Alors que la NBA se demande si les équipes shootent désormais trop à 3-points, petit retour sur le pourquoi de cette hausse constante… et quelques idées pour l’atténuer.
On pensait que la NBA avait atteint une sorte de plateau à 3-points ces dernières saisons, mais les Celtics de Joe Mazzulla ont relancé la course au tir longue distance, remportant le titre en utilisant au maximum cette arme.
Cette année encore, Boston prend plus de 50 tirs de loin par match (plus de 55% de ses shoots), et comme les Bulls (44.1 tentatives par match), les Hornets (41.8) et pas mal d’autres équipes suivent le mouvement, on n’a jamais vu autant de shoots extérieurs en NBA. Et forcément, alors que la ligue se bat au cœur d’une économie de l’attention de plus en plus concurrentielle, ce style de jeu interroge, au mieux, et dégoûte, au pire…
Ben Taylor, de Thinking Basketball, a encore sorti une analyse très intéressante sur le sujet. Évidemment, je conseille de la regarder dans son intégralité mais les idées principales à en tirer, c’est que le 3-points n’est en lui-même qu’une deuxième voire troisième option pour les attaques. Il permet surtout d’étirer au maximum les défenses et de libérer la raquette, provoquant de fait une hausse considérable de l’efficacité au tir près du cercle.
Combat et contournement
En comparant les images de différentes époques, Ben Taylor démontre bien que l’utilisation du 3-points, et le « spacing » qu’il impose, est une question posée aux défenses, avec des leaders offensifs qui continuent de peaufiner leur maîtrise de cet art.
Cette NBA du 3-pts est-elle plus pénible à regarder que « la NBA physique » des années 1990 ou la « NBA de l’isolation » des années 2000 ? Est-ce moins agréable de regarder une équipe qui shoote 45 fois de loin qu’un Tim Duncan qui postait son défenseur 45 fois par match ?
Je pense personnellement que la différence se situe surtout dans la notion de combat, qui marque les esprits dans le sport. Les « post-up » des Spurs des années 2000 ne m’ont pas laissé des souvenirs incroyables en tant que spectateur mais quand Tim Duncan avait la balle poste bas, une bataille s’engageait. C’était une lutte, un corps-à-corps direct et primaire. Même l’isolation des Tracy McGrady, Allen Iverson dans les années 2000 était de cet ordre. C’était peut-être moins rugueux mais il y avait cette notion de duel direct, de combat entre un attaquant et son défenseur. Les 3-points sont au contraire un contournement du combat, surtout quand ils sont pris en première intention sur la contre-attaque ou après le moindre décalage.
Les shoots portent en eux une charge arithmétique mais aussi une charge symbolique, liée à la difficulté perçue. De ce point de vue, un panier après un corps-à-corps poste bas représente plus qu’un 3-points en contre-attaque, face à une défense pas encore en place.
D’ailleurs, les 3-points de Reggie Miller ou Ray Allen après de longues secondes de démarquage entre les écrans portaient aussi en eux cette charge symbolique du combat, bien que différente, entre l’attaquant et son défenseur.
À mes yeux, la frustration face à cette NBA du 3-pts est donc avant tout liée à cette sensation d’évitement du combat. Pourtant, des études récentes démontrent que les équipes de la Grande Ligue shootent désormais trop de 3-points, surtout si on tient compte des fautes provoquées sur les différents types de shoots. En tenant compte de ces paramètres, les 2-points (qui provoquent beaucoup plus de fautes) rapportent ainsi plus que les 3-points depuis la saison 2017/18…
Une stratégie d’économie ?
Mais alors, pourquoi la proportion de 3-points continue-t-elle d’augmenter ? Parce que c’est justement une stratégie d’évitement du combat, et par là d’économie.
Les Celtics, première équipe « 3&D » (c’est-à-dire que tous leurs joueurs importants sont à la fois des défenseurs et des shooteurs à 3-points), sont avant tout une grosse défense, dont le premier rideau est très difficile à casser. Et si c’est le cas, c’est parce que les joueurs peuvent économiser de l’énergie en attaque grâce à cette surutilisation du 3-points.
Pour schématiser, alors qu’on avait l’habitude de voir des stars s’économiser en défense par le passé, les « role players » à vocation défensive s’économisant eux en attaque, la transition d’une défense individuelle à une défense collective en NBA a changé les choses. Boston a ainsi systématisé le fait qu’on pouvait appliquer ce principe à l’échelle de l’équipe. Ce sont désormais des équipes entières qui tentent de garder de l’énergie pour défendre en limitant le combat en attaque, grâce aux 3-points.
L’autre frustration, évoquée par Adam Silver, c’est celle de l’uniformisation des attaques.
