« Nous ne sommes plus en 1992. Les joueurs sont meilleurs partout dans le monde, les équipes sont meilleures. Ce n’est pas facile de gagner la Coupe du Monde ou les Jeux Olympiques », concédait vendredi Steve Kerr, le sélectionneur de Team USA.
Battus en demi-finale hier par l’Allemagne, les Etats-Unis ne pourront, au mieux, que finir sur la troisième marche du podium à la Coupe du monde 2023. Ce sera beaucoup mieux qu’en 2019, mais c’est la confirmation que les Etats-Unis ne sont clairement plus la nation dominante qu’elle était par le passé… et surtout pas sur cette compétition qu’elle néglige depuis trop longtemps !
Victorieux de seize des vingt titres olympiques dans l’histoire, les Américains ne peuvent clairement pas en dire autant sur le format Coupe du monde (anciennement Championnat du monde), avec un parcours parsemé d’embûches et de contre-performances retentissantes !
Toronto – 1994
Médaille d’or : 8 victoires – 0 défaite
À l’époque, Team USA s’appelait encore « Dream Team« . C’était la deuxième du nom, deux ans après l’originelle qui avait éclaboussé le monde de tout son talent aux Jeux Olympiques de Barcelone, derrière le trio inégalable composé de Michael Jordan, Magic Johnson et Larry Bird (soit deux décennies de domination NBA en une seule équipe).
Si beaucoup ont minimisé son impact, souhaitant lui ôter cet illustre sobriquet à cause de réactions et comportements parfois excessifs de quelques joueurs (Coleman, Kemp ou Mourning), et qu’elle a forcément souffert de la comparaison avec sa glorieuse aînée, cette équipe a bel et bien dominé la compétition de la tête et des épaules (+36 en moyenne !), lancée pleine balle à la conquête du monde dans la foulée d’une médaille d’or olympique qui ne soulevait elle non plus aucune contestation.
Malgré les critiques (relatives a posteriori), le Team USA édition 1994 était bien la Dream Team du format Coupe du monde. Avec tout ce que cela implique. De par la qualité de son effectif, on ne peut pas en douter avec pas moins de sept joueurs All Stars cette année-là, dont la fusée Shaquille O’Neal qui était alors en pleine ascension et qui a fini MVP avec 18 points et 8 rebonds de moyenne… en moins de 18 minutes de jeu !
Fournie en légendes avec les Do Wilkins, Joe Dumars voire Mark Price en fin de carrière, cette escouade à la bannière étoilée regorgeait de puissance physique, son atout principal pour rouler sur la compétition à Toronto, à l’instar de Kemp qui était utilisé à la relance, pour propulser le jeu rapide depuis les postes intérieurs, par Don Nelson.
Si Shaquille O’Neal, jamais avare de bons mots et de provocations, est persuadé que la Dream Team II aurait pu battre l’originale de par sa puissance de feu, Alonzo Mourning établit quant à lui un autre parallèle : « J’ai joué dans l’équipe olympique de 2000 aussi, et celle de 94 était meilleure », estime Zo, « c’était une équipe incroyable ! »
Grèce – 1998
Médaille de bronze : 7 victoires – 2 défaites
Deux fois champions olympiques d’affilée, à Barcelone puis à la maison à Atlanta, et champions du monde en titre (à Toronto), les Américains dominent outrageusement la planète basket dans les années 90. Une décennie qui voit la Grande Ligue s’internationaliser sur les épaules de Sa Majesté Jordan et ses Bulls tout-puissants.
Mais, à l’été 1998, la NBA est en pleine crise. C’est le fameux lockout, une grève qui va durer plus de six mois, entre le 1er juillet et le 20 janvier 1999… La première conséquence se fait sentir sur la scène internationale, avec une sélection américaine largement revue au rabais. Malgré la présence Rudy Tomjanovich, double champion NBA avec les Rockets, c’est l’erreur de casting, et in fine l’accident de parcours inévitable.
Au lieu des All-Stars Grant Hill, Chris Webber, Tim Duncan, Kevin Garnett ou encore Gary Payton ou Tim Hardaway, la fédération américaine envoie un « pot pourri » de joueurs universitaires (Brad Miller, Trajan Langdon), de joueurs de ligue mineure (Jimmy King, Ashraf Amaya) ou d’exilés européens (Michael Hawkins, Jason Sasser, Bill Edwards) qui sont appelés sous les drapeaux au pied levé.
Le couperet ne tarde pas à tomber avec une première défaite au premier tour face à la Lituanie (déjà). Le pire est encore à venir avec un nouveau revers en demi-finale face à la Russie qui prend sa revanche de la finale de 1994. Alors qu’ils menaient de dix longueurs à trois minutes de la fin, les Américains voient les Russes d’un Serguey Babkov étincelant (30 points) égaliser… puis mener à quelques secondes de la fin avant qu’un ultime tir à 3-points réussi de Wendell Alexis soit annulé, car envoyé après le buzzer !
