Une page se tourne, et un chapitre se ferme en équipe de France avec le départ de Vincent Collet, en place de 2009 à 2024 sur le banc des Bleus. Désormais Conseiller spécial auprès de la Direction Technique Nationale de la FFBB, Vincent Collet ne restera pas très loin de la sélection, et pour Basket USA, il a évoqué son formidable bilan : huit médailles, dont une d’or à l’Euro 2013 et deux d’argent aux Jeux olympiques.
Une semaine après l’officialisation de la fin de votre mandat à la tête de l’équipe de France masculine, comment le vivez-vous ?
Pour l’instant, le fait de ne plus être sélectionneur de l’équipe de France est forcément un cap difficile à passer. J’ai vécu quinze ans très intenses de ma vie en sélection nationale. Même quand j’étais en club, j’avais toujours l’équipe de France dans un coin de ma tête. Ce n’est donc pas possible de balayer toutes ces années d’un revers de la main. Il n’y a que le temps qui permettra de digérer cette fin avec l’équipe de France.
De vos débuts au championnat d’Europe 2009 aux Jeux olympiques de Paris 2024, vous avez passé quinze ans à la tête des Bleus, quelle a été la « recette Vincent Collet » ?
Cette longévité, je ne l’explique pas. Quand j’ai commencé en 2009, je ne m’étais jamais imaginé que ça puisse durer aussi longtemps. Tout s’est fait étape par étape. Au début, je m’étais préparé jusqu’aux Jeux de Londres, à condition qu’on les dispute car ce n’était pas évident à l’époque. Ça a donc duré plus longtemps que prévu d’autant qu’il y avait une hésitation personnelle et familiale pour continuer après 2012 car mon ex-femme ne le souhaitait pas.
Pour quelles raisons auriez-vous pu continuer avec l’équipe de France ?
À l’issue de cette campagne et surtout avec l’avènement de la nouvelle génération incarnée par Victor Wembanyama, ça pouvait logiquement donner envie de continuer. C’est pour cette raison que j’ai souhaité un délai de réflexion. J’ai vraiment attaqué la campagne olympique comme la dernière de ma carrière. On est passé par toutes les émotions et ça s’est fini magnifiquement. Comme Nico (Batum) a eu l’occasion de le dire, on ne peut pas rêver d’une meilleure fin car ces JO de Paris 2024, c’est ma meilleure campagne avec les Bleus. C’était le moment idéal pour arrêter. Car à un moment donné, il faut savoir dire stop. Ce n’était pas une décision facile car il y a beaucoup d’affect et de passion.
Le gamin que vous étiez dans votre Normandie natale rêvait de battre Team USA en finale des JO. Malgré ces deux défaites en 2021 et 2024, ces quinze ans en Bleus ont-ils été au-delà de vos ambitions, de vos rêves ?
Ce serait prétentieux de dire le contraire. Quand j’ai pris mes fonctions, je voulais forcément faire du mieux possible. Je voulais d’abord qu’on se qualifie pour le championnat d’Europe, ce qui n’était pas fait à l’époque. Il n’était pas possible d’imaginer qu’on aurait eu toutes ces campagnes. J’ai eu la chance que mon parcours en équipe de France accompagne la progression globale du basket français. On a bien vu ces dernières années que de plus en plus de joueurs pouvaient s’exporter à l’étranger – tant en NBA qu’en Euroleague – et que le niveau global du basket a progressé.
Quand Tony (Parker) a arrêté en 2016, on pouvait s’interroger sur la suite de l’équipe de France car c’était la retraite d’un monument du basket français. Il a été le fer de lance des Bleus pendant toutes ces années. On pouvait craindre que son départ soit vraiment très difficile à combler pour l’équipe de France mais paradoxalement, on a été encore meilleurs après. D’autres joueurs sont arrivés et l’équipe dans sa globalité est devenue encore plus performante.
« De l’extérieur, on pouvait passer pour des fous »
Quelle impression vous laisse ces deux finales perdues aux JO contre Team USA ? Evan Fournier disait qu’il était davantage frustré cette année qu’en 2021.
Quand on a battu la Slovénie en demi-finale des JO 2021 (90-89), qu’on le veuille ou non, on a réalisé une prestation incroyable. Il fallait rebasculer tout de suite vers la finale et c’était difficile de le faire. Même si on en rêvait en début de compétition, c’était loin d’être fait.
