C’est au moment le plus surprenant que les Wolves ont décidé de se séparer de Tom Thibodeau, leur coach/président, après une belle victoire face aux Lakers et alors que l’orage Jimmy Butler était passé. Malgré tout, ce limogeage n’a finalement rien d’étonnant, tant le propriétaire Glen Taylor semblait regretter d’avoir donné les pleins pouvoirs à « Thibs ».
Evidemment, le divorce s’explique par des facteurs concrets et assez clairs : le fait qu’un coach défensif ne mette en place que la 27e défense de la ligue lors de ses deux saisons pleines, l’utilisation parfois douteuse d’Andrew Wiggins et surtout Karl-Anthony Towns, le rapatriement bizarre d’une grosse partie des anciens Bulls, la surexploitation connue (et critiquée en interne) des titulaires et bien sûr la gestion du cas Butler, que Tom Thibodeau pensait pouvoir convaincre de rester malgré tout (et dans le dos de Glen Taylor…), alors qu’il n’avait pas saisi que son joueur avait bien évolué et n’avait plus du tout les mêmes objectifs que lors de son arrivée en NBA.
Je ne voudrais pas trop noircir le tableau non plus. Tom Thibodeau a quand même récupéré en 2016 une franchise qui n’avait plus goûté aux playoffs depuis 2004, souvent plombée par les choix du propriétaire Glen Taylor, qui n’y connait pas grand-chose en basket mais qui tient à être proche des entraîneurs et des dirigeants qu’il paye.
Et si la défense fonctionnait assez mal, Tom Thibodeau avait quand même réussi à mettre en place une attaque assez peu sexy mais finalement efficace, puisque les Wolves avaient quasiment la même efficacité que les Warriors l’an passé, de ce côté du terrain, en saison régulière (113.6 points sur 100 possessions pour Golden State, 3e, contre 113.4 pour Minnesota, 4e).
« Il n’y a pas de place pour une femme dans ma vie si je dois être coach de basket »
Tactiquement, « Thibs » est toujours bien meilleur que pas mal de ses pairs mais ce qui l’a perdu, c’est à mes yeux son obsession maladive du contrôle. On le sait, le Coach de l’année 2011 est un « control freak », un dingue de basket qui ne vit que pour ce sport depuis quasiment toute sa vie d’adulte. « Il n’y a rien d’autre, pas de femme, pas d’enfant, pas de temps libre pour regarder la télé. Je suis sérieux. Il n’a rien d’autre à côté », expliquait Derrick Rose. Dans les années 80, le tacticien a ainsi rompu sa promesse de fiançailles : « Il n’y a pas de place pour une femme dans ma vie si je dois être coach de basket », déclarait-il alors.
« Je crains l’homme d’un seul livre », écrivait Saint Thomas d’Aquin. Je crois que la maxime s’applique plutôt bien à Tom Thibodeau. Lorsque j’entendais sa voix rauque de façon continue, sur les bords du terrain, je ne pouvais m’empêcher de penser à cette passionnante discussion entre Steve Kerr et Phil Jackson, sur les évolutions du métier de coach. Le « Zen Master » y expliquait que l’ère des Bobby Knight, ces coach/général à la tête d’une armée de soldats disciplinés, était désormais finie. La grande force de l’homme aux 11 bagues comme entraîneur est en effet d’avoir rapidement compris qu’il fallait laisser de la liberté aux joueurs.
Il explique que c’est en lisant l’ébauche d’un livre, « Le Coaching positif : construire le caractère et l’estime de soi à travers le sport », qu’il a ainsi changé son approche, en 1993. Jusque-là, il se servait d’Horace Grant comme d’un bouc-émissaire (avec l’accord du joueur), afin de l’utiliser comme « punching ball » et faire passer son message à l’équipe. Mais quand l’intérieur a craqué, en playoffs face à Philadelphie, Phil Jackson a compris qu’il fallait changer sa façon de faire. Le livre de Jim Thompson sur le Coaching positif était un manifeste pour changer la façon d’enseigner le sport aux jeunes Américains, pour arrêter de les obliger à se comporter en soldats, aux ordres d’un coach tout puissant, sur les principes de valeurs militaires.
La confiance mutuelle, clé de voûte pour diriger
Le résumé vaut le coup d’oeil, tant il semble parler de Tom Thibodeau, 25 ans trop tôt.
« Le coaching est plus un art qu’une science, mais les coaches ont rarement le temps ou la formation pour développer leurs talents au-delà des aspects tactiques », peut-on ainsi lire. « Le coaching créatif fournit aux entraîneurs des approches et des solutions innovantes et efficaces, face aux défis difficiles. Le genre d’art qui produit des victoires. Ce qui distingue cette méthode de coaching, c’est son approche unique et collective. Les entraîneurs apprennent à enseigner, à guider et à motiver dans une relation plus réciproque avec les athlètes. Le respect et l’autorité se gagnent non pas par un titre ou par des mesures disciplinaires, mais par une vision claire et une communication efficace qui incitent les athlètes à déployer le maximum d’efforts pour atteindre leurs objectifs communs et à développer leurs propres capacités de décision, ce qui a des retombées directes ensuite. »
Dans cette NBA de plus en plus exposée et commentée, la gestion des egos et des susceptibilités est peut-être devenue la première tâche d’un entraîneur. Steve Kerr explique très bien qu’il doit trouver différentes méthodes et redoubler d’inventivité pour faire passer son message auprès de ses joueurs, en utilisant notamment l’humour.
On a aussi vu comment Gregg Popovich a lui aussi dû adapter sa façon de faire, pour pouvoir gérer des joueurs différents de ceux qu’il avait pu façonner jusque-là.
Comme en politique, le rôle du chef dans un effectif NBA semble aujourd’hui de plus en plus délicat à assumer. Le résumé du livre de « Coaching positif » met ainsi en avant les « institutions invisibles » de Kenneth Arrow (légitimité, autorité et confiance), qui jouent également un rôle clé dans le sport, la légitimité et l’autorité étant de plus en plus remises en question. Reste donc la confiance, clé de voûte de tout lien entre un chef/coach et ses hommes. Tom Thibodeau avait celle de ses joueurs à Chicago, mais pas celle de ses dirigeants. À Minnesota, il n’avait ni celle du propriétaire, ni vraiment celle des joueurs. Il n’avait que sa vision, et cette envie de tout contrôler pour que chaque élément s’y intègre. Mais l’ère des généraux est définitivement passée.