« S’il y a des ajustements à faire, je pense que c’est au sujet de cette notion de plus grande diversité offensive. Je regarde autant de matches que vous tous, et ce n’est pas forcément tant une question de 3-points, mais pour certains spectateurs, certaines attaques commencent à trop se ressembler, avec des équipes qui se copient les unes les autres. Je pense que c’est une chose à laquelle nous devrions vraiment prêter attention » expliquait le « commissionner. »
Il y a même une « double uniformisation » car non seulement les attaques se copient dans leur façon de générer des 3-points, mais les différences au sein de l’équipe s’atténuent aussi. Dans un groupe comme Boston où Derrick White, Jrue Holiday, Jaylen Brown, Jayson Tatum ou Kristaps Porzingis démarrent tous l’action derrière la ligne à 3-points, attendant le bon duel pour attaquer en dribble, provoquer l’aide et trouver un coéquipier démarqué de loin, la seule différence dans les profils des joueurs devient finalement la taille…
Faut-il en vouloir aux joueurs et à leurs équipes de maximiser l’efficacité, en utilisant une arme surpuissante ? Ce serait comme en vouloir aux artificiers d’avoir utilisé les canons en provoquant une mutation de l’architecture militaire et la fin des châteaux forts.
Alors, si la NBA veut endiguer le déluge à 3-points, il n’y a qu’une seule solution : limiter l’efficacité de ce tir.
Les solutions directes
– Reculer la ligne à 3-points. On sait que l’adresse par zone et par distance est assez remarquablement constante, la différence se faisant par rapport au nombre de joueurs désormais capables de shooter de loin. En reculant la ligne à 3-points de 50 centimètres, l’adresse extérieure chuterait automatiquement, pour atteindre les 33%. Dans ces conditions, le 3-points ne serait une arme efficace que pour une poignée de spécialistes, capables de dégainer de très loin.
– Éliminer les 3-points dans les coins. Sans aller jusqu’à reculer la ligne à 3-points, éliminer simplement les 3-points dans les coins, là où la ligne est la plus proche du cercle, et qui sont donc particulièrement efficaces, pourrait déjà changer la géométrie des attaques, et limiter notamment la zone à surveiller pour les défenseurs placés sur les shooteurs extérieurs.
Les solutions indirectes
– Un dunk qui rapporte 3-points. Pour limiter l’efficacité du 3-points, on peut aussi envisager d’augmenter l’efficacité d’autres tirs. On peut ainsi imaginer accorder trois points pour chaque dunk, ce qui pourrait pousser les équipes vers le cercle, mais aussi les défenses. Tout en relançant peut-être la notion de combat et en apportant du spectaculaire…
– Réduire la taille de la raquette. Au début de la NBA, les raquettes ne faisaient que 1m83 de large. Face à la domination poste bas de George Mikan, la ligue a doublé cette largeur en 1951, avant de la faire passer à la taille actuelle (4m88) en 1964 pour limiter l’impact de Wilt Chamberlain. Pour relancer l’efficacité du shoot poste bas, il suffit peut-être de revenir en arrière, et de raboter la largeur des raquettes pour permettre aux intérieurs d’attraper la balle en étant plus proches du cercle.
Les solutions loufoques
– Autoriser le « goaltending » sur les 3-points. Il y a quelques années, le journaliste Kirk Goldsberry avait sorti un livre sur l’évolution du shoot en NBA où il imaginait tout un tas de solutions, plus ou moins délirantes, pour limiter l’impact du 3-points. Parmi celles-ci, il y avait par exemple l’autorisation du « goaltending » sur tirs lointains. L’option a de quoi intriguer, d’autant qu’elle redonnerait de la valeur aux pivots face aux shooteurs extérieurs, même s’il est difficile d’envisager toutes les implications de cette règle.
– Permettre à chaque équipe de choisir sa ligne à 3-points. Encore plus loufoque, cette idée est pourtant encore plus intrigante. Elle propose que chaque équipe définisse, en fonction de son effectif, sa propre ligne à 3-points, qu’elle conserverait toute la saison dans sa salle. Ainsi, des équipes avec des gros shooteurs extérieurs pourraient décider d’éloigner la ligne, d’autres pourraient choisir d’éliminer les shoots extérieurs dans les corners, voire carrément de supprimer la ligne si une équipe veut se construire autour d’un pivot dominant poste bas. L’idée paraît un peu folle, mais elle aurait pour mérite d’éliminer totalement la notion d’uniformisation car les stratégies offensive et défensive seraient complètement différentes d’une salle à l’autre.
J’ai laissé de côté des idées comme un quota maximum de 3-points par match (proposé par Bill Simmons) car ce genre de mesures me semblent trop arbitraires pour être réellement applicables. Et je vous laisse imaginer d’autres solutions, plus ou moins saugrenues…