Au coude-à-coude avec Nikola Jokic pour le prochain titre de MVP de la Ligue, Joël Embiid a encore frappé très fort dimanche soir, avec un match à 44 points, 17 rebonds et 5 contres pour venir à bout des Cavaliers. Le pivot camerounais des Sixers tourne cette saison à 30 points, 11 rebonds, 4 passes et plus d’un contre par match, la meilleure de ses six campagnes dans la Grande Ligue.
Inarrêtable avec sa puissance physique, Joel Embiid y a également ajouté une large panoplie de mouvements au poste bas, mais aussi du tir extérieur pour présenter un jeu aussi complet qu’effrayant pour ses adversaires directs. Alors, quand son ancien coéquipier reconverti dans les médias, JJ Redick, le titille sur sa capacité à aller chercher des fautes et se rendre sur la ligne des lancers, il a sa répartie déjà prête à l’emploi.
« Ce n’est pas de la triche à rechercher la faute, c’est du QI basket », estime Joel Embiid dans le podcast de JJ Redick, réagissant à un clip vidéo. « Je savais qu’ils étaient dans la pénalité et qu’ils venait de faire deux fautes de suite. C’est facile à comprendre. Si l’autre équipe est dans la pénalité, vous savez ce qui va arriver, je vais aller provoquer. Comme le ferait Chris Paul. Ce sont les règles du jeu et on en tire les avantages, ce n’est pas ma faute, ce n’est pas sa faute, c’est comme ça. On joue intelligemment. Si vous êtes dans la pénalité et que j’ai le ballon, je vais évidemment aller attaquer et il vaut mieux enlever les mains ! »
« Pourquoi je suis si souvent aux lancers ? Parce que j’attire constamment les prises à deux ou à trois »
De la même manière, quand Tyronn Lue avait pesté sur son jeu tout en puissance qui se finit bien souvent sur la ligne de réparation (« Si on retire les lancers-francs, aucun de ces deux-là n’est dans le Top 10 des meilleurs marqueurs », avait déclaré le coach de Clippers), Joel Embiid ne peut que se marrer. Dans la même ligne que son GM, Daryl Morey, qui avait répondu à l’entraîneur des Clippers, Joel Embiid ne peut que souligner la logique déficiente de ce raisonnement…
« Ça n’a aucun sens de dire ça ! Évidemment que si on m’enlève les lancers, je serais moins fort parce que c’est un de mes points forts. C’est comme si je te demandais [à JJ Redick] si tu aurais eu la même carrière NBA sans ta qualité de shoot ? Mais posez-vous les bonnes questions : pourquoi suis-je si souvent aux lancers ? C’est parce que j’attire constamment les prises à deux ou à trois. Ça montre simplement que vous ne pouvez pas me défendre en un-contre-un. Et si vous tentez de le faire, je vais aller marquer ou aller aux lancers. Je suis physique, je vais t’attaquer et je vais marquer. Si tu ne fais pas faute, c’est ce qui va arriver. »
« Je choisis mes moments quand je veux jouer physique »
Face aux Knicks, Joel Embiid et les Sixers ont poussé cette logique jusqu’à son terme. En cette soirée du 27 février dernier, Philly était allé s’imposer au Madison Square Garden et le pivot All-Star des Sixers avait tout simplement inscrit 23 de ses 37 points aux lancers. À 23/27 !
« Ce match, je crois que je suis allé aux lancers 27 fois. Donc le match suivant, je savais qu’ils allaient essayer de m’empêcher de refaire le coup. De mon côté, je me suis dis que je devais être encore plus agressif pour obliger les arbitres à siffler les fautes. Si je pars au cercle et qu’on me touche sans que la faute soit sifflée, tu peux être sûr que l’action suivante, je vais y retourner et je vais mettre encore plus de puissance dans mon attaque pour forcer le coup de sifflet. »
Pour tenir ce rythme et imposer cette masse, à l’instar d’un Shaquille O’Neal voire d’un Zion Williamson récemment, Joel Embiid revient de loin. Il faut évidemment se souvenir de ses débuts très compliqués en NBA, avec pas moins de deux saisons blanches, plus une autre à seulement 31 matchs lors de sa campagne « rookie ». Ce petit nombre de matchs lui a précisément coûté le titre de meilleur rookie de l’année, au profit de Malcolm Brogdon.
« Avec les années, j’ai appris à jouer et gérer mon physique. Surtout après avoir raté mes deux premières années. Le plus important a toujours été d’être en bonne santé. Je choisis un peu mes moments quand je veux jouer physique parce que je veux être capable de jouer tous les matchs. Je ne veux pas me mettre constamment dans des situations où je vais provoquer la faute et où je peux aussi me faire mal. Je fais attention et je gère mon effort. Je sais quand je dois jouer physique pour certains gros matchs. Ou quand j’ai fait un petit match, alors tu peux me croire que je vais revenir plus fort. »
« En un-contre-un, je ne vois personne qui peut vraiment me tenir »
Pendant de ce jeu qui implique contacts et frictions dans la peinture, Joel Embiid doit gérer beaucoup d’interactions avec le corps arbitral. S’estimant souvent lésé dans ce rapport de force brute, le pivot de Philly a développé sa propre méthode et sa pédagogie pour discuter avec les officiels.