Finalement, ce Team USA discount assurera tout de même une belle médaille de bronze par rapport à son niveau de talent.
Indianapolis – 2002
Sixième place : 6 victoires – 3 défaites
Tombé de son piédestal en 1998, mais remonté au sommet de l’Olympe en 2000 à Sydney, en battant nos petits Français en finale, le Team USA va subir l’ultime outrage en 2002. Pour le championnat du monde organisé chez eux, dans l’Etat du basket qu’est l’Indiana, l’équipe américaine va non seulement manquer le podium, et de loin, mais elle va mordre la poussière à trois reprises… malgré un effectif intégralement composé de joueurs NBA !
Preuve que le talent pur et les qualités athlétiques ne suffisent plus à dominer la planète basket ! Malgré quatre All-Stars de l’année, plus Reggie Miller, Ben Wallace, Shawn Marion et Michael Finley qui l’étaient auparavant ou le seront par la suite, l’équipe menée par George Karl (et assisté par Gregg Popovich entre autres) va vivre un véritable camouflet.
Battus consécutivement par l’Argentine (de Manu Ginobili) au deuxième tour (87-80), la Yougoslavie (de Peja Stojakovic) en quart de finale (81-78) et même l’Espagne (de Pau Gasol) en match de classement (81-75), les Américains étaient tout simplement à côté de la plaque, trop sûr d’eux et (déjà) fainéants sur les tâches défensives. Symbole de ce gâchis collectif, les Américains finiront à moins de 63% de réussite aux lancers-francs sur la compétition !
« On se connait bien, on sait où les écrans vont être posés, quand couper pour la passe », assénait Manu Ginobili. « Apparemment, ce n’était pas le cas pour eux ! »
Japon – 2006
Médaille de bronze : 8 victoires – 1 défaite
En reconquête après les fiascos consécutifs du Mondial 2002 et des Jeux olympiques de 2004, terminés tout de même avec une médaille de bronze, Team USA a fait peau neuve en engageant Mike Krzyzewski en 2005, avec l’objectif de remettre les Etats-Unis tout en haut du classement mondial. Là où il les avait laissés en tant qu’assistant dès 1984 et ensuite en 1992 avec la légendaire Dream Team.
Simultanément, c’est l’arrivée en sélection d’une nouvelle génération, celle de la Draft 2003. LeBron James, Carmelo Anthony, Dwyane Wade, Chris Bosh et même Kirk Hinrich, ça fait quasiment un cinq majeur qui est appelé à remettre de l’ordre dans la maison. Encadrés par d’autres futurs All-Stars, voire Hall of Famers, avec Chris Paul et Dwight Howard, cette mouture avait fière allure.
Mais, ironie du sort, c’est un autre membre de la cuvée 2003, choisi bien plus bas, au 34e choix par les Clippers, qui va de nouveau mettre à mal les rêves de domination américaine. Oui, souvenez-vous, cette victoire mémorable des Grecs, avec une démonstration de pick & roll de Theo Papaloukas (8 points, 12 passes) et du drafté en question, « Baby Shaq » Sofoklis Schortsanitis (14 points à 6/7).
Sorti en demi-finale, Team USA va néanmoins faire front pour monter sur le podium, à la troisième place. Plus tard, on apprendra que cette expérience japonaise a été fondatrice, puisque c’est de ce rebond de fierté pour aller chercher la médaille de bronze face à l’Argentine, alors championne olympique en titre, qui va lancer le programme de Team USA qui ira reconquérir le monde à Pékin puis en Turquie.
Turquie – 2010
Médaille d’or : 9 victoires – 0 défaite
Les parallèles ont souvent été tracés entre la Dream Team de 1992, et la « Redeem Team » de 2008. Et pour cause, à chaque fois, la fédération américaine avait sorti les gros moyens pour se replacer au sommet de la hiérarchie mondiale. Et, dans la foulée, que ce soit en 1994 (voir plus haut) ou en 2010, le Team USA a réussi à surfer sur la dynamique pour aller faire coup double avec l’or olympique suivi de l’or mondial !
Pourtant, à l’ouverture de la compétition en Turquie en septembre 2010, et après trois éditions consécutives ratées, les Américains ne font pas forcément les fiers avec un effectif entièrement remanié par rapport à celui de Pékin. Un effectif très jeune, environ 24 ans de moyenne, dont seulement deux trentenaires : Chauncey Billups et Lamar Odom, deux champions NBA censés encadrer la pépite Kevin Durant (21 ans) et ses jeunes acolytes, tels que Russell Westbrook (21 ans), Derrick Rose (21 ans) ou encore la superstar en devenir des Warriors, Stephen Curry (22 ans).
