Avec 1 192 matches consécutifs disputés entre 1986 et 2001, A.C. Green (52 ans ce 4 octobre) a hérité du titre « d’Iron Man de la NBA ». Un homme de fer qui jouait des coudes dans la raquette et prêchait la bonne parole en dehors. Ce fervent chrétien mena une vie monacale. No drugs, no sex… L’anti Dennis Rodman en quelque sorte.
Green n’a pas de prénom. Juste deux initiales : A.C. (prononcez « è si »). Deux lettres qui n’ont aucune signification. Il ne s’agit pas d’une abréviation. Comme pour K.C. Jones, l’ancien joueur et entraîneur des Celtics. S’il craint la colère de Dieu, A.C. ne craint personne sur un terrain de basket.
Puceau et croyant
Après avoir tourné à 12.8 points et 8.7 rebonds en 1992-93, lors de sa dernière saison à Los Angeles (il y reviendra, nous aussi plus loin dans ce papier), Green est l’objet de l’un des plus gros « transferts » pour l’époque (pas de contrepartie puisqu’il est free-agent). Au cours de l’été 1993, il signe un contrat de 5 ans et… 15 millions de dollars (la somme fait sourire aujourd’hui) en faveur de Phoenix. Les Suns ont perdu, rappelez-vous, leur Finale contre les Bulls en partie par manque de soutien au rebond et en défense. Derrière Charles Barkley, la raquette sonne creux. Green arrive dans l’Arizona pour y remédier.
Sur le circuit, on voit très peu de joueurs aussi religieux. Dès son arrivée dans la Ligue, A.C. confesse qu’il n’a jamais eu de relations sexuelles. Seize ans plus tard, lorsqu’il tire sa révérence, il est toujours vierge. Seize ans (et plus) de célibat, sans girlfriend connue. Une vie chaste dédiée à Dieu. Faites du basket, pas l’amour. A.C. est un homme vertueux. Il déteste le langage grossier et la vulgarité en général. Le trash-talking, n’en parlons même pas. Un soir de match contre les Knicks, il demanda à Charles Oakley de se battre autant qu’il le voulait mais sans jurer.
« C’est vrai que je dois surprendre dans le paysage NBA, explique-t-il alors. Des tas de gens me demandent comment je peux jouer mon style de basket – physique, à base de poussées et de coups de coude – et être aussi croyant. Moi, je ne me pose pas ce genre de questions. C’est comme cela que j’imagine les guerriers de la Bible. Ils se concentraient sur la tâche à accomplir. Leur objectif était de combattre, de détruire ou de défendre, en fonction de ce que dictait la loi de Dieu. J’ai besoin de cette mentalité parce que je suis souvent inférieur physiquement aux joueurs que je croise dans les raquettes. Ma force me vient de l’intérieur. »
Avec Charles Barkley, c’est l’eau et le feu
Un esprit fort mais pas seulement. Avec ses 2,07 m et 109 kg, Green n’a manqué que trois matches en huit ans de carrière chez les Lakers. A.C. débarque à Phoenix avec la winning attitude, fort des deux bagues glanées en 1987 (pour sa deuxième saison en NBA) et 1988. On ne naît pas champion, on le devient. Quand Green fait sa première visite dans l’Arizona, les Suns organisent une petite mise en scène. Le vestiaire est plongé dans l’obscurité et une rangée de lumières inonde un casier avec le 45, numéro fétiche de Green, pas très loin du coin dévolu à Charles Barkley. Sur le coup, le All-Star (starter en 1990) apprécie. Deux mois plus tard, une heure après avoir signé son contrat, il demandera à changer de place dans le vestiaire… La proximité de la plus grande gueule de NBA ne dit rien de bon au discret A.C. Ces deux-là, c’est l’alliance de l’eau et du feu ou du feu et de la glace, comme en témoigne le premier match des playoffs 1993 entre les Suns et les Lakers. On joue depuis deux minutes quand Barkley, déjà énervé, bouscule Green et prend une faute technique. Tout au long de la série, finalement remportée par Phoenix, l’ambiance entre les deux gugusses demeurera électrique. Alors, comment imaginer s’entendre avec « Sir Charles » ?