« Quand [un arbitre ne siffle pas après un contact], je vais le voir et je vais lui dire de siffler la prochaine fois. Parce que je vais refaire le même mouvement [pour aller chercher la faute] et il va finir par siffler. Je sais qu’on est tous des êtres humains et qu’on commet des erreurs. Les arbitres font des erreurs. Mais peu importe ce qu’ils sifflent, ou quand l’un ne siffle pas parce qu’il attend que ce soit l’autre qui siffle, je vais quand même continuer à tenter ces tirs compliqués, parce que je les travaille à l’entraînement. »
Sûr de sa valeur et de ses capacités, Joel Embiid estime qu’il n’a aucun rival actuellement dans la Ligue. Selon lui, aucun pivot aujourd’hui en NBA ne peut parvenir à le tenir en un-contre-un. Quelques noms lui reviennent bien à l’esprit, mais rien qui ne lui inspire la terreur.
« Je ne pense pas. Je me souviens à l’époque qu’on parlait beaucoup de Marc Gasol, avec Toronto. Mais ils envoyaient constamment des prises à deux, à trois face à moi. Si on parle vraiment de défense individuelle, il n’y a pas grand-monde, sans vouloir me la jouer. Il y a Al Horford qui a réussi assez bien, mais au final, si on revoit le match, vous verrez qu’il y avait des prises à deux aussi. En un-contre-un, je ne vois personne qui peut vraiment me tenir. »
Force de la nature avec 2m13 pour 127kg, Joel Embiid a appris à maîtriser son corps pour devenir une véritable machine de guerre pour ses Sixers. Vrai maître à bord d’un navire qui a traversé vents et marées cette saison, entre la saga Ben Simmons et l’arrivée de James Harden, il avoue ne pas se laisser happer par sa compétitivité comme avant. Le jeune chien fou s’est assagi…
« J’ai beaucoup changé avec les années. Avant, j’étais beaucoup plus dans le trashtalking et j’insultais un peu tout le monde [rires]. Il n’y a que quelques gars maintenant qui peuvent me faire revenir au trashtalking et [KD] est l’un d’entre eux. Car il parle tout le temps, il est toujours à fond et il sait qu’il est bon. J’aime son énergie. Ce qui m’a fait le plus changer est de devenir père. Je veux donner un bon exemple. J’ai arrêté d’insulter car je ne veux pas que mon fils en prenne l’habitude. »
« Quand on fait du trashtalking, il faut pouvoir assurer derrière »
Cela dit, comme son duel face à Kevin Durant l’a rappelé, Joel Embiid ne peut pas toujours s’empêcher de rentrer dans les discussions où volent les noms d’oiseaux, quand le feu de la compétition reprend le dessus.
« Je n’oublie rien. L’histoire avec KD, c’est qu’il m’avait indiqué la sortie quand ils nous avaient battus le premier match à Brooklyn [le 17 décembre dernier]. Et donc, je me devais de lui rendre la pareille au deuxième match, quand on les a battus chez eux, sur son terrain [le 31 décembre]. Sur cette action, je lui parlais du flopping. Si tu es un compétiteur, ne tombe pas en arrière, accepte le défi physique et reste debout. Je ne révélerai pas ce qu’on s’est vraiment dit [rires] mais il disait qu’il était là… Mais ça n’avait pas de sens vu qu’il avait floppé. Mais bon, j’adore KD, il sait tout faire sur un terrain. Avec sa taille, il est tellement talentueux, que ce soit au scoring mais aussi dans tous les aspects du jeu. J’adore jouer contre lui car il est toujours à faire du trashtalking sans véritable raison. Il joue comme ça, il est intense. Je suis comme ça aussi, j’aime me motiver comme ça aussi. »
En parlant de « trashtalking », Joel Embiid s’inclut volontiers dans le paquet des joueurs les plus volubiles sur les planches. Mais, en évoquant le nom de Patrick Beverley, il expose également sa théorie sur le « parler poubelle ». Mieux vaut pouvoir assurer quand on l’ouvre sans cesse !
« Draymond. KD [font partie du Top 5 actuel]. Mais je vais vous dire pour moi, quand on fait du trashtalking, il faut pouvoir assurer derrière. Et du coup, un gars comme Patrick Beverley me fait un peu rire. Je ne veux pas lui manquer de respect parce que je l’aime bien, et je respecte vraiment ce qu’il fait, mais il n’y arrive pas forcément. Il y a peu de gars qui peuvent le faire. Book aussi, oui ! Il est moins connu pour ça mais il parle tout le temps, c’est incroyable ! Mais ça ne me dérange pas parce qu’il fait partie de ces gars qui savent qu’ils sont super bons. »
Désormais associé à James Harden dans la cité de l’amour fraternel, Joel Embiid a tourné la page Ben Simmons, même s’il y laisse quelques regrets tant leur association avait un potentiel intéressant.
