Il ne voulait pas rechercher « 10 000 photos » de son aventure avec les Bleus démarrée en 2008. Pour son message d’adieux, Nando de Colo a donc préféré solliciter son agent, Wassim Boutanos, également photographe.
L’idée était de récupérer chez ses parents toutes ses médailles – une en or (Euro 2013), trois en argent (JO 2021 et 2024, Euro 2011) et deux en bronze (Coupe du monde 2019, Euro 2015) – et de les enfiler devant l’objectif. Seul, mais également en compagnie de « celles qui ont été les plus importantes » dans cette épopée, sa femme et leurs trois filles.
Sans s’être vraiment « concerté » avec Vincent Collet et Nicolas Batum, qui avaient annoncé leur retraite quelques jours plus tôt, Nando de Colo, tirait ainsi sa référence avec sa sobriété caractéristique. Pour BasketUSA, le joueur de l’Asvel, qui tourne encore à environ 10 points et 5 passes de moyenne en championnat et en Euroleague, revient sur son immense carrière internationale.
BasketUSA : Après cette annonce, dans quel état d’esprit êtes-vous ? Qu’est-ce que ça fait de reprendre la saison en sachant qu’il n’y aura pas les Bleus l’été prochain ?
Nando de Colo : La décision se devait d’être prise. Cela faisait un petit moment que je l’avais en tête. L’objectif des Jeux olympiques à Paris était clairement important pour moi. Après les Jeux de Tokyo, j’avais vraiment besoin de prendre un été « off » pour passer plus de temps avec ma famille et me reposer. Parce que le fait d’enchaîner les saisons et les étés depuis 2018, ça tire sur l’organisme.
Il faut savoir faire la différence entre ce qui se passe en club et l’Equipe de France. On ne peut pas se permettre, pendant l’année, de penser à ce qui va se passer l’été suivant. Il faut d’abord se concentrer sur nos objectifs collectifs en club. Et une fois la saison terminée, c’est là où il faut faire la bascule. Et par rapport à l’été prochain, sachant qu’il n’y a pas l’Equipe de France, ça permet vraiment de couper entre les deux.
Comment avez-vous vécu ces Jeux 2024 sur le plan collectif ?
Les choses se sont très bien passées, vraiment. On avait un super groupe, qui vivait très bien ensemble, sur le terrain et en dehors. On était un peu à l’écart de toute cette ambiance olympique. Ça me rappelait les JO de Tokyo où on était très ensemble aussi, parce qu’il y avait le Covid. On a eu des hauts et des bas, beaucoup de chance contre le Japon. Mais on a su arriver à ce fameux quart de finale où on sait très bien qu’une compétition peut basculer dans un sens ou dans l’autre. On a su renverser cette tendance qui n’était pas forcément à notre avantage. Je ne pense pas qu’on ait plus douté que ça.
« Celles qui pèsent le plus restent les médailles olympiques »
Quel sentiment après cette défaite face aux Américains ?
Avant de récupérer les médailles, on était en train de réfléchir au match qu’on venait de faire. Cela ne servait à rien de trop ruminer parce que le match, on ne le refera pas demain. Il était important de vite passer à autre chose pour profiter du moment. C’est exactement ce que j’ai dit aux gars. C’était une belle finale, il ne nous manquait pas grand-chose. Il y a toujours des choses qu’on aurait pu mieux faire. En tout cas, on a fait un très beau parcours.
Quid de votre compétition sur le plan personnel ?
Je savais que mon rôle allait évoluer, j’en avais discuté avec le staff. Je ne pensais pas qu’il allait être aussi diminué en termes de temps de jeu. Ce n’était pas forcément ce qu’on m’avait dit. Mais ce n’était pas ma préoccupation première. Je devais être dans un rôle, être le plus communicatif possible avec le staff, les joueurs, et être sûr que tout le monde aille dans la même direction. Je ne me suis pas inquiété de la situation, l’équipe tournait bien. On était là où on voulait. Mais j’essayais de rester prêt parce que je savais qu’en fonction des ‘matchup’, il y aurait peut-être un match où j’aurais plus de responsabilités.
