Si Doc Rivers estime qu’il est « difficile d’être sorti pour six fautes dans une rencontre NBA », il faut rappeler que 152 joueurs ont été sanctionnés six fois dans un match la saison passée. Soit autour de 40% de la ligue.
Il n’est donc pas si aisé d’éviter la sortie de route. Le record, dans l’histoire de la ligue, reste la propriété de Vern Mikkelson, joueur des Lakers de Minneapolis dans les années 1950. Il fut sorti à 127 reprises.
Pour comparer avec de grands défenseurs – plus susceptibles de faire des fautes – on remarque que Scottie Pippen en compte 37 en saison régulière, Bill Russell 24, Michael Jordan 11 et Hakeem Olajuwon pas moins de 80. Des chiffres remarquables quand on a disputé plus de 1 000 rencontres dans sa carrière, mais encore loin de la référence…
« J’ai lu beaucoup de records et entendu la plupart des chiffres et je dois dire que le fait que Wilt Chamberlain ne soit jamais sorti sur six fautes dans un seul match est peut-être le plus important de tous », expliquait il y a quelques années Marcus Camby, défenseur de l’année 2007. « C’est fou. Réfléchissez-y un moment. C’est le seul record pour lequel on peut assurer qu’il ne sera jamais battu. »
La dernière phrase est sans doute la plus prononcée quand on détaille certains records de Wilt Chamberlain. Mais il est vrai que réussir une carrière avec 1 045 matches de saison régulière et 160 de playoffs (55 418 minutes au total) avec une telle domination, sans jamais connaître la déception de rejoindre le banc après une sixième faute, c’est assez unique.
« J’ai appris ça d’un de mes premiers coaches, c’est une leçon fondamentale », rappelait « The Stilt », très fier de cet exploit. « On ne peut pas aider son équipe quand on n’est pas sur le terrain. »
Joueur malin, adversaire apeuré
Certes mais comment justifier qu’un tel monstre physique, capable de gober plus de 40 rebonds dans un match, ou de contrer, d’après les chiffres non officiels des statisticiens de l’époque, plus de 20 tirs, et qui a affronté des forts pivots comme Bill Russell, Nate Thurmond ou Kareem Abdul-Jabbar a pu éviter d’être sanctionné par les officiels ?
Première explication : intelligent et en totale maîtrise avec son corps, le pivot faisait également peur.
« Quand je suis arrivé dans la ligue (en 1977), tous les gars qui m’ont porté – les Joe Gushues, Jake O’Donnells, Earl Stroms – m’ont toujours dit que Wilt était un joueur très intelligent », raconte l’ancien arbitre Joey Crawford. « Il savait toujours ce qu’il faisait et ne faisait pas chier les gars. La seule chose que je peux dire, c’est que les attaquants s’arrêtaient souvent à mi-distance pour shooter à 3 ou 4 mètres, pour éviter de le défier. »
Il est logique que Wilt Chamberlain ait impressionné ses contemporains. Sauf qu’on l’oublie souvent, l’homme aux 100 points n’était pas un joueur violent ou agressif, qui laissait trainer les coudes. Pis : il prenait des coups, parfois très lourds.
« J’ai vu des choses incroyables. Clyde Lovellette l’a frappé avec son coude et Wilt a eu des dents cassés. Il a été à l’hôpital, suite à une infection, » se souvient son coéquipier Al Attles. « Wilt n’était pas le genre de joueur qui rentrait physiquement dans les adversaires. Il utilisait sa taille, son envergure et sa détente pour contrer », ajoute un autre coéquipier, Matt Guokas.
L’arbitrage à la carte
Seconde explication : l’arbitrage.
« Avant, c’était à l’interprétation de chaque arbitre de savoir si on sifflait ou non certaines actions sous le cercle », analyse Joey Crawford. « Désormais, il y a des règles précises sur ce qui est ou non une faute et les arbitres sont censés les suivre. »
En clair, les arbitres, d’un match à l’autre, se sont adaptés à Wilt Chamberlain et à sa domination hors norme, tout comme lui, avec son intelligence, a composé avec les décisions arbitrales.
« Ce serait extrêmement compliqué dans le basket actuel de ne jamais sortir en 14 saisons », estime Joe Borgia, ancien arbitre, et fils d’officiel des années 1950 et 1960. « Wilt est arrivé avec une vitesse et une puissance jamais observées avant lui. Il existait une séparation entre lui et le reste des intérieurs. De plus, comme les grands jouent plus près du cercle, on autorise plus de contact pour qu’ils prennent leur position. »
Au point de ne pas vouloir l’exclure pour ne pas constituer un précédent ?
« Chamberlain était assez malin pour ne pas arriver aux six fautes », conclut Joey Crawford. « Il ne se mettait pas en danger. Mais si un arbitre débarque dans la ligue, il essaie de siffler justement. On n’entre jamais sur le parquet en se disant que Wilt n’a jamais été exclu en 14 saisons. Ça n’affecte pas nos coups de sifflet. Personne n’allait lui reprocher d’avoir sorti Wilt. Ça ne fonctionne pas comme ça dans notre monde. Par ailleurs, on n’est jamais au courant de ce genre d’anecdote. On essaie simplement de bien siffler. »
Cet incroyable chiffre sera-t-il un jour égalé ? Difficile à dire. Pour que cela ait du sens, il faut que la performance soit réalisée par un joueur dominant. Néanmoins, il existe une demi-piste.
Kawhi Leonard, double meilleur défenseur de l’année 2015 et 2016 et référence ultime dans le domaine chez les extérieurs actuellement, n’a toujours pas fait six fautes dans un match de saison régulière – il a été exclu deux fois en Finals 2014. Il est donc à 422 matches en carrière. Courage, il ne reste « que » 623 rencontres pour rejoindre Wilt Chamberlain…