« I’m back ». C’est par un communiqué reprenant la mythique annonce du retour de Michael Jordan que l’agent de Jimmy Butler a annoncé la réintégration de l’ailier du Heat dans son équipe, suite à la fin de sa suspension.
On le sait, « Jimmy Buckets » maîtrise l’art de la provocation, subtile et parfois moins subtile. Dans un long article, ESPN détaille ainsi comment le point de rupture entre le joueur et la franchise a été atteint, le Heat, pourtant peu coutumier des traitements de faveur, ayant accordé énormément de latitude à son joueur (vols privés, possibilité de loger loin du groupe lors des matchs à Denver pendant les Finals 2023…) jusqu’à ce que Pat Riley ne siffle violemment la fin de la récréation lors de sa conférence de presse de fin de saison dernière.
« Si tu n’es pas sur le terrain en train de jouer contre les Celtics ou les Knicks, alors tu ferais mieux de la fermer » avait-il rétorqué face aux provocations de son joueur, qui avait expliqué que, sans sa blessure, ces deux équipes « seraient à la maison » et n’auraient pas fait le poids face au Heat en playoffs.
Le coup de poing sur la table du patron du Heat était autant une réaction qu’un message, tout le monde ayant alors bien compris que Miami n’était pas enclin à prolonger Jimmy Butler au maximum, comme ce dernier le souhaitait.
« Nous n’en avons pas discuté pour le moment » précisait Pat Riley sur le sujet. « Mais nous devons l’envisager et envisager quand (le prolonger). Nous n’avons pas encore pris de décision à ce propos… C’est une décision importante pour nous, de mobiliser ce genre de ressources. À moins d’avoir quelqu’un disponible tous les soirs. »
Le message était assez clair : le Heat n’était pas disposé à offrir une prolongation de contrat de 113 millions de dollars sur trois ans à un joueur de 35 ans, qui avait certes mené l’équipe à deux Finals (2020 et 2023) après des campagnes de playoffs de haut niveau mais qui ratait toujours beaucoup de matchs de saison régulière (entre 52 et 64 matchs joués lors de ses cinq saisons à Miami) et qui n’était pas vu comme le leader du vestiaire.
Après la retraite du capitaine historique, Udonis Haslem, c’est Bam Adebayo qui a ainsi été désigné capitaine, sans que personne n’envisage réellement Jimmy Butler pour le rôle. C’est que ce dernier n’est pas un rassembleur, il aime surtout provoquer adversaires et coéquipiers pour les juger en fonction de la résistance qu’ils lui opposent.
Une façon de faire qui ne lui a jamais permis de totalement emporter l’adhésion autour de lui, tant dans le vestiaire que chez les dirigeants, dans les différents clubs où il est passé.
Il n’aime pas Fred Hoiberg à Chicago, Rajon Rondo le recadre…
À Chicago, déjà, l’aventure s’était terminée parce que les dirigeants avaient répondu négativement à la question qui a poursuivi Jimmy Butler pendant toute sa carrière : peut-on construire autour de lui ?
Arrivé en 2011 aux Bulls, sur la pointe des pieds, l’ailier s’était fait sa place en NBA, comme dans la vie, grâce à une volonté de fer. Son côté « two-way player » en avait vite fait un soldat précieux pour Tom Thibodeau, d’autant plus avec les problèmes physiques de Derrick Rose. Avec le départ de ce dernier, mais aussi de « Thibs », Jimmy Butler a donc récupéré les clés de l’équipe, dirigée par un Fred Hoiberg censé mettre en place un jeu « plus moderne »…
La suite, c’est Michael Carter-Williams qui la raconte. Recruté par les Bulls lors de la saison 2016/17, le Rookie de l’année 2014 décrit le « pire vestiaire de sa carrière », avec un Jimmy Butler en guerre contre son coach.
Lors d’une réunion d’équipe, dès le début de saison, Fred Hoiberg demande à sa star ce qu’il se passe. Réponse du All-Star : « Premièrement, je pense que tu es soft. Deuxièmement, je ne t’aime pas… » Jimmy Butler n’aura pas le temps d’aller au troisième point que l’entraîneur réagit en l’insultant, alors que tout le monde baisse la tête autour.
En janvier, l’ailier et Dwyane Wade s’en prennent à leurs jeunes coéquipiers, pas assez motivés à leurs yeux.
« Si tu n’es pas fou furieux après une telle défaite, quelque chose ne tourne pas rond. C’est notre boulot, on est censé être passionné et aimer ce qu’on fait plus que tout le reste. Ce n’est pas le cas de tout le monde dans ce groupe. Je veux jouer avec des gars qui se donnent à fond, veulent faire progresser la franchise et veulent gagner. On ne joue pas dur tout le temps alors qu’on devrait jouer chaque possession comme si c’était la dernière. »
Rajon Rondo monte alors au créneau sur Instagram pour défendre ses jeunes camarades face au duo Butler/Wade, pas à la hauteur de leur rôle dans l’équipe à ses yeux.