Accrochés par le Brésil en match de poule (70-68) mais sauvé par un Durant stellaire (27 points), les Américains vont ensuite s’imposer sans trop de problème face à la Russie en quart de finale (89-79), la Lituanie en demie (89-74) et finalement face à l’hôte turc en finale (81-64). Ainsi, sur les épaules d’un KD déjà au sommet de son art, à 23 points par match, ils confirment le renouveau de leur sélection avec la première médaille d’or depuis 1994 !
« Ce titre de champion représente beaucoup parce que nous avons une très jeune équipe », avait commenté Coach K tout en humilité. « Nous n’avions pas gagné le Championnat du monde depuis 1994 et, en tant que pays, nous essayons de montrer un grand respect aux Championnats du monde. Ce que je ne suis pas sûr que nous avons fait il y a une décennie… » (Une leçon qui n’a visiblement pas été retenue depuis non plus).
Espagne – 2014
Médaille d’or : 9 victoires – 0 défaite
De nouveau leaders incontestés de la planète basket après avoir enchaîné l’or olympique à Pékin en 2008 puis à Londres en 2012, tout en assurant le service après-vente en Coupe du monde en 2010, les Américains débarquent en Espagne pour la Coupe du monde 2014 avec la ferme intention de conforter leur fauteuil de patron.
Pour ce faire, Coach K et son staff ont de nouveau eu tout loisir de piocher dans le réservoir très profond de talent à leur disposition. Malgré le forfait de Kevin Durant, qui avait porté l’équipe en 2010, et d’autres superstars en puissance (James, Anthony, Wade), Team USA présente une équipe bien équilibrée avec une multitude d’armes offensives, à commencer par Kyrie Irving en mode MVP, un James Harden aux dents longues et un Derrick Rose toujours aussi saignant, plus une génération dorée en son sein dont le duo des Warriors amenés à de grandes choses à l’avenir, Stephen Curry et Klay Thompson.
Bienheureux de ne pas croiser la route de la Roja à domicile, car cette dernière a mordu la poussière face à la France en quart, les USA sont tout simplement un ton au-dessus de tout le monde ! Avec 33 points d’écart en moyenne, la troupe américaine écrase tout sur son passage : +23 en huitièmes face au Mexique, +43 face à la Slovénie en quart, +28 face à la Lituanie en demie, et le bouquet final face à la Serbie pour décrocher l’or : +37 !
Pour la première fois de leur histoire, les Etats-Unis parviennent à conserver leur couronne mondiale, un exploit réalisé à deux reprises seulement dans l’histoire, par le Brésil (1959, 1963) et la grande Yougoslavie (1998, 2002) avant eux. L’équipe américaine est alors à l’apogée de sa domination… et aux prémices d’une chute vertigineuse qu’elle n’avait probablement pas prévue aussi tôt.
Chine – 2019
Septième place : 6 victoires – 2 défaites
Forts d’une série de 58 victoires consécutives sur la scène internationale, et en course pour gagner trois Coupes du monde consécutives après avoir remporté trois médailles d’or de suite aux Jeux olympiques, les Américains vont de nouveau tomber de haut à la Coupe du monde chinoise de 2019.
Désormais sous la houlette de Gregg Popovich après la retraite de Coach K, Team USA part déjà du mauvais pied après une (énième) hécatombe de superstars. Les Anthony Davis, LeBron James, Stephen Curry, Kawhi Leonard, James Harden, Kyrie Irving, Damian Lillard ont tous refusé l’appel des drapeaux pour se reposer et le « braintrust » de la fédération américaine doit donc faire avec les moyens du bord (dont Derrick White et Joe Harris), bricolant un effectif autour de jeunes stars comme Donovan Mitchell et Jayson Tatum, appelé à jouer le rôle de scoreur à la Kevin Durant 2010. Et seulement deux All Stars cette année-là : Kemba Walker et Khris Middleton qui ont tous deux cristallisé les difficultés américaines tout au long du tournoi.
Team USA prend une leçon d’humilité en Chine
Invaincus au premier puis au second tour, les Américains ne sont néanmoins pas véritablement convaincants, s’imposant de justesse en prolongation face à la Turquie (93-92) par exemple. Brouillon offensivement et plus que friable défensivement, Team USA est carrément sorti en quart par la France (89-79), confirmant que la sauce n’a jamais pris.
Terminant finalement à une peu glorieuse septième place, son pire classement dans l’histoire, après une nouvelle défaite face à la Serbie en match de classement, Team USA a pris une nouvelle leçon d’humilité alors que Popovich découvrait le basket FIBA et que son effectif sans superstar n’aura pas eu le temps de trouver son alchimie ni son rythme de croisière.
« Quand on ne gagne pas, les gens veulent trouver des responsables », lançait Pop après coup. « Mais il n’y a aucune honte à avoir. On devrait avoir honte de ne pas avoir gagné l’or ? C’est une attitude ridicule, immature et arrogante. Ça montre que ces gens ne respectent pas les autres équipes internationales et ne respectent pas nos joueurs qui ont fait de leur mieux. »