En finale face à « Team USA » donc…
C’était peut-être aussi une question de connaissance de ces Américains. Sur les trois ou quatre dernières années, on les a joués énormément de fois. Je sais qu’il y a des situations, avec plus de lecture de jeu, qui sont plus faciles me concernant. C’est bien si un match peut te permettre, comme Guerschon (Yabusele), de rebondir sur un objectif que tu n’as pas pu atteindre, le fait de pouvoir intégrer une équipe NBA. Moi, je n’ai jamais été dans cette situation, et aujourd’hui, je le suis de moins en moins. La médaille d’argent est un très bel accomplissement, j’ai passé un très bon été et j’en suis très fier.
L’argent à Paris 2024 bouscule-t-il votre « hiérarchie » en matière de médailles ?
(Rires) Celles qui pèsent le plus restent les médailles olympiques. Quand Evan (Fournier) m’a mis celle de Tokyo autour du cou, c’est là où on ressent vraiment ce poids. Mais toutes les médailles ont leur histoire. La première est toujours la plus importante, la deuxième, en or, également. Celle qui est plus dure à digérer est la médaille de bronze en 2015, parce que l’objectif était clairement d’aller chercher un nouveau titre européen.
Porter ce maillot bleu m’a permis d’évoluer aux côtés d’autres grands basketteurs français. Au début, on avait l’impression d’utiliser par moment l’Equipe de France comme tremplin pour les saisons à venir. Avec le temps, on a su créer un noyau autour duquel on essayait de renforcer le collectif et pouvoir évoluer comme les Espagnols ont su le faire pendant des années. C’est face à eux qu’on a appris pour devenir l’une des meilleures nations au monde.
Mais on ne se rend pas compte à quel point c’est compliqué, chaque été, où il faut remettre les choses à zéro et repartir de l’avant. Il y a des étés où on pense que ça va être facile, parce qu’on a fait un résultat. Je me souviens de cette finale de 2011, où on se dit tout de suite : ‘L’année prochaine, les JO ça va être facile’. On s’est peut-être dit la même chose en 2023. Au final, on ne voit pas les choses venir, ça va tellement vite qu’on se retrouve éliminés avant même que la compétition ait commencé.
« Contre l’Espagne, en 2015, c’est la défaite la plus douloureuse alors qu’on avait le match en main … Les jours qui ont suivi ont été très compliqués »
S’agit-il de votre souvenir le plus douloureux ?
2015, la compétition en elle-même, on était là où on était. Mais contre l’Espagne, c’est la défaite la plus douloureuse alors qu’on avait le match en main. Ça a été difficile, peut-être pas sur le moment parce qu’il fallait vite passer à autre chose pour chercher la médaille de bronze. Mais les jours qui ont suivi ont été très compliqués. 2016 a été une vraie catastrophe, clairement. On était tellement contents de se qualifier pour les JO mais derrière, il faut se relancer. On n’était pas dedans.
Titulaire, remplaçant, meneur, arrière… Dans vos adieux, vous avez rappelé avoir accepté différents rôles pour vous mettre « au service » de l’équipe. Comment l’avez-vous vécu ?
La première chose est que je n’ai jamais considéré l’Equipe de France comme mon équipe. C’est notre équipe à nous, au staff et aux joueurs sélectionnés, j’ai toujours vu le basket de cette manière. Évidemment, j’ai tout connu avec. En 2008 avec Michel Gomez, j’ai eu beaucoup de responsabilités avec un effectif bien différent de ce qu’on a l’habitude de voir.
Puis en 2009, on commence avec l’ère Vincent Collet où mon rôle change. J’essaie de m’adapter au maximum. Par moment, je joue quelques minutes, parfois plus, je peux être meneur et arrière. Le début n’a pas été simple, de 2009 à 2013, quand on ne sait pas exactement ce qu’on attend de nous et qu’on passe des semaines à s’entraîner en se demandant : ‘Quel est vraiment mon rôle dans l’équipe ?’ Je sortais du banc, comme 6e homme, par moments plus loin. On aime dire que, avec Nico, on a eu la même carrière en Equipe en France. Sauf que Nico savait exactement quel était son rôle. Donc forcément, c’est peut-être plus simple d’évoluer à son meilleur niveau. Et à partir de 2014, mon rôle a été plus important parce que j’ai pris aussi plus d’importance en club.
Comment expliquer ce flou du début ?
C’est d’abord de la communication entre le staff et les joueurs. En 2018, j’ai pu m’entretenir avec Vincent Collet au sujet de mon expérience, mais aussi par rapport aux autres joueurs, parce que je n’ai pas été pas été le seul dans cette situation. C’est quelque chose auquel il faut faire attention : garder de la communication, savoir pourquoi on prend tel joueur et un autre… On arrive à avancer quand les choses sont claires.