« La question est plutôt de savoir comment Charles s’entendra avec moi !, répond-il. Nous jouons l’un contre l’autre depuis huit ans. S’il y a eu pas mal de tensions entre nous, nous avons aussi appris à nous respecter. Je ne m’inquiète pas. J’ai de l’expérience pour ce qui est de jouer avec des caractères. J’ai passé plusieurs années avec Kareem Abdul-Jabbar, Magic Johnson et James Worthy… »
Et puis Barkley et Green ont un point commun. Avec eux, le basket, c’est œil pour œil, dent pour dent.
« Quand ils entrent sur un terrain, ils deviennent des armes de destruction », souligne Paul Westphal, le coach de Phoenix à l’époque.
Les deux évoluent au même poste. Mais avec le départ de Tom Chambers pour Utah et la rechute de Richard Dumas (accro aux drogues), l’acquisition de Green prend tout son sens. Dans le cinq majeur-type, A.C. occupe la position d’ailier. Il peut glisser à l’intérieur en cas de système de jeu à trois arrières. Il apporte aussi une solution en défense face aux grands ailiers comme Shawn Kemp (Seattle) et Derrick McKey (Indiana) qui posent souvent des problèmes à Phoenix.
« J’ai la sensation que nous allons dominer toutes les autres équipes au rebond, affirme Westphal au moment du transfert. Posséder une équipe aussi puissante relevait du rêve. Et puis nous gardons notre vitesse d’exécution. Nous serons une équipe offensive comme la saison dernière mais avec A.C., nous ferons également partie des meilleures défenses. »
Green grandit dans l’Oregon, dans une famille particulièrement religieuse. Il ne mesure « que » 1,80 m à 15 ans et culmine à 2,03 m trois ans plus tard. Dès son plus jeune âge, il devient familier avec la religion et la morale.
« J’ai tout de suite mis de l’ordre dans ma vie. Si à l’époque, je ne me préoccupais pas autant de Dieu, je pensais tout de même au paradis. Je ne pensais pas y aller en passant par la NBA… »
Magic Johnson l’aide à s’intégrer
A.C. flambe au lycée, offrant à la Benson Polytechnic High School le titre de champion de l’Etat d’Oregon. Pour ne pas partir trop loin, il choisit l’université d’Oregon State. Il est élu joueur de l’année de la Conférence Pac 10 en 1984, durant son année junior. Il termine sa carrière à la fac en se classant 2e meilleur rebondeur (880 prises) et 4e meilleur marqueur (1 694 pts) de l’histoire du college. Pourtant, il est plus ou moins oublié lors de la draft 1985. Les Lakers, fraîchement champions, le retiennent en 25e position. Les scouts pensent qu’il est trop petit pour jouer ailier fort en NBA. A.C., lui, pense que sa dévotion religieuse effraie certaines équipes… Jerry West, alors GM des Lakers, est tout heureux de récupérer cet ange tombé de l’Eden. Ses nouveaux partenaires l’acceptent, non sans une petite mise au point.
« Ce fut un peu difficile au début. Il plongeait dans sa Bible sans arrêt et n’en sortait que pour prêcher des sermons, se souvient Magic Johnson. Kareem (Abdul-Jabbar) et moi sommes allés lui parler. « Tout le monde n’a pas les mêmes croyances que toi. Respecte cela et tout ira bien. » Après, plus aucun problème. Je dois dire qu’il fut d’une aide incommensurable au moment de ma retraite. Je lui dois beaucoup. »
Il souffre de hoquet chronique !
