande passion de « Mister D. »
« Ma grave blessure au genou m’a ouvert les yeux. Pendant 21 ans, j’avais été capable de courir, de sauter, de danser. D’un seul coup, j’avais besoin de l’aide de ma femme pour sortir de mon lit, monter les escaliers ou m’asseoir dans une voiture. Je suis quelqu’un d’assez indépendant et cette période m’a déprimé. Je me renfermais sur moi-même. Aujourd’hui, je savoure les plaisirs simples. »
Comme celui d’être invité pour le All-Star Game. Manning fête sa première sélection en 1993 à Salt Lake City. C’est le premier Clipper retenu depuis Marques Johnson en 1986. Il sera aussi du voyage en 1994 à Minneapolis avec les meilleures stats de sa carrière : 23.7 points assortis de 7 rebonds et 4.2 passes par match. Battus 3-2 par le Jazz au premier tour des playoffs 1992 (22.6 pts sur la série pour le n°5), les Clippers subiront la même punition le printemps suivant face aux Rockets. Les renforts réclamés par « Mister D. » n’arrivent pas. Larry Brown s’en est allé à Indiana. Il n’y a clairement plus rien à tirer du roster californien, articulé autour de Danny Manning, Ron Harper, Loy Vaught, Mark Jackson, Elmore Spencer et autres Gary Grant. Aussi, la franchise californienne tente une manœuvre désespérée le 24 février 1994.
Transféré contre Dominique Wilkins
Pour récupérer la dunking machine Dominique Wilkins, elle lâche son ex-premier tour de draft. Manning, meilleur marqueur de l’histoire des Clippers avec 7 120 points, devient un Hawk. Très proviroisement (26 matches). Arrivé au terme de son contrat, il se retrouve sur le marché. En septembre 1994, il s’engage pour 1 an et 1 million de dollars chez les Suns, en espérant relancer sa carrière, mais il est à nouveau trahi par son genou. Les deux, même. Il doit passer sur le billard à deux reprises et loupe un total de 85 matches en deux ans. Sa carrière professionnelle vacille après deux opérations très lourdes de chirurgie reconstructrice (Amaré Stoudemire et Kenyon Martin, passés par là eux aussi, savent ce qu’il en est).
Une seconde jeunesse aux Suns
Mais « Mister D. », qui a paraphé un nouveau deal de 6 ans et 40 M$ en octobre 1995 et qui réapparaît sur les parquets en février 1996, s’accroche. Charles Barkley parti à Houston, Phoenix repart de zéro ou presque, avec le seul Kevin Johnson comme taulier. Manning se rappelle au bon souvenir de la Ligue en sortant une saison à 77 matches (13.5 pts de moyenne) puis en étant élu meilleur sixième homme au terme de l’exercice 1997-98. Evidemment, Danny meilleur scoreur d’une équipe NBA, il faut oublier… Mais en seulement 25 minutes de présence sur le parquet, il rapporte cette année-là 13.5 points et 5.6 rebonds. En août 1999, l’ailier des Suns sert de monnaie d’échange pour le transfert d’un futur grand éclopé, Anfernee Hardaway. Il ne portera jamais le maillot d’Orlando puisque le Magic l’expédie 14 jours plus tard à Milwaukee, en compagnie de Dale Ellis, contre Chris Gatling et Armen Gilliam. De 1999 à 2003, Manning écumera les franchises – Milwaukee, donc, mais aussi Utah, Dallas et Detroit – avec une contribution très modeste, excepté chez les mormons (7.4 pts).
Retiré des parquets, il intègre l’encadrement de Kansas, son alma mater. « Mister D. » est nommé assistant coach en 2007 et retrouve le parfum de l’ivresse universitaire avec l’acquisition du titre NCAA 2008. Une promo emmenée par Mario Chalmers, Darrell Arthur et Brandon Rush. En finale, le Memphis de Derrick Rose et Chris Douglas-Roberts s’incline 75-68 après prolongation.
En 2012, Manning quitte son université de toujours pour prendre les commandes de Tulsa, toujours en NCAA. Depuis cette année, il travaille à Wake Forest, l’ancienne fac’ de Tim Duncan et Chris Paul.
Stats
15 ans
883 matches (398 fois starter)
14 pts, 5.2 rbds, 2.3 pds, 1.13 int, 0.85 ct
51.1% aux tirs, 20.6% à 3 points, 72.9% aux lancers francs
Palmarès
All-Star : 1993, 94
Meilleur 6e homme : 1998
Champion NCAA : 1988
USA : Médaille de bronze aux J.O. 1988