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Kobe, l’onde de choc

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Pourquoi la mort accidentelle de Kobe Bryant touche autant en France, et ailleurs dans le monde ?

La secousse est planétaire, comme l’étaient la mort de Michael Jackson, les attentats ou l’incendie de Notre Dame. Depuis dimanche soir, je suis surpris par l’émotion collective en France et en Europe, et finalement dans le monde entier, suscitée par le décès accidentel de Kobe Bryant. Pourquoi un joueur qui n’a été MVP qu’une seule fois et qui était à la retraite depuis trois ans a rougi les yeux de nombreux journalistes et fait verser des larmes aux basketteurs d’hier et d’aujourd’hui, mais aussi aux tennismen, aux footballeurs et bien sûr à des millions de fans à travers le monde ? Pourquoi un sportif qui n’a jamais joué sur le sol français se retrouve en une de l’Equipe deux jours de suite ? Pourquoi les médias français généralistes ont fait des émissions spéciales pendant 24 heures ?

Pour la France, j’y vois plusieurs explications. La première, c’était que les Français avaient encore la NBA en tête puisque 48 heures plus tôt, avait eu lieu Milwaukee – Charlotte à Paris. Ça semble si loin mais c’était vendredi soir. Il y a une éternité. Le monde a basculé depuis.

La France venait de retrouver la magie de la NBA

Pendant plusieurs jours, la France a vécu au rythme de la NBA avec les présences de Michael Jordan et Tony Parker, peut-être les basketteurs les plus connus en France pour le grand public. Pendant quelques jours, les Français ont rattrapé dix ans d’absence, et lorsqu’on apprend le décès de Kobe Bryant dimanche soir, la NBA était encore dans les têtes des non initiés. Des non initiés qui savent aussi que les Lakers de Los Angeles sont l’équipe NBA la plus prestigieuse et la plus connue au monde, et qui découvrent dimanche que son père avait joué à Mulhouse.

Pour les initiés, de plus en plus nombreux d’année en année, il y avait l’excitation de revoir de la NBA en France, et ce week-end, on pensait déjà à 2021 et au prochain retour de deux franchises pour un match officiel… Mais cette mort subite intervient aussi quelques heures après que LeBron James a dépassé Kobe Bryant à la troisième place du classement des meilleurs marqueurs de l’histoire. On avait passé la journée à relayer les messages de félicitations, dont celui de Kobe Bryant pour son successeur aux Lakers. C’est la tragique ironie de l’histoire, Kobe Bryant décède quelques heures après avoir perdu sa 3e place au classement des meilleurs marqueurs. Il décède aussi une vingtaine de jours après David Stern. L’ancien patron de la NBA et Kobe Bryant sont peut-être ceux qui ont le plus œuvré pour la mondialisation de la NBA depuis 20 ans. Quand il a fallu conquérir l’Asie ou relancer Team USA et reconquérir l’or olympique, Kobe était au front.

Pour la France des initiés, Kobe Bryant, c’est aussi le joueur qui a le mieux assuré la transition entre les deux périodes dorées de la NBA, entre les générations Michael Jordan/Magic Johnson et LeBron James/Steph Curry. Ils étaient plusieurs sur la ligne de départ : Allen Iverson, le Shaq, Penny Hardaway ou encore Vince Carter. En France, c’est lui qui a fait le lien entre la génération qui a découvert la NBA avec Canal+ et celle qui s’est nourrie aux highlights sur YouTube et les réseaux sociaux. À titre personnel, avec ma quarantaine bien tassée, Kobe Bryant n’a jamais été une idole, comme ont pu l’être Magic, Jordan et Olajuwon, car j’ai découvert la NBA dans les années 80. Mais j’ai eu la chance de couvrir les Finals 2010, et sur et en dehors du terrain, j’ai compris ce qu’était le charisme d’une superstar. C’est impalpable. C’est une attitude, une voix et un respect et une peur dans les yeux des adversaires.

Avec 20 ans de carrière, Kobe Bryant était un champion inter-générationnel

En revanche, pour celles et ceux nés dans les années 80, c’est l’héritier, l’homme aux 81 points et le champion aux cinq titres. C’est aussi un joueur qui a grandi avec eux, arrivé ado en NBA, et devenu adulte aux côtés du Shaq et sous la coupe de… Phil Jackson, le même coach que Michael Jordan. La carrière de Kobe Bryant, longue de 20 ans, a accompagné des ados, devenus pères et mères, qui avaient sans doute déjà transmis le virus à leurs enfants. Des pères et des mères bouleversés d’apprendre que sa fille Gianna était avec lui dans l’hélicoptère, ainsi que de jeunes coéquipières et leurs parents.