« Mes vétérans ne seraient jamais allés parler aux médias », écrivait-il dans un long message accompagné d’une photo de lui, Kevin Garnett et Paul Pierce. « Ils seraient venus devant l’équipe. Mes vétérans ne choisissaient pas quand ils voulaient jouer. Ils se défonçaient chaque fois qu’ils rentraient sur le parquet, à l’entraînement ou en match. Ils ne prenaient pas de jours de repos. Mes vétérans ne se souciaient pas de leurs stats. Mes vétérans jouaient pour l’équipe. Quand nous perdions, ils ne nous blâmaient pas. Ils en prenaient la responsabilité et ils travaillaient. Ils montraient aux jeunes ce qu’était le travail. Même quand nous avions le meilleur bilan de la ligue à Boston, si nous perdions un match, il n’y avait pas un bruit dans le bus. Ils nous montraient que ce jeu est quelque chose de sérieux. Mes vétérans n’avaient pas d’influence sur le coaching staff. Ils ne pouvaient pas changer le plan parce que ça ne fonctionnait pas pour eux. J’ai joué pour l’un des plus grands coaches et il responsabilisait tout le monde. Pour gagner, il faut tout le monde. Quand on sépare tout le monde, on ne peut pas gagner de façon constante. Je suis peut-être beaucoup de choses mais je ne suis pas un mauvais coéquipier. Mon but est de partager ce que j’ai appris. Les jeunes bossent. Ils sont là et ne méritent pas d’être pointés du doigt. S’il y a une chose qui doit être remise en question, c’est le leadership ».
Mis à l’amende par le club, les trois All-Stars finiront péniblement la saison ensemble, titillant tout de même les Celtics au premier tour… avant la blessure de Rajon Rondo au milieu de la série.
Un entraînement mythique aux Wolves
Dans ces conditions, les Bulls décident sans surprise d’échanger Jimmy Butler le soir de la Draft 2017. Direction les Wolves du GM/coach Tom Thibodeau contre Kris Dunn, Zach LaVine et de Lauri Markkanen. Pour Chicago, il y avait trop de choses à changer pour construire autour du joueur, et il valait mieux prendre une autre voie. De toute façon, les dirigeants de Chicago ne voyaient pas « Jimmy Buckets » comme un « franchise player » incontournable.
Le passage de Jimmy Butler dans le Minnesota sera beaucoup plus court… mais encore plus animé ! Car après une première saison qui voit les Wolves mettre fin à leur très longue période de disette (13 ans sans playoffs !), l’ailier arrive à la fin de son contrat et il veut sa prolongation maximum. Sauf qu’avec déjà Andrew Wiggins et Karl-Anthony Towns dans l’équipe, les dirigeants tergiversent, et ça finit par exploser lors d’un entraînement.
L’épisode est devenu quasiment mythique, avec un Jimmy Butler qui demande à jouer avec les troisièmes couteaux de l’équipe pour humilier Andrew Wiggins et surtout Karl-Anthony Towns.
« Est-ce que je suis dur avec KAT ? Oui ! Je suis comme ça. Je ne suis pas le joueur le plus talentueux de l’équipe. Qui l’est ? KAT. Qui a reçu le plus gros don à la naissance ? Wigs. Il a les plus longs bras, les plus longues mains, il saute plus haut, court plus vite. Mais qui joue le plus dur ? Moi » avait-il expliqué à l’époque. « Je joue dur, je joue très dur, je donne tout à chaque entraînement, chaque match, c’est ma passion, c’est ce que je donne au basket, c’est comme ça que je montre que je suis là pour mes coéquipiers. »
Meneur titulaire des Wolves à l’époque, Jeff Teague avait raconté cette incroyable séance, où Jimmy Butler avait donné la pleine mesure de sa capacité à mettre le chaos au sein d’un groupe.
« Jimmy est devenu dingue : ‘Vous pensez que cette équipe peut gagner sans moi ? Payez-moi ! Payez-moi !’. Il n’avait pas encore enlevé sa chasuble et il l’enlève enfin. En dessous, il porte le maillot des Wolves, mais il a coupé le ‘Minnesota’ pour qu’on ne voie plus que son torse. Il a coupé le « Minnesota » sur le short, et il se retrouve avec un trou au milieu de son maillot et un autre au milieu de sa jambe, et j’en pleure de rire. Je me suis dit : ‘Put…, mon pote est fou’. Mais je n’avais pas réalisé qu’il venait de nous battre avec l’équipe de G-League. »
Pire, il quitte la séance en cours pour donner une interview à ESPN, où il raconte en direct ce qu’il s’est passé…
« Nous avions encore une heure d’entraînement. On se douche tous, on va dans le vestiaire, et ESPN est allumé. Rachel Nichols et Jimmy Butler sont à la télé, et il dit : ‘Ouais, je viens de tous les tuer à l’entraînement et je pense que c’est une bonne chose’ » conclut Jeff Teague au sujet de cette folle séquence.
