C’est l’argument numéro 1 du syndicat des joueurs, et c’est Billy Hunter qui l’a rappelé la nuit dernière.
L’annulation d’une partie de la saison était voulue depuis longtemps par les propriétaires.
« Ce qui arrive me rappelle ce que David m’avait dit il y a quelques années. Il m’avait dit que les propriétaires se devaient d’en arriver là. Je ne suis pas surpris. Dès le début David Stern m’en avait parlé, et je suis convaincu que tout cela fait partie d’un plan. »
A Basket USA, on a décidé de remonter dans le temps et de se rejouer le film de ce scénario catastrophe jusqu’à ce fameux 10 octobre 2011. Aujourd’hui, on revient sur l’avant lock-out, et les tentatives pour l’éviter.
NOVEMBRE 2009
La menace de revivre le lockout qui avait raccourci la saison 1998-99 commence à resurgir alors que l’accord qui avait été trouvé en 2005 expire en 2011. Pour éviter d’en arriver une nouvelle fois à de telles extrémités, les dirigeants de la NBA commencent d’ores et déjà à parlementer avec l’association des joueurs, représentée par Derek Fischer.
Et que disait Fisher en novembre 2009 ?
« Pour l’instant il ne s’est rien passé de capital. Il n’y a pas eu de négociation, c’était plus une discussion ouverte, un échange d’informations et une préparation de la table de négociations. Je pense que les joueurs aujourd’hui savent bien ce qui se passe dans notre pays et dans le monde entier et je pense que tout le monde est assez intelligent pour savoir, même s’ils n’avaient probablement que 10 ans lors du lockout de 99, que ce serait une mauvaise chose pour notre business. »
Fisher allait même plus loin en déclarant :
‘C’est très important de faire ce travail préparatoire en vue d’un accord. »
FEVRIER 2010
En plein All-Star game, David Stern refroidit l’ambiance. La NBA va perdre en 2010 400 millions de dollars, soit environ 293 millions d’euros. Le patron de la ligue rappelle que la distribution actuelle des richesses de la NBA était trop favorable aux joueurs (57 %), et qu’il aimerait bien que cela passe sous les 50 %.
L’idéal serait de descendre sous le seuil des 45 % pour compenser les pertes.
Bien évidemment, les joueurs ne sont pas d’accord avec cette proposition, mais Stern la maintient contre vents et marées :
« Vous pouvez la brûler, la déchirer, mais elle reflète la réalité dans laquelle nous sommes actuellement ».
On est en février 2010…
JUILLET 2010
Le site NBA Fanhouse, aujourd’hui disparu, avait organisé un sondage auprès des propriétaires, des agents et des coaches. Sans donner de résultat chiffré, il expliquait qu’une vaste majorité des personnes contactées prévoyait le « lockout » inévitable. L’un des propriétaires l’avait même qualifié de « 100% certain ».
A l’époque, on sait déjà qu’ils ont volonté de réduire tout simplement le salaire des joueurs, de l’ordre de 30% pour les rookies (et donc à terme pour l’ensemble des joueurs). Les propriétaires affirmaient que les conditions de l’intersaison menaient à des excès que le prochain accord devait corriger. Les joueurs observaient que l’argent était bien disponible et qu’il n’y avait aucune raison de changer. Et on écrivait que la situation financière des clubs significativement déficitaires serait meilleure durant la grève !
Et déjà en juillet 2010, le syndicat des joueurs conseillait de placer d’ores et déjà de l’argent de côté en prévision d’un conflit dur.
SEPTEMBRE 2010
Deuxième réunion pour éviter d’en arriver au conflit, et déjà les propriétaires n’ont qu’une chose en tête : réduire la masse salariale. Ceci pourrait passer à l’extrême par l’instauration d’un hard-cap, limitant la masse salariale par équipe, sans aucune exception. Mais de manière moins extrême, il possible d’imaginer tout un ensemble de négociations complexes modifiant plus ou moins profondément les règles actuelles régissant les contrats des joueurs. Ceci va du montant des salaires minimum ou maximum, à la durée « standard » des contrats ou encore à la question de savoir si que les contrats doivent être garantis sur la totalité de leur durée ou non.
A l’époque, on évoque une manière rapide et efficace de faire des économies : diminuer le montant des salaires importants (par exemple tous ceux supérieurs à 10 millions par saison). L’enveloppe est significative, cette action permettrait des économies réelles pour les managers. Déjà à l’époque, on parle de « miracle » si un lock-out est évité.
OCTOBRE 2010
Un caillou dans le pied des patrons : le SportsBusiness Journal rapportait que le nombre d’abonnements pour la saison à venir avait augmenté de 50 000 par rapport à l’année dernière, soit +40%. En moyenne et à la fin de la semaine dernière, 23 équipes ont vendu 1 000 abonnements de plus qu’en 2009. Par ailleurs, le taux de renouvellement des abonnements est de 80%, en progression de 5%. A l’époque, pour le syndicat, c’est une preuve irréfutable que la NBA va bien :
De notre point de vue, c’est une indication que la ligue est une réussite éclatante, expliquait Billy Hunter. Une chose sur laquelle les propriétaires et l’union des joueurs peuvent s’accorder, c’est que le business de la NBA a une forte dynamique actuellement.
L’autre chose sur laquelle nous pouvons nous entendre, c’est qu’un échec à aboutir à un nouveau accord collectif et à empêcher un lockout donnerait un coup d’arrêt à cette dynamique. »
Quelques jours plus tard, deux économistes du sport jettent un énorme pavé dans la mare. Non seulement, la NBA est saine financièrement, mais surtout un lock-out profiterait aux propriétaires.
Rodney Fort, professeur d’économie du sport à l’université de Michigan.
L’argument que les propriétaires sont sur le point de faire faillite est un peu dur à avaler, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne vont pas tenter de se présenter comme tel […] pour réduire la part des revenus qui va aux joueurs.
Ils vont négocier dans ce sens, dans tous les cas. Pas parce que les propriétaires sont en difficulté, mais parce que tout le monde préfère avoir plus d’argent que moins.
S’il y a un lockout, les propriétaires pensent que, lorsqu’il sera fini, ils seront mieux placés financièrement que maintenant. Et ce sera vrai dans tous les cas.
Donc si les propriétaires pensent qu’ils peuvent davantage bénéficier du nouvel accord en bloquant la saison pour un an, vous avez intérêt à croire que c’est quelque chose qu’ils envisagent.
JANVIER 2011
Le célèbre magazine Forbes publie son classement annuel des franchises les plus riches, et que découvre-t-on ? Que 17 franchises sur 30 ont un résultat d’exploitation négatif. Un point pour les patrons. Mais aussi que les gros marchés sont largement valorisés au détriment des petits marchés. Quelques chiffres : les Knicks arrivent en tête, avec une valorisation de 655 millions de dollars, devant les Lakers (643 millions). A l’autre bout du classement, on retrouve sans surprise les Bucks en bon dernier (258 millions), ne précédant que de peu les Timberwolves (264), les Grizzlies (266) et les Pacers (269).
Voilà qui justifie une meilleure répartition des richesses, et qui confirment que les petits marchés (Minnesota, Indiana, Milwaukee…) souffrent face aux plus riches (New York, Chicago, Los Angeles…)
AVRIL 2011
On vit une saison exceptionnelle, et voilà qu’on trouve un moyen de combler le fameux déficit : les droits TV. Forbes, toujours eux, annonce que les audiences NBA sont au top : +30% pour TNT et, même +44% en playoffs. Parfait pour renégocier à la hausse le contrat avec les chaînes américaines. Sauf que le contrat court jusqu’en 2016, et qu’il rapporte que 900 millions à la NBA. Soit 30 millions par franchise. Pendant ce temps-là, les Lakers négocient avec les networks locaux et signent pour 3 milliards sur 20 ans !!! Pour le syndicat, c’est aux propriétaires d’aller chercher l’argent où il est (ou de se le partager), et non aux joueurs de faire des sacrifices sur leurs salaires.
Le 22 avril, David Stern s’exprime à quelques heures d’une proposition faite aux joueurs. Lisez bien chaque mot… A l’époque, la NFL est en plein lock-out.
« La situation dans le football US est un gâchis. D’après ce que j’ai lu et compris, ils ont mis beaucoup trop de temps à se rendre compte de l’urgence de la situation. A un ou deux jours près, ils étaient proches d’un accord, et aujourd’hui, on se rend compte qu’ils auraient pu réduire leur fossé en s’y prenant plus tôt. »
Il avait aussi rappelé que tous ces efforts n’avaient aucune visée personnelle.
« La ligue est mon client, et non un outil pour ma gloire personnelle. En 1998, un membre du syndicat m’avait attaqué là-dessus mais je lui avait répondu que je n’avais aucun intérêt à faire fermer une ligue que j’avais aidée à faire grandir pendant 20 ans. »
Cela ne l’empêche pas de remettre un coup de pression sur les joueurs.
« Je les ai prévenus que l’offre que nous allons faire sera la meilleure possible. Ensuite, une fois, que la grève sera commencée et que des matchs auront été annulés, elle ne sera plus valable car il faudra la rééquilibrer en fonction des pertes engendrées ».
MAI 2011
Le 4 mai, le syndicat des joueurs refuse la dernière proposition d’accord collectif soumise par les propriétaires. La première offre des propriétaires, présentée il y a an, partait avec de très fortes ambitions : réduire la masse salariale de plus de 30% ; introduire un hard cap ; limiter les contrats garantis ; repousser l’âge autorisé pour s’inscrire à la draft. Bien évidemment, les joueurs ne pouvaient accepter de telles conditions et s’étaient empressés de refuser fermement. Mais la nouvelle proposition ne change pas foncièrement la donne. Selon Derek Fisher :
Malheureusement, la proposition est très similaire à celle soumise par la ligue il y a un an. Cette dernière proposition est loin de ce que nous attendions
La proposition initiale cherchait à réduire la masse salariale de 800 millions de dollars, quand le total des salaires pour cette saison s’élève à environ 2,1 milliards de dollars.
4 JUIN 2011
En pleine finale NBA entre le Heat et les Mavs, les représentants des joueurs, la NBA et les propriétaires se sont rencontrés durant 5 heures, sans qu’il n’en ressorte d’avancée majeure.
Seul David Stern s’est exprimé.
« Nous ne sommes parvenus à aucun accord définitif sur tous les points engagés. Nous avons convenu que nous ne parlerions d’un accord spécifique qu’après avoir atteint un accord sur tous les points. Le point positif, c’est que les deux camps ont envie de poursuivre les discussions. »
8 JUIN 2011
Après cette nouvelle réunion, infructueuse, on en savait enfin plus sur les avancées des négociations. David Stern était extrêmement précautionneux, précisant que les positions des parties étaient « très éloignées ». Il a même répété cette expression pas moins de 5 fois en 8 minutes 30 de déclaration. C’est qu’il a encore fait cette nuit avec son « very far »
Le syndicat des joueurs, de son côté, pense que les propriétaires n’ont pas significativement fait évoluer leurs exigences.
Billy Hunter, directeur exécutif du syndicat :
[…] l’un des propriétaires a indiqué lors de la conclusion de la réunion d’aujourd’hui qu’il était très pessimiste sur le fait que nous pourrions parvenir à un accord d’ici la fin du mois, et je suis forcé de partager ce sentiment. Je pense que cela sera une lutte difficile.
Derek Fisher lui pointait le fait qu’on tournait en rond.
Ce qui a changé, c’est le mécanisme, la méthode qui peut nous amener à un accord. On a partagé des idées dans ce domaine, mais on ne se cache pas le fait que les principaux composants de leur proposition originale n’ont pas changé du tout. Donc de ce point de vue, il n’y a pas vraiment eu de négociations parce que cela n’a pas vraiment changé.
20 JUIN 2011
Le syndicat des joueurs, emmené par Derek Fisher font une proposition basée autour d’un axe fort : maintien d’un salary cap évolutif mais avec une réduction de plusieurs centaines de millions de dollars sur les salaires des joueurs sur une période de 5 ans.
Les joueurs ont été formels : ils refuseront toute idée d’un « hard cap ». Pour eux, ce n’est pas négociable. En revanche, ils sont prêts à faire des économies sur les salaires.
Réponse des propriétaires et de la NBA : une contre-proposition immédiate avec ce qu’ils appellent un « flex cap ». En gros, c’est un salary cap plafonné. Il y a un minimum et un maximum. C’est inspiré de ce qui se fait en NHL. En clair, les franchises se doivent d’avoir une masse salariale comprise entre un minimum et un maximum. Selon Stern, ce maximum serait fixé à 62 millions. Actuellement, le salary cap est à 56 millions mais les exceptions et la luxury tax permettent d’aller au-delà.
« Le but est d’éviter que les franchises les plus riches aient forcément les meilleurs résultats » s’est justifié un dirigeant de la NBA.
Autre information : la NBA propose que les salaires ne représentent plus que 50% des revenus de la ligue, contre 57% actuellement. Mais ils garantissent aux joueurs une masse de 2 milliards à se partager. Toujours pendant 10 ans.
Déjà en juin, on parle du 50-50…
Le mot de la fin pour David Stern.
« La proposition des joueurs avait beaucoup de choses intéressantes mais elle est encore loin de ce qu’on attend. En revanche, nous estimons que notre proposition est la meilleure pour éviter un lock-out ».
29 JUIN 2011
Là encore, avec le recul, certaines déclarations semblent risibles. Ce sont les mêmes mots qu’il y a encore quelques jours…
Après cinq heures de réunion à Dallas, les propriétaires ont décidé ce 29 juin de ne pas voter le lock-out. Qu’est-ce que cela signifiait ?
En fait, ce jour-là, le camp des propriétaires, soutenu par la NBA, avait trois options :
– voter le préavis de lock-out avec un conflit qui débuterait le 1er juillet à minuit,
– repousser la date butoir,
– accepter une ultime réunion.
C’est la dernière solution qui a été choisie, et c’est David Stern qui a insisté.
« Nous avons encore le temps de trouver un accord » assure le patron de la NBA.
1ER JUILLET 2011
Après seulement trois heures de réunion, la sentence est tombée : les propriétaires ont annoncé au syndicat des joueurs qu’ils avaient décidé de faire grève.
En clair, le lock-out (grève patronale) est décrété, et il sera mis en place comme prévu à minuit aux Etats-Unis.
Les joueurs étaient venus avec une nouvelle proposition qui n’a donc pas convaincu les propriétaires.
La réaction de David Stern.
« Je ne suis pas effrayé par ce qui arrive. Simplement résigné à constater les dégâts potentiels que cela provoquera sur la ligue. Je note que nous avons fait des avancées significatives par rapport à la première proposition. »
« Ce qui m’inquiète, c’est que nous sommes plus éloignés d’un accord qu’en 1999. »