Ensuite, il y a bien sûr le caractère tragique de sa mort, dans un accident d’hélicoptère, à seulement 41 ans. La France a vu des icônes fauchées en pleine gloire, qu’il s’agisse d’Albert Camus, de Cerdan, Balavoine, Coluche ou encore Camille Muffat, Alexis Vastine et Emiliano Sala. En France, on sait ce que c’est de perdre un sportif ou une célébrité dans un accident. Quand on apprend le décès de Kobe dimanche soir, on pense forcément à Balavoine et aux sportifs de l’émission Dropped, mais aussi et surtout à Sala dont on se remémorait, quasiment jour pour jour, le décès dans un accident d’avion. La France fêtait la NBA, mais le monde du sport était aussi dans le souvenir ce week-end.

Et puis il y a les sportifs français actuels ou évoluant en France qui avaient déjà rencontré Kobe Bryant. Lorsque Neymar marque face à Lille, il rend hommage à Kobe Bryant, et c’est un décès qui dépasse immédiatement le monde du basket.

Le sportif est un héros qui joue son propre rôle

Ailleurs, dans le monde, l’émotion est aussi grande et elle se matérialise. En Asie, où il se rendait quasiment chaque année, Kobe Bryant était un demi-Dieu. Mais l’émotion et le recueillement sont partout, et quelques heures après sa mort, des veillées s’organisent, des fresques apparaissent, des villes et des salles prennent les couleurs des Lakers et des sportifs portent son maillot. Le 8 ou le 24, le jaune et le violet sont partout. À l’Open d’Australie, Nick Kyrgios entre sur le court avec son maillot. D’autres laissent un message sur leurs chaussures, tandis que Novak Djokovic pleure au milieu du terrain lors de l’interview d’après-match. À Milan, tout San Siro s’est levé pour lui rendre hommage. Un stade de foot qui célèbre un basketteur. C’est du jamais vu.

La mort de Kobe Bryant touche tous les sportifs car il aimait tous les sports. Il était curieux de tout. Elle touche aussi tous les sportifs car c’était un individualiste dans un sport collectif. C’était un tueur et un méchant, mais aussi un perfectionniste et un bourreau de travail. Quelqu’un qui préférait être craint qu’être aimé. Comme Senna d’ailleurs dans un autre sport, autre légende fauchée dans un accident. Comme l’expliquait le documentaire d’Hervé Mathoux sur le football diffusé sur Canal+, il y a déjà un côté tragique, au sens littéraire du terme, dans le sport : un vainqueur, un perdant, un héros, des humiliés, une unité de lieu et d’espace, des spectateurs, des rebondissements… Le sportif est un héros qui joue son propre rôle, et lorsque Kobe se blesse, c’est déjà une petite mort qu’il refuse en allant tirer un lancer-franc avec un tendon d’Achille rompu. Et quand il meurt accidentellement, c’est le retour à la réalité. Brutal. Ce n’était pas que du sport, c’était la vie.

Le besoin et le souci de transmettre

Kobe Bryant, c’était aussi cette fameuse « Mamba Mentality » qui dépasse le cadre du basket et qu’il entendait appliquer à tout type d’activité et tout sport. Il expliquait que son seul souci était de laisser un héritage, et d’être un modèle. Pour lui, c’était plus important que tous les palmarès. On réussit sa carrière lorsqu’on devient un modèle. Il le sait puisqu’il a copié Michael Jordan, et qu’il était devenu le tuteur de Kyrie Irving ou Jayson Tatum, mais aussi de Novak Djokovic. Il les prenait à part pour quelques sessions d’entraînement, ou leur donnait quelques conseils sur l’attitude et le leadership. Il voulait transmettre et on avait découvert un nouveau Kobe depuis le début de saison.

Après deux ans loin du Staples Center, il y était revenu. Pour sa fille dont il était le coach particulier, mais aussi de son équipe. C’est en allant à un match, dimanche matin, que leur hélicoptère s’est écrasé là où la terre tremble si souvent. Comme l’a dit si joliment Olivia Leray sur France Info, « Une légende, ça travaille le jour et ça vient chez toi quand la lumière s’éteint, dans les rêves des enfants et dans les nuits blanches des plus grands ». » Kobe, c’était des nuits blanches de son vivant. Ça l’est aussi depuis sa mort. Pour les petits et les grands. Comme si la secousse de dimanche soir nous empêchait de fermer l’oeil.

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