« Tobias Harris plutôt que moi ? »
Évidemment, Tom Thibodeau n’a pas le choix et l’échange aux Sixers dans la foulée. Un passage d’une seule année, pas loin d’aller au bout. Qui sait en effet ce qu’il serait arrivé sans le shoot miraculeux de Kawhi Leonard en demi-finale de conférence ? Malgré tout, la saison en Pennsylvanie n’a évidemment pas été sans remous pour Jimmy Butler, qui appréciait visiblement autant Brett Brown que Fred Hoiberg.
Lors d’une séance vidéo, l’ailier et le coach s’étaient ainsi chauffés, Jimmy Butler réclamant d’avoir davantage le ballon en main, alors que le technicien préférait miser sur la circulation du ballon. En playoffs, l’ancien assistant de Gregg Popovich confiera pourtant beaucoup plus la balle au MIP 2015, au détriment de Ben Simmons.
Une hypocrisie pour Jimmy Butler, qui préfèrera partir vers Miami grâce à un « sign-and-trade » durant l’été, alors que les Sixers prolongeaient Tobias Harris et semblaient alors satisfaits de tourner la page Butler pour confier pleinement les rênes de leur attaque à leur meneur de jeu australien.
Trois ans plus tard, alors que Miami éliminait Philadelphie en demi-finale de conférence, Jimmy Butler pouvait ironiser sur les priorités de ses anciens dirigeants, d’un « Tobias Harris plutôt que moi ? » savamment placé.
Des messages cachés sur Instagram
Car le mariage entre le joueur et la franchise floridienne a longtemps ressemblé à l’union idéale, avec les résultats qui vont avec (deux Finals et une finale de conférence en cinq ans). Certes, il y avait des remous inévitables mais Jimmy Butler avait rejoint une franchise qui, comme lui, cultive la « dureté », avec des hommes de caractère capables de lui tenir tête à tous les niveaux du club (Erik Spoelstra, Udonis Haslem, Alonzo Mourning, Pat Riley…).
Mais les têtes dures finissent inévitablement par s’entrechoquer et le refus de Pat Riley de prolonger Jimmy Butler à ses conditions ne pouvait conduire qu’à un ultime bras de fer. Traumatisés par le départ de Dwyane Wade en 2016, les dirigeants du Heat avaient été très conciliants avec leur nouveau leader. Peut-être trop…
« Ce qu’on entend, en tant qu’anciens joueurs, on n’aime pas ça » expliquait récemment Dwyane Wade dans son podcast. « On ne nous autorisait pas toutes ces conneries. Tim Hardaway, Zo, [Udonis Haslem], [Quentin Richardson], on se demandait tous ce qu’il se passait avec Riles (Pat Riley). On était habitué à la poigne de fer. On ne l’entend plus et on ne la sent plus. Quand on est dans l’équipe, on n’aime pas ça. On voudrait partir. Mais dès qu’on part, on réalise que c’est cette structure, cette poigne de fer, qui nous a maintenus dans le droit chemin. »
Agacé de ne pas recevoir la prolongation maximum qu’il estime mériter, Jimmy Butler a ainsi multiplié les petites provocations, discrètes mais efficaces, sur les réseaux sociaux. La dernière en date ? Alors qu’il est filmé à son « coffee shop » de Miami, Big Face Coffee », le basketteur prend un air malicieux aux côtés d’un de ses employés.
« C’est notre meilleur gars » explique-il. « Vous voyez, je le complimente. C’est ce que font les patrons, ils vous élèvent… ils ne vous rabaissent pas ».
Sauf qu’à Miami, il n’y a qu’un seul patron.
