« Je plane encore », avoue-t-il dans un sourire communicatif. Son paradis n’est pas artificiel et son stupéfiant n’est qu’une épithète. La médaille d’or engoncée sous la chemise autour du cou, Fabrice Gautier est toujours en phase de descente, deux semaines après le sacre de Ljubjana. L’Equipe de France, c’est son « opium », une drogue tenace et bienfaitrice.
Ostéopathe des Bleus depuis 2009, l’expatrié angelino – publiquement encensé par Joakim Noah en mai dernier pendant les playoffs -, continue de marcher sur les nuages du tourbillon émotionnel. « Je me regarde encore quelques matches » confie-t-il sans la culpabilité de l’accro incapable de décrocher. Pour lui, le Graal européen constitue l’accomplissement d’une quête sportive et humaine entamée en 2005 avec l’arrivée de Ronny Turiaf à Los Angeles.
Revenu à ses premières amours orange après un long flirt avec le rugby, Fabrice Gautier est installé depuis 1999 dans la Cité des anges, où il dirige avec sa femme un cabinet de kiné et d’osthéo à Beverly Hills. Père de famille, coach dominical pour l’équipe de basket de sa fille, fan des Lakers, il a noué depuis huit ans des liens affectifs et fraternels très particuliers avec les français de NBA.
Attablé à une terrasse de Manhattan Beach, pas très loin du domicile de Mike D’Antoni, il nous conte le roman de ses amitiés et de sa vie de soigneur. « Les fibres ne mentent pas » formule-t-il pour expliquer la fidélité des frenchies pour ses mains guérisseuses. « Mais c’est l’abnégation des joueurs qui me rendent beaux, moi je ne fais qu’aider et faciliter », précise-t-il.
Ronny, le coup de cœur
J’avais complètement dévié dans le rugby quand le basket est revenu me chercher. Je m’occupais de la famille Maloof (alors propriétaires des Kings) à mon cabinet et voilà qu’un jour ils m’envoient à Sacramento pour m’occuper d’une joueuse des Monarchs (WNBA). Après, il y a la draft 2005 et l’arrivée de Ronny à Los Angeles. Je le rencontre un soir pour la première fois avec le correspondant de L’Equipe sur L.A, que je connaissais bien. Tout se passe bien et on décide de se faire rapidement un restaurant français, pour se revoir. Le lendemain, son problème de cœur est décelé. Six mois plus tard, on s’est finalement fait ce restaurant, tous les deux. Je connaissais le chef français, il n’avait pas de foie gras sur la carte mais il en avait dans son frigo. On est allé le chercher et c’était le début d’une longue et magnifique soirée. On a ensuite fait un tour dans ma vieille Mustang et pendant deux ans demi, Ronny était tout le temps fourré à la maison. Nous étions sa famille adoptive sur L.A. Ronny c’est mon grand « poto ». Je suis parti une semaine en Inde avec lui avec Basketball Without Borders, car sa copine avait des partiels et ne pouvait pas l’accompagner. On a visité le Taj Mahal et un temple bouddhiste à New Dehli, on a découvert la King Fisher, une bière indienne. C’était magique.
Babac, le bon vivant
C’est le premier après Ronny à m’avoir laissé bosser sur lui. Ce sont les deux qui m’ont d’abord ouvert les portes de leur cocon et celle du groupe. Je l’ai vu pour la première fois dans le même restaurant où j’avais rencontré Ronny. Et Ronny était là justement. On a vite sympathisé. Boris est un amoureux de vin et c’est un sujet qui prête entre nous à un débat sans fin : lui préfère les Bordeaux, évidemment, moi les Bourgogne. C’est une discussion sans fin. On a commencé à travailler ensemble pendant les Playoffs 2006, quand il était aux Suns. L’année suivante il se bloque le dos et je l’ai dépanné. Deux ans plus tard, quand il a fallu un ostéopathe en équipe de France, lui, Ronny et TP m’ont appuyé auprès de Patrick Beesley, le directeur technique de l’Equipe de France.