L’arrivée du barbu à Philly s’est plutôt bien passée et Joel Embiid s’en réjouit. Mais il s’inquiète également du peu de vécu collectif partagé avec l’ancien de Houston et de Brooklyn quand d’autres prétendants, et notamment Milwaukee à l’Est, ont déjà une alchimie collective bien supérieure à la leur.
« Ça s’est fait naturellement. Evidemment, on se parle souvent parce qu’on est de nouveaux coéquipiers. Mais c’est le cas avec tous les gars de l’équipe. Ça s’est passé naturellement parce que je savais que son arrivée allait me rendre meilleur, et en retour, ma présence allait aussi le rendre meilleur. Je savais aussi que j’allais devoir faire quelques concessions, comme le jeu au poste bas. Ces derniers matchs, je n’ai pas eu beaucoup de positions, je fais plutôt de la pose d’écrans et je roule vers le cercle. Ou je crée du jeu au poste haut. C’était une opportunité pour notre équipe de s’améliorer. On va avoir joué une vingtaine de matchs ensemble, ce qui n’est pas énorme quand on veut aller gagner le titre. ça va être difficile, et pas seulement entre lui et moi, mais l’alchimie collective. »
« Quand je suis arrivé dans la Ligue, mon objectif était de gagner un trophée de meilleur défenseur »
Constamment évoqué dans le débat pour le MVP, Joel Embiid assure pourtant que le MVP est en quelque sorte un bonus. À vrai dire, c’est un autre trophée qu’il vise, et qu’il vise depuis ses débuts…
« Quand je suis arrivé dans la Ligue, mon objectif était de gagner un trophée de meilleur défenseur. Car je n’ai jamais imaginé que je pourrais faire partie de la discussion pour être MVP. Ce n’était jamais un objectif car je pensais que j’allais être moyen en attaque mais qu’en défense, je pourrai montrer que j’ai le niveau pour cette Ligue. C’est pour ça que ça m’énerve parce que ce trophée est important pour moi et les gens l’oublient. »
Arrivé sur le tard au basket, et passé très rapidement pas la case universitaire à Kansas, Joel Embiid a dû apprendre sur le tas. Et vite ! Sur le campus des Jayhawks, il avoue avoir beaucoup bénéficié de la présence de son coéquipier canadien, Andrew Wiggins, entouré d’une immense « hype ». Quand les scouts NBA venaient observer le natif de Toronto, ils repartaient souvent en se demandant qui était ce pivot qui, bien malin, s’amusait à enchaîner les « dream shakes », les tirs en crochet ou les tirs à mi-distance (en un-contre-zéro) à la fin des entraînements…
« Ça a commencé à Kansas. Durant certains entraînements, le coach nous disait que seuls Wigg [Andrew Wiggins] et moi avions le droit de shooter. C’est là que j’ai commencé à prendre confiance parce que mon équipe dépendait de moi pour marquer. Donc je devais trouver des moyens de mettre des paniers. Je pouvais faire ce que je voulais et j’ai donc expérimenté pas mal de choses à ce moment-là. À l’époque, je regardais beaucoup de vidéos de Hakeem, Dirk, Pat Ewing. C’est ça qui m’a inspiré et j’ai peu à peu pris conscience que j’arrivais à maîtriser certains de leurs mouvements. Et c’est parti comme ça. »
Troisième choix de la Draft 2014, Joel Embiid était l’archétype du « projet ». Un joueur à fort potentiel, mais où tout était encore à faire, aussi bien physiquement que techniquement. Huit ans plus tard, le projet est quasiment réalisé. Le « Process » s’est bien déroulé et le Camerounais fait partie des tous meilleurs joueurs du monde.
En attendant la (ou les) récompense(s) qui en attesteront pour l’éternité…
« On parlait tout à l’heure du fait que j’ai commencé le basket très tard et c’est vrai : je n’étais pas censé arriver jusqu’ici. Je devais essayer de devenir un joueur pro au volley. Jusqu’à ce que Luc [Mbah a Moute] organise ce camp et que j’y participe. Et puis ensuite, j’ai perdu trois ans en début de carrière à cause des blessures. Après, j’ai perdu mon frère et j’ai vraiment envisagé de tout arrêter pour revenir chez moi [au Cameroun]. Beaucoup de choses se sont passées entre temps. J’ai énormément grandi depuis mes débuts au Cameroun. Et en Afrique en général, où on n’a rien de tout ça. Même si j’avais grandi en jouant au basket, on n’a pas les mêmes infrastructures. Tous nos terrains sont en extérieur, les conditions ne sont pas super. Je veux réussir pour tout le continent africain, comme Hakeem l’a fait avant moi. Mais [ce titre de MVP] n’est pas non plus vraiment un objectif car c’est quelque chose que je ne contrôle pas. Je m’efforce simplement de me donner à fond et être le meilleur possible. »