Même si les matchs de Noël ont cartonné, le début de saison régulière a été très compliqué pour les audiences de la NBA sur ses diffuseurs nationaux aux États-Unis, à savoir ESPN/ABC et TNT.
Avant les « Christmas Games », la baisse était ainsi de 18% et les débats étaient mouvementés pour tenter d’expliquer cette chute. Trop de 3-points ? Des attaques stéréotypées ? Des analystes trop négatifs ? Chacun y allait de son explication, même si pour Arnaud Simon, ancien dirigeant chez Eurosport et aujourd’hui consultant chez « In & Out Stories » auprès notamment de DAZN, c’est surtout une tendance structurelle.
Plus de matchs… et moins de temps
« La NBA, comme les autres, est dans cette tendance lourde de faire plus de matchs, pour aller chercher plus de revenus, notamment auprès des chaînes de télévision. Il y a une sorte de fuite en avant de ce plus de matchs, qu’on retrouve d’ailleurs dans le football avec la Coupe du monde des clubs, la nouvelle Ligue des champions avec plus de matchs… Le seul problème, c’est qu’il y a plus de matchs mais les gens ont moins de temps ».
Pour Adam Silver, cette baisse des audiences s’inscrit ainsi dans un cadre général, car les chaînes du câble perdent beaucoup d’abonnés, alors que les chutes d’audiences se ressentent aussi dans le championnat universitaire de basket, chez les hommes (-21%) et chez les femmes (-38%), ou encore en NHL (-28%).
« On a tous moins de temps pour consommer du sport parce qu’on est sollicité par des milliers d’autres contenus, on est bombardé de plateformes, de séries, les réseaux sociaux, Twitch… Ce qui fait que le temps de passion disponible qu’on a est plus limité » continue Arnaud Simon. « Et ça explique un argument d’Adam Silver, qui est vrai, quand il dit qu’il n’est pas inquiet de la baisse des audiences, que lui considère comme conjoncturelle, avec l’élection américaine qui a monopolisé beaucoup de temps d’écoute chez les Américains, car l’appétence de la ligue sur les réseaux sociaux est un signe de bonne santé. Mais il parle à la fois du remède et du mal ».
C’est ainsi tout le mode de consommation du sport qui est en train de changer, et pas seulement pour la NBA.
« C’est-à-dire que comme on a moins de temps disponible pour le sport, on le consomme différemment et alors qu’il y a vingt ans, on pouvait regarder un ou plusieurs matchs par semaine en intégralité, ce n’est plus le cas. On va regarder les matchs qu’on veut regarder et le reste du temps, on va grignoter. On va regarder des extraits sur les réseaux sociaux et ce qui était une complémentarité de consommation devient le cœur de la consommation. D’une manière générale et régulière, on suit la NBA avec ces extraits très courts et puis de façon plus exceptionnelle, on va s’arrêter devant un match du début jusqu’à la fin, en direct. Tout ça s’explique : il y a plus de matchs, mais il y a moins de temps disponible pour les fans, qui sont dans une sélectivité plus forte en direct. »
Une transition en cours et incertaine
Les chaînes font ainsi face à des fans plus sollicités et qui, parce qu’ils consomment la NBA différemment, n’ont pas forcément envie d’investir de l’argent dans des abonnements alors qu’ils regardent moins de matchs.
« Pour faire court, on passe du modèle du câble, avec un modèle linéaire (c’est-à-dire des programmés diffusés en direct) et des matchs programmés, à celui du streaming. Sauf que ça ne se fait pas sans perte de valeur ni sans perte d’audience. D’abord parce qu’il n’y a pas ce temps fédérateur unique du linéaire et c’est beaucoup plus fragmenté. Et puis surtout la transition d’abonnement ne se fait pas aussi facilement que ça » analyse encore Arnaud Simon. « Il y a le phénomène du « cord-cutting », avec des abonnés qui, principalement pour des raisons économiques, résilient leurs abonnements. Il y a aussi les « cord-never », dans les générations plus jeunes, avec des gens qui disent ne pas vouloir de ces modèles d’abonnement rigides, mensuels ou annuels. Parce qu’ils veulent des choses à la carte, pour suivre uniquement leurs clubs, des abonnements très souples, très flexibles et très affinitaires. Il y a un peu de tout ça mais surtout une lame de fond structurelle et peut-être qu’il faut imaginer que la consommation ou l’audience du sport en mode régulier ne sera plus aussi forte qu’elle l’a été jusqu’à présent. Il y aura toujours des énormes pics lors des grands moments mais l’audience ordinaire du sport, elle va probablement souffrir de manière durable du fait que la concurrence des contenus n’a plus rien à voir. »
Mais alors, comment la NBA a-t-elle encore fait exploser la banque lors du prochain contrat TV avec ESPN/ABC, NBC et Amazon, avec un bail à 76 milliards de dollars sur 11 ans ? Parce que, comme l’a encore prouvé le combat entre Mike Tyson et Logan Paul, qui a généré plus d’un million de nouveaux abonnements sur Netflix, le sport reste un incroyable vecteur d’abonnés pour les diffuseurs. Et que la Grande Ligue reste un produit d’appel nécessaire.
