Quelques semaines seulement après une finale de conférence Ouest épique entre les Warriors et le Thunder, la star des vaincus a annoncé sa décision de rejoindre les vainqueurs. Champion NBA 2015, finaliste 2016, Golden State reçoit ainsi le concours du MVP 2014, en supplément de leur double MVP, Stephen Curry, mais aussi l’un des meilleurs shooteurs de la ligue Klay Thompson et l’un des joueurs les plus complets, Draymond Green.
Au total, les Warriors vont cumuler quatre joueurs de la dernière All-