« Quand je regarde le club, beaucoup des meilleurs éléments sont partis parce qu’ils se sont heurtés à ce gars » conclut Dwyane Wade sur Pat Riley. « Et quand vous vous heurtez à ce gars, à Miami, vous savez qui gagne. »
Jimmy Butler | Pourcentage | Rebonds | |||||||||||||
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Saison | Equipe | MJ | Min | Tirs | 3pts | LF | Off | Def | Tot | Pd | Fte | Int | Bp | Ct | Pts |
2011-12 | CHI | 42 | 9 | 40.5 | 18.2 | 76.8 | 0.5 | 0.8 | 1.3 | 0.3 | 0.5 | 0.3 | 0.3 | 0.1 | 2.6 |
2012-13 | CHI | 82 | 26 | 46.7 | 38.1 | 80.3 | 1.7 | 2.3 | 4.0 | 1.4 | 1.2 | 1.0 | 0.8 | 0.4 | 8.6 |
2013-14 | CHI | 67 | 39 | 39.7 | 28.3 | 76.9 | 1.3 | 3.6 | 4.9 | 2.6 | 1.6 | 1.9 | 1.5 | 0.5 | 13.1 |
2014-15 | CHI | 65 | 39 | 46.2 | 37.8 | 83.4 | 1.8 | 4.1 | 5.8 | 3.3 | 1.7 | 1.8 | 1.4 | 0.6 | 20.0 |
2015-16 | CHI | 67 | 37 | 45.5 | 31.1 | 83.2 | 1.2 | 4.2 | 5.3 | 4.8 | 1.9 | 1.6 | 2.0 | 0.6 | 20.9 |
2016-17 | CHI | 76 | 37 | 45.5 | 36.7 | 86.5 | 1.7 | 4.5 | 6.2 | 5.5 | 1.5 | 1.9 | 2.1 | 0.4 | 23.9 |
2017-18 | MIN | 59 | 37 | 47.4 | 35.0 | 85.4 | 1.3 | 4.0 | 5.3 | 4.9 | 1.3 | 2.0 | 1.8 | 0.4 | 22.2 |
2018-19 * | All Teams | 65 | 34 | 46.2 | 34.7 | 85.5 | 1.9 | 3.4 | 5.3 | 4.0 | 1.7 | 1.9 | 1.5 | 0.6 | 18.7 |
2018-19 * | PHL | 55 | 33 | 46.1 | 33.8 | 86.8 | 1.9 | 3.4 | 5.3 | 4.0 | 1.7 | 1.8 | 1.5 | 0.5 | 18.2 |
2018-19 * | MIN | 10 | 36 | 47.1 | 37.8 | 78.7 | 1.6 | 3.6 | 5.2 | 4.3 | 1.8 | 2.4 | 1.4 | 1.0 | 21.3 |
2019-20 | MIA | 58 | 34 | 45.5 | 24.4 | 83.4 | 1.8 | 4.8 | 6.7 | 6.0 | 1.4 | 1.8 | 2.2 | 0.6 | 19.9 |
2020-21 | MIA | 52 | 34 | 49.7 | 24.5 | 86.3 | 1.8 | 5.1 | 6.9 | 7.1 | 1.4 | 2.1 | 2.1 | 0.3 | 21.5 |
2021-22 | MIA | 57 | 34 | 48.0 | 23.3 | 87.0 | 1.8 | 4.1 | 5.9 | 5.5 | 1.5 | 1.6 | 2.1 | 0.5 | 21.4 |
2022-23 | MIA | 64 | 33 | 53.9 | 35.0 | 85.0 | 2.2 | 3.7 | 5.9 | 5.3 | 1.2 | 1.8 | 1.6 | 0.3 | 22.9 |
2023-24 | MIA | 60 | 34 | 49.9 | 41.4 | 85.8 | 1.8 | 3.5 | 5.3 | 5.0 | 1.1 | 1.3 | 1.7 | 0.3 | 20.8 |
2024-25 * | All Teams | 26 | 31 | 54.2 | 35.1 | 80.5 | 2.2 | 3.0 | 5.1 | 4.8 | 0.9 | 1.1 | 1.2 | 0.4 | 17.3 |
2024-25 * | MIA | 25 | 31 | 54.0 | 36.1 | 80.1 | 2.2 | 3.0 | 5.2 | 4.8 | 0.9 | 1.1 | 1.2 | 0.4 | 17.0 |
2024-25 * | GOS | 1 | 29 | 58.3 | 0.0 | 84.6 | 1.0 | 1.0 | 2.0 | 4.0 | 1.0 | 1.0 | 1.0 | 1.0 | 25.0 |
Total | 840 | 33 | 47.2 | 33.0 | 84.2 | 1.6 | 3.7 | 5.3 | 4.3 | 1.4 | 1.6 | 1.6 | 0.4 | 18.3 |
Comment lire les stats ? MJ = matches joués ; Min = Minutes ; Tirs = Tirs réussis / Tirs tentés ; 3pts = 3-points / 3-points tentés ; LF = lancers-francs réussis / lancers-francs tentés ; Off = rebond offensif ; Def= rebond défensif ; Tot = Total des rebonds ; Pd = passes décisives ; Fte : Fautes personnelles ; Int = Interceptions ; Bp = Balles perdues ; Ct : Contres ; Pts = Points.