Comment a évolué votre relation avec Vincent Collet ?
Au début, il n’y a pas eu cette relation que je peux avoir avec certains coachs que j’ai côtoyés. Mais elle a évolué. En 2018, on a pris le temps de discuter (ndlr : à l’initiative du joueur) ce qui nous a permis de beaucoup plus parler (par la suite). On arrivait à la fin d’une génération. On n’avait plus un Boris Diaw, un Tony Parker, un Flo Piétrus, un Mike Gelabale. Il fallait s’adapter à cette nouvelle génération qui arrivait. Et de mon côté, avec toute l’expérience acquise, je voulais voir ce qui pouvait être amélioré.
« Evan (Fournier) réagit très vite dans les émotions, alors que je vais être plus posé au début, laisser voir comment la situation se passe, et avoir toutes les clés en main pour pouvoir dire ce qu’il y a à dire »
Quid de votre rôle dans le vestiaire, un aspect dont on parle peu vous concernant ?
Je ne le faisais peut-être pas face caméra, mais j’ai toujours été quelqu’un qui aimait communiquer avec mes coéquipiers. J’aimais échanger sur des situations de jeu, d’abord avec mes coéquipiers, puis, au fur et à mesure que les années passent, on se rend compte que le fait de pouvoir communiquer avec le staff peut permettre d’évoluer dans son jeu. C’est quelque chose que j’ai beaucoup appris en arrivant à Moscou.
Quand les choses vont bien, il faut savoir l’exprimer. Quand elles ne vont pas, il faut être là pour taper un petit coup de gueule. Je ne dis pas qu’il faut tout le temps l’ouvrir, parce qu’au bout d’un moment, plus personne n’écoute. Il faut savoir choisir les bons moments pour parler.
Un Nando de Colo qui pousse un coup de gueule, ça ressemble à quoi ?
(Rires) Je suis plus quelqu’un qui a le sang-froid. C’est peut-être aussi pour ça que je m’entends bien avec ma femme et son côté espagnol, avec le sang chaud qui démarre au quart de tour. C’est pour ça qu’au fil des années, avec Evan, on s’est plutôt bien entendu. Pareil, il réagit très vite dans les émotions, alors que je vais être plus posé au début, laisser voir comment la situation se passe, et avoir toutes les clés en main pour pouvoir dire ce qu’il y a à dire.
Quel souvenir gardez-vous de votre première sélection contre Israël en juillet 2008 ? Les 15 ans qui ont suivi ont-ils été au-delà de vos rêves ?
Je me souviens davantage du premier match « officiel » contre la Belgique (ndlr : qualifications pour l’Euro 2009, il avait signé 28 points à 9/9 aux tirs !). J’ai fait mon match sans me préoccuper de ce qui pouvait se passer. J’étais très en réussite ce soir-là, je ne sais même pas si l’idée du résultat était très importante. C’était tellement incroyable de pouvoir entamer une compétition avec les Bleus.
On ne s’imagine pas à ce moment-là gagner des médailles. Avant nous, l’Equipe de France en avait gagnées deux en huit ans. C’était le tournoi de qualification pour l’Euro, c’est dire à quel point on était mal barrés. Ça a pris du temps pour que la première médaille arrive. C’est peut-être ce qu’il faut pour structurer les choses. Est-ce qu’on aurait pu faire mieux ? Bien sûr, oui, mais ça reste un très beau parcours et j’en suis fier. Cet été, j’ai reçu un message de Luigi Datome qui me félicitait et me disait : ‘Si tu pouvais me donner une médaille pour que je l’accroche dans mon salon’. Parce qu’eux, ils n’en ont pas.
Imaginez-vous déjà intégrer le staff des Bleus à l’avenir ?
On en est encore loin, mais je ne ferme la porte à aucune proposition, quel que soit le niveau, la catégorie… J’ai des camps basket, ma fille joue en U13, une autre en U7. Dès que j’ai le temps, j’aime aider les entraîneurs en place et leur faire partager mon expérience. Ma façon de voir le basket pourrait servir un jour. En attendant, ma carrière n’est pas terminée. La suite va dépendre du corps, de la tête, des opportunités. J’ai signé avec l’Asvel jusqu’en juin 2026. Mais ça ne veut pas dire qu’au bout de deux ans j’arrête, ou que je continue…
Crédit photo : Wassim Boutanos