Le vestiaire californien respecte les croyances et le vœu de chasteté de Green. Enfin, pas tout le temps. Durant les déplacements, ses coéquipiers envoient des filles dans sa chambre d’hôtel pour essayer de le faire craquer… Une « île de la tentation » avant l’heure. Mais A.C. ne cède pas à la tentation. Non, la chair n’est pas faible. Il cite les Saintes Ecritures. En 1989, il fondera la A.C. Green Young Foundation qui prône l’abstinence avant le mariage. Oui, les nuits de Green sont courtes. Mais pas pour les raisons que l’on croit. Il souffre d’un hoquet chronique qui l’empêche de dormir plus de 2 heures. Pour ne rien arranger, il doit fréquemment soulager sa vessie. Green viendra à bout de ces spasmes respiratoires qui l’auront poursuivi toute sa carrière. Il était seulement tranquille lorsqu’il courait sur un parquet.
Durant les Finales NBA 1987 et 1988 avec les Lakers, il s’affiche à 11.1 points, 8.2 rebonds et plus de 50% aux tirs. Retenu dans la All-NBA Defensive Second Team 1989, il dispute à nouveau le titre en 1989 et 1991 avec L.A. L’issue est moins heureuse. Deux ans plus tard, le free-agent Green s’engage donc en faveur de Phoenix, récent finaliste. Cotton Fizsimmons, alors vice-président des Suns (dont il fut le coach), a cette belle formule :
« On le décrivait comme un ailier sans shoot, sans rien dire sur la taille de son cœur. Les Lakers voyaient en lui le successeur de Kurt Rambis, le vaillant des vaillants. Depuis, il s’est acheté un tir fiable. C’est pour cela que je dis que A.C. est un self made pro. »
Phoenix croyait atteindre la Terre promise avec lui. On sait ce qu’il advint durant les deux ans où Michael Jordan prit congé de la NBA (deux éliminations contre Houston en 7 matches). En 1996, les Suns ne voient pas le jour contre les Spurs au 1er tour (1-3). Green, tombé à 7.5 points, est expédié à Dallas dans l’échange pour Jason Kidd. Pendant quatre ans, les Mavericks atteignent des sommets de médiocrité (24, 20, 20 et 19 victoires).
Michael Finley flambe pour rien. Green, lui, établit une toute autre type de performance : le 20 novembre 1997, il dispute son 907e match consécutif, dépasse Randy Smith et devient l’homme de fer le plus résistant de l’histoire de la Ligue. Il porte le record à 1 000 matches le 13 mars 1999 contre Vancouver. Un bref come-back chez les Lakers durant l’exercice 1999-2000 lui permet d’accrocher une troisième bague. A.C. prend la direction de Miami où il retrouve Pat Riley. Un baroud d’honneur d’un an. La belle série entamée le 19 novembre 1986 avec Los Angeles contre les Spurs s’interrompt le 18 avril 2001 face au Magic. « Iron Man » aura disputé 1 192 matches de suite. Il loupa trois rencontres durant son année sophomore (1986-87) et son record vacilla au cours de la saison 1995-96, lors d’un match contre les Knicks, lorsque J.R. Reid lui expédia son coude dans le visage. Dans l’affaire, Green perd deux dents mais le port d’un masque lui permet de tenir sa place. Le port d’un masque et quelques précautions : pendant quelques semaines, il ne passera que quelques minutes sur le parquet à chaque rencontre… Ce fut aussi le premier rookie, depuis LeRoy Ellis en 1962-63, à apparaître dans les 82 matches de saison régulière.
Depuis avril 2002, A.C. est… marié à Veronica (eh oui, tout arrive !). Celui que tout le monde voyait se reconvertir en pasteur est devenu un temps propriétaire d’une franchise de basket 3BA à Portland (la 3BA est une ligue de basket professionnel avec des matches 3 contre 3 disputés sur des terrains normaux). Orateur accompli (il fut diplômé de communication à la fac), Green est aussi un businessman avisé, propriétaire de restaurants, de concessions automobiles, d’agences immobilières, d’une société de production de cinéma et d’une agence de voyages à son nom, Green Team Travel. Reconversion parfaite pour le missionnaire des parquets, que l’on a revu l’an passé comme juge du concours de dunk de D-League.
Un homme pieux qui a traversé le royaume du sport-spectacle sans se renier. Ni écraser son prochain pour un rai de lumière.