Tony, l’entorse fondatrice
Je commence avec l’équipe de France en 2009, à Vichy avec deux semaines de préparation. J’avais commencé à travailler avec TP lors de la saison qui venait de se terminer. Pendant le tournoi de Strasbourg, Tony revient sur le banc en fin de première mi-temps en me disant qu’il s’est fait mal. On file immédiatement dans le vestiaire pour bosser sur la cheville avant de revenir sur le banc. Comme la douleur persiste et il ne revient pas en jeu et on rentre à l’hôtel pour regarder la vidéo. On constate une grosse entorse. Le préparateur physique des Spurs est alors avec l’équipe mais me laisse faire, en disant au staff de la franchise qu’en gros on s’en occupe aussi bien que là-bas.
Six jours après, Tony est rappelé à San Antonio et j’y vais avec lui. A ce moment là, nous ne savons pas s’il va pouvoir revenir avec l’équipe. Les Spurs veulent vérifier l’état de sa cheville avant de prendre une décision. Elle avait déjà bien cicatrisé. Pendant que Tony part faire la radio, je me retrouve seul avec Popovich, que je rencontre pour la première fois. Il m’explique qu’ils payent très cher Tony et qu’ils se doivent d’être précautionneux. Je lui réponds qu’en France on a des joueurs de foot qui gagnent aussi beaucoup d’argent, et qu’on sait s’occuper des chevilles de nos sportifs. D’autant plus que Zidane est à la retraite et que Tony est notre nouveau trésor national. C’est clairement une confrontation mais elle est très cordiale, polie et respectueuse, comme toujours avec Popovich. Tony revient, Popovich me demande de lui expliquer le traitement que j’ai fait sur la cheville et ils vont ensuite délibérer tous ensemble, sans moi. Quand Tony revient, il me dit que je les ai convaincus et on obtient le feu vert pour continuer la rééducation en France.
On passe deux jours à San Antonio avant d’aller sur Los Angeles ensemble. Dans le taxi pour aller à l’aéroport, Tony appelle son frère T.J et lui demande de nous commenter le match contre l’Italie, qu’il regarde à la télévision. Comme dans un direct de radio, on vit la victoire avec les quatre lancers-francs d’Antoine (Diot). On était comme des fous, Tony le premier. C’est après avoir rencontré R.C. Buford à Pau que Tony demande aux Spurs que je le prenne en charge de manière permanente. Tout cet épisode est fondateur d’une belle amitié. Comme on se dit souvent avec Tony, on aura de belles histoires à raconter autour du feu lors des longues soirées d’hiver (rires).
Joakim, le viking africain
Je l’ai introduit à l’ostéopathie pendant ses deux semaines avec l’équipe de France, en 2009. Moi aussi je venais juste de débarquer au sein du groupe. C’est là qu’on a commencé à nouer une relation, qu’on a ensuite consolidée au fil de ses séjours à Los Angeles, pendant la saison ou ses vacances estivales. En 2011, nous sommes vice-champions d’Europe ensemble et forcément, ça crée des liens de confiance. Quand son corps retrouve une liberté de mouvement et des sensations qu’il avait un peu perdues, le joueur ressent le travail qu’on a réalisé ensemble. Les tissus ne mentent pas et le corps veut à nouveau ressentir ça, donc forcément le gars te rappelle pour revenir.
Jo, je l’avais vu à Noël sur L.A et quelques jours avant les playoffs, il me demande de venir le voir car il peut à peine poser son pied par terre. C’est un bons gars, un mec sincère avec qui j’ai des liens affectifs. Donc quand il me demande de venir sur New York, je n’hésite pas. Surtout que je devais aussi y aller pour voir Carmelo (Anthony), qui m’avait lui rappelé deux mois plus tôt quand il était en vrac. Avec Joakim, il fallait juste débloquer et dénouer son corps pour soulager l’aponévrose. Cela faisait un mois qu’il prenait des piqures et en une séance, on a réussi à donner du mou pour que son aponévrose ne soit plus en constante tension et à entamer un début de cicatrisation. Mais j’ai eu la chance d’arriver au bon moment et puis, sans le courage et la faculté de Jo de jouer avec la douleur, il n’y aurait pas eu ce petit buzz autour de moi à ce moment là.
