« Je l’avais défié de mettre 50 points mais cet enfoiré en a mis 60 ». Shaquille O’Neal a résumé en une phrase la dernière sortie, voire la carrière de Kobe Bryant. Jusqu’au bout, la star des Lakers aura été un homme de défis, et il a fait oublier des mois, voire trois ans, de déceptions par une performance historique, surréaliste, voire absurde.
Qui aurait pu imaginer que Kobe finisse sa carrière sur un match à 60 points ? Personne. Qui aurait pu imaginer qu’il prenne 21 tirs à 3-points ? Personne. Qui aurait pu imaginer qu’il plante 17 points de suite pour arracher la victoire ? Personne… sauf lui sans doute.
Le défi permanent
Kobe est un homme de défis. Depuis toujours. Toutes les anecdotes sur lui font mention de challenges. Celui d’égaler Magic Johnson ou Michael Jordan pour le nombre de titres, ou de faire mieux que le Shaq. Celui d’humilier toutes les recrues des Lakers et les adversaires qui oseront se mettre en travers de son chemin. Celui d’être plus fort que trois blessures qui auraient brisé les carrières de n’importe quel joueur de plus de 35 ans.
Bien assis sur son trône de meilleur joueur de sa génération, Kobe avait besoin que sa cour l’amuse et lui lance des défis. Comme d’inscrire 62 points en trois quart-temps ou 81 points sur un match. Déjà des performances absurdes mais… inoubliables.
Comme de s’emparer aussi du record de tirs à 3-points inscrits sur un match, ou de décrocher, à bientôt 38 ans, le record de points de la saison. Comme de dépasser Michael Jordan, son idole et maître, au classement des meilleurs marqueurs. Mais aussi, et ce n’est pas un mince exploit, de reléguer au second plan l’incroyable record des Warriors, qui effacent des tablettes les Bulls avec une 73e victoire en saison régulière.
J’avoue que c’est pour ça qu’à 4h30, je me suis branché sur Lakers-Jazz plutôt que sur Warriors-Grizzlies. Kobe a beau m’agacer cette saison, je voulais voir sa dernière sortie car c’est une chance de voir le dernier match d’une légende. Etre le témoin de sa sortie, en espérant quelques éclairs de génie ou d’émotion. Je n’imaginais évidemment pas un tel scénario, mais au final, c’est du Kobe craché, toujours capable de nous surprendre, comme lorsqu’il avait tiré ses lancers-francs après s’être déchiré le tendon d’Achille. C’était il y a trois ans, jour pour jour. Déjà au Staples Center.
Une tournée ratée mais une sortie réussie
A Hollywood, on aime les héros, que ce soit dans des drames ou des comédies. La vedette, ce n’est pas le cinéma en lui-même ou le film mais bien l’acteur. Le fameux « star system ». A Los Angeles, on se déplaçait pour Magic, Wilt, Kareem ou Kobe plus que pour voir les Lakers… C’est d’autant plus vrai avec Kobe depuis quelques saisons.
Cette nuit, pour sa dernière, Kobe était plus grand que les Lakers, plus grand aussi que l’exploit des Warriors, et tout simplement plus grand que le basket et la NBA. L’épilogue de sa carrière dépasse l’entendement, et le sport en général, et efface une saison historiquement médiocre sur les plans collectif et individuel. Comme un acteur perdu dans un film moyen et qui donne tout dans sa dernière tirade. Que retiendra-t-on ? Que le film était un navet, ou que l’acteur était encore capable de scènes exceptionnelles ?
Au final, Kobe a loupé sa tournée d’adieux, mais il a réussi sa sortie. Quels autres joueurs de légende peuvent en dire autant ? En voyant Kobe cette nuit, je n’ai pas pensé au Michael Jordan des Wizards dont la tournée d’adieux fut aussi douteuse, mais au Magic Johnson du All-Star game 1992. Une sorte de jubilé, parfaitement orchestré, presque mis en scène, qui touche au sublime dans les derniers instants.
Pour l’éternité sans doute, Kobe s’est emparé des records de points pour un joueur aussi âgé, mais aussi pour une dernière en carrière. C’en est absurde, mais tout aussi inoubliable. C’est le paradoxe même de la carrière de Kobe.
Ça lui suffit sans doute à effacer une fin de carrière indigne de son palmarès et de sa carrière, mais à laisser l’image d’un incroyable compétiteur, dans la maîtrise totale de son destin.