« Le sport attire les abonnements, en particulier grâce aux évènements majeurs, les « super premium », dont la NBA fait partie aux Etats-Unis. Et puis il y a une très forte concurrence entre les chaînes, dont a bénéficié la NBA grâce à son travail sur le « star system ». Maintenant, c’est un jeu dangereux car quand on paye trois ou quatre fois plus cher, comment on obtient un retour sur investissement ? Le vrai défi, il est là. Il faut ces marques « super premium » pour générer des abonnements et continuer à être attractif, mais à quel prix et comment le rentabiliser ensuite, sachant que l’économie et ses modes de consommation sont en pleine transformation ? »
C’est pour cette raison que les dirigeants de TNT n’ont pas voulu surenchérir sur l’offre de NBC, estimant ne pas pouvoir la rentabiliser. D’ailleurs, pour Arnaud Simon, l’Europe est peut-être en avance dans le domaine avec une « rationalisation très forte des investissements en Europe pour payer le bon prix » et arriver à le rentabiliser.
« Le problème, pour faire court, c’est que le modèle du câble, c’était génial pour tout le monde. C’était génial pour le diffuseur parce qu’il avait une visibilité et une avance de trésorerie parce que les abonnés payaient 30, 40, 50, 60 ou 70 dollars par mois donc il savait où il allait. Le diffuseur avait beaucoup de cash, beaucoup de trésorerie, et il était difficile de se désabonner. C’était génial pour le détenteur de droits, pour la ligue, parce qu’elle a vu ses revenus exploser à cause de la concurrence de plus en plus forte. Et c’était génial pour le fan parce que même s’il payait cher, il avait la ligue in extenso, avec les matchs, les « talk show ». Et ça, c’est fini. »
Un « voyage » du fan qui doit être fluide et facile
Il faut donc réinventer tout un modèle, et c’est sûrement le défi le plus important pour la NBA et ses diffuseurs, davantage en tout cas que la question des 3-points ou des analystes trop critiques.
« Je pense que c’est vraiment à la marge » assure ainsi Arnaud Simon. « Aujourd’hui, c’est vraiment difficile de pondérer le pourquoi, mais je pense que 80% de l’explication se situe dans le bouleversement des modes de consommation, le temps de passion disponible, la transition entre le linéaire et le streaming et les modes d’abonnement qui sont trop rigides. Il y a peut-être 20% dans le produit lui-même, sur son format, sa durée, les stars blessées et peut-être à la marge des choses un peu irrationnelles mais ce n’est pas le cœur du sujet. »
Contrairement à la NFL, dont les saisons régulières à 17 matchs produisent énormément de rencontres à très fort enjeu, et qui maintient de fortes audiences, la NBA doit ainsi générer du suspense dans son marathon de la saison régulière. C’est pour ça qu’Adam Silver a notamment poussé pour la création de la « NBA Cup« .
Mais il faut aussi trouver des façons de mieux monétiser l’énorme attractivité de la ligue sur les réseaux sociaux, sévèrement ponctionnée par Facebook, Instagram et compagnie, tout en « convertissant » plus de fans par le « voyage » cher à Ralph Rivera, ancien directeur général de la NBA pour l’Europe et le Moyen-Orient.
« Le voyage du fan, c’est de « follower » (suiveur occasionnel) à « viewer » (téléspectateur) puis « subscriber » (abonné) et « member » (membre) » raconte encore Arnaud Simon. « Au début, tu es un « follower » donc il faut te connecter émotionnellement et puis tu regardes un truc, un extrait, une story, ça t’intéresse et tu peux devenir un « viewer », ensuite peut-être un « subscriber » et ensuite un « member ». C’est-à-dire quelqu’un d’investi notamment sur les plateformes de la NBA, à qui on peut proposer des produits dérivés, des places pour aller voir son club, la possibilité d’inscrire ses enfants dans des camps d’été, intégrer les paris… On y va mais on ne passe pas du moteur thermique au moteur électrique du jour au lendemain sans que ça soit compliqué pour les constructeurs. C’est toute cette transformation qui est en train de se passer. »
Reste qu’entre le « follower » qui va regarder quelques highlights sur X/Twitter et le « member » prêt à dépenser des centaines de dollars pour emmener sa famille voir des matchs au Madison Square Garden, il y a un grand écart.
Un écart qui ne peut être comblé que si le « voyage » du fan est « fluide et facile », avec des abonnements sans doute plus flexibles et individualisés. Pour Arnaud Simon, la solution est peut-être d’ailleurs dans l’univers des jeux vidéo, avec des joueurs qui assurent, dans les différentes études, ne pas vouloir payer d’abonnements mensuels à 40 euros par mois… mais qui finissent par débourser ces sommes en achetant des options à l’intérieur des jeux.