Jo, je l’appelle le viking africain, comme Tony ou d’autres il me rend plus beau que je ne le suis. Quand Tony se prend une béquille par Bargnani en 2011 et que le lendemain contre la Serbie il joue et sort un match à plus de 20 points sur une jambe, c’est à lui qu’en revient le mérite. Ces mecs là ont une telle détermination qu’il faudrait leur couper la jambe pour qu’ils n’aillent pas sur le parquet.
Les Frenchies, une bande à part
Avec tous les joueurs, je ne vois pas mon travail autrement que par une relation affective. Il faut de la confiance, comme je l’ai nouée avec Melo et qui fait que les Knicks m’ont envoyé J.R Smith et Metta World Peace cet été au cabinet. Je les ai ratés malheureusement, mais bon je préfère être champion d’Europe (sourire). J’ai vingt fois plus d’affinités avec les joueurs français, avec eux je vis des moments tellement forts, comme ces soirées de victoire chez Tony, dans son intimité.
Je repense aussi à cet échange par SMS avec Antoine (Diot) quand il se pète en 2011. La même semaine mon pote Ronny se casse la main et doit déclarer forfait, et là Antoine me dit qu’on a tout essayé et qu’il reviendra encore plus fort. J’étais au bord des larmes. Cet épisode fait partie des moments douloureux (…) Je sais à quel point les mecs bossent, Boris le premier. On le chambre souvent mais ce n’est pas un branleur, il bosse.
Tony c’est une horloge suisse. Quand pendant l’Euro on avait rendez-vous à 18h15 avant chaque match pour se préparer, il arrivait à chaque fois à 18h15 pile. Idem pour Antoine, pour Nico. Je les ai vus se préparer pour chaque rencontre et je sais à quel point ils sont sérieux. Donc quand ils se font tailler, ça m’irrite. C’est normal. Ce sont des supers mecs au sens humain du terme, bien élevés et respectueux. On les voit avec leur famille pendant les compétitions, donc on connaît aussi les parents et les compagnes.
Les franchises NBA, le partenaire obligatoire
Avec les franchises, il y a celles avec qui tout est bien huilé, avec lesquelles j’ai des contacts réguliers et avec lesquelles on se fixe une fréquence de travail et de communication, qu’on essaye de respecter. La saison passée, on a mis en place un système d’échanges d’e-mails sur les rapports de séance, pour une complète transparence. Quand c’est le joueur qui paye, il fait ce qu’il veut, c’est la règle. Mais pour moi l’idée ce n’est pas de faire des one shot mais d’installer un suivi dont l’équipe peut bénéficier également.
La même année où je fais l’aller-retour à San Antonio avec Tony, les Blazers rappellent Nico. Il était alors un rookie. Je le rejoins à Portland en venant de L.A, où je devais rester deux semaines avant de retrouver les Bleus. Nico avait un petit arrachement osseux au niveau de l’épaule. Je me souviens que nous étions venus avec un DVD de son match quelques jours avant contre l’Italie, où il avait fait quelques tomar de malade. On le montre à Jay Jensen et en quelques minutes il nous dit que c’est OK pour lui. Nico est reparti avec l’équipe de France. C’était beaucoup plus facile qu’avec les Spurs (rire).
La NBA, oui mais…
J’ai une vie de famille et un cabinet à faire tourner. Je mets aussi un point d’honneur à ne pas lâcher ceux qui m’ont mis le pied à l’étrier. Je me suis posé la question d’en faire moins au cabinet pour en faire plus avec les joueurs NBA. Mais une chose est certaine, c’est que je ne veux pas intégrer une franchise. J’ai mon opium avec l’équipe de France et j’ai besoin de mon équilibre avec ma famille et mon travail au quotidien. Quand j’aide un septuagénaire à jouer encore au tennis, c’est différent mais tout aussi gratifiant pour moi que d’aider Tony ou Joakim. Si parce que je gagne du crédit auprès des franchises je me retrouve à devoir travailler avec plus de joueurs, ça va être compliqué. L’idéal pour moi c’est que les gars viennent sur L.A car les voyages, non seulement c’est crevant mais j’y laisse aussi mon dos.
Propos recueillis à Los Angeles