Cette année, c’était différent. Dans nos briefings, on a toujours parlé de cette finale olympique. C’était un vrai objectif et c’est d’ailleurs ce qui nous a permis de le faire. Quand nos chances de finale semblaient de plus en plus hypothétiques, quand on était dans le dur au premier tour, on avait toujours cette finale en tête. De l’extérieur, on pouvait passer pour des fous mais c’est cela qui a aussi maintenu notre énergie interne à un niveau élevé et qui nous a permis de nous sublimer, lors des matchs couperets à enjeu fatal.
Après la victoire contre l’Allemagne en demi-finale (73-69), il y avait le même bonheur qu’après la Slovénie en 2021 mais clairement, ce n’était pas fini. Il fallait qu’on y arrive. J’ai fini mon briefing d’avant-match en disant aux joueurs que c’était le match d’une vie, qu’on pouvait être « à jamais les premiers » (de battre les États-Unis en finale des JO). Je crois qu’on peut parler comme les jeunes : on avait l’opportunité de faire un « truc de ouf ». On y croyait vraiment.
Les États-Unis ont pris la France au sérieux d’entrée…
Ce qui nous a vraiment desservi, c’est la demi-finale des États-Unis contre la Serbie (95-91) car en première mi-temps, les Américains n’étaient pas prêts comme ils avaient largement battu les Serbes en poule. Du coup, le match a été serré, ils se sont fait peur et contre nous, ils ont attaqué pied au plancher. Alors que si on avait pu profiter d’un relâchement initial, le match aurait pu être différent.
Avez-vous senti une crainte des États-Unis ?
Quand on est revenu à trois points en fin de match, j’y ai cru. On s’est accroché, on a fait un match de traînard et je pensais qu’on allait prendre les devants au meilleur des moments. Mais l’autre (Stephen Curry) a éteint la lumière, comme il est capable de le faire. Il l’a fait sublimement. On a, au moins, le sentiment de les avoir repoussés dans leurs derniers retranchements et d’avoir livré un match dantesque.
« On doit aller en finale des Jeux 2012 »
Dans votre riche palmarès, où placez-vous ces deux médailles d’argent par rapport au titre européen de 2013 ?
Sincèrement, je place ces deux médailles d’argent au-dessus du titre de 2013. Sachant qu’on est battu par les États-Unis à chaque fois, on est la meilleure nation européenne donc ça équivaut à un titre. Cette année, c’est la compétition FIBA la plus forte des trente dernières années. Le niveau de cette année est largement supérieur à celui de 2021.
Paradoxalement, ces deux finales ne sont-elles pas vos meilleurs et vos pires souvenirs ?
Sans doute. C’est à cela que j’ai pensé le soir de la finale. C’est aussi ce qui, à ce moment-là, me laissait penser que continuer pouvait être opportun. Car tu crois toujours que tu peux mieux faire. Ces deux finales, ce sont deux grands regrets.
Mais l’autre plus grand regret, à mon sens plus réaliste, ce sont les JO de Londres en 2012. On aurait dû battre les Espagnols en quarts et être médaillés olympiques. Pour moi, on doit aller en finale des Jeux. On était tout près. Il y a des circonstances particulières qui expliquent notre défaite : la fatigue de Tony (Parker) en fin de match en raison de sa courte préparation à cause de sa blessure à l’œil et le manque de réussite. Je me souviens de deux tirs de Mickaël Gelabale qui étaient dedans et qui ressortent… C’était d’autant plus remarquable que notre équipe n’était pas aussi forte que celle de Tokyo de Paris.
« Le lien avec le staff est fondamental »
À vous écouter encore aujourd’hui, vous vous souvenez de chaque tournoi dans ses moindres détails. Vous étiez comme habité, obsédé par l’équipe de France en raison de la charge émotionnelle et personnelle qu’impose le poste de sélectionneur…
Totalement (il marque un court silence). Je n’ai pas de honte à le reconnaître. Quand j’ai pris un peu d’âge, j’ai eu du mal à enchaîner à la fois l’équipe de France et la reprise en club. J’ai eu énormément de difficultés aux retours des compétitions internationales, que ce soit avec Strasbourg et même avec Boulogne-Levallois il y a deux ans. Au retour de l’Euro 2022, j’ai presque fait un burn-out le mois suivant. Mais c’est presque normal par rapport à mes ambitions et à mes rêves d’enfant. Avec les joueurs qu’on avait, j’étais obligé de donner le meilleur de moi-même.
Où avez-vous trouvé l’énergie de vous réinventer, de vous renouveler ?
L’environnement était important : j’ai eu la chance d’avoir des staffs très investis, mes assistants mais aussi le staff médical. Ce n’étaient pas seulement nos kinés et nos ostéos mais des membres à part entière de l’équipe qui voulaient la même chose.
Mais l’élément central, ce sont les joueurs. Il ne peut rien se passer sans les joueurs mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce n’est pas suffisant pour que l’équipe soit performante. Le lien avec le staff est fondamental mais pour moi, le rôle du coach ne dépasse pas les 20% d’influence sur le résultat final.
Je pense que je n’ai pas été le même coach à mes débuts qu’à la fin. Être coach en équipe de France, c’est faire face à des préparations resserrées, courtes, dans lesquelles on ne peut pas aller dans les détails. En 2009, la campagne de l’EuroBasket avait duré 75 jours (avec un tournoi de qualification) mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le premier rôle du sélectionneur, c’est de créer du lien et de faire en sorte que tout le monde soit en quête d’un même objectif.
« Les Spurs ? Je n’hésiterai pas une seule seconde »
Quel regard portez-vous sur les JO de Victor Wembanyama ?
Pour ses débuts en équipe de France, il a livré une très bonne compétition. Si on a obtenu cette médaille d’argent, c’est forcément parce que nos meilleurs joueurs ont fini par s’adapter à l’adversité puis ont réussi à la supplanter. Ce n’est pas un hasard s’il a livré son meilleur match en finale contre les Américains. Pendant la compétition, il n’a fait que progresser. Sa capacité d’adaptation est l’une des ses grandes qualités.
Comme à ses débuts en NBA ou même en playoffs de Betclic Élite, il a été confronté à une défense très concentrée sur lui, très rugueuse, très physique. C’est ce qui, pour l’instant, peut lui poser des problèmes, en particulier dans le basket international. Parce qu’il y a moins d’espace et aussi parce qu’il est moins protégé par les arbitres.
Lorsque j’ai changé le cinq majeur en mettant Rudy Gobert sur le banc, c’était aussi pour lui redonner plus d’espace de jeu. Leur complémentarité n’a jamais été évidente car nous n’avions pas beaucoup de joueurs de pick-and-roll, l’utilisation de Rudy (Gobert) en aurait été simplifiée. C’est notamment pour cela qu’on a pris cette décision qui n’était pas facile à prendre.
Quand vous êtes venus à San Antonio en janvier, Gregg Popovich a une nouvelle fois loué vos qualités d’entraîneur. Un poste d’assistant aux Spurs, ça ne se refuse pas…
J’en serai ravi mais ce n’est pas moi qui décide. Les Américains n’ont pas besoin de nous mais si d’aventure une opportunité (avec les Spurs) se présentait, je n’hésiterai pas une seule seconde. Je ne me suis pas permis de prendre contact avec (Gregg) Popovich, je ne sais pas faire ce genre de choses mais je pense que Boris (Diaw) a pu le faire éventuellement.
Venir aux Spurs me plairait d’autant plus que je suis attaché à Victor. C’est un joueur qui a beaucoup compté. Même si je ne l’ai eu qu’une seule saison en club, ça a quand même été très particulier. Ça me plairait de l’accompagner dans sa progression.
Avec votre regard de désormais ex-sélectionneur, quels sont, selon vous, les prochains défis du basket français ?
Pérenniser les résultats de nos dernières campagnes en équipe de France, en dépit de la contre-performance au Mondial 2023. Sur les cinq dernières compétitions internationales, nous avons gagné quatre médailles et nous sommes allés trois fois en finale.
L’équipe de France doit continuer d’être ambitieuse et de se rapprocher encore de la première place, en sachant que ce n’est pas si simple, comme certains ont pu le dire après la finale. Il faut quand même mesurer ce qu’est le basket américain, avec probablement ses défauts, mais avec un réservoir inaltérable. Ils restent les maîtres du monde. Ça fait du boulot, du pain sur la planche, mais ce sont des objectifs très excitants et passionnants. La nouvelle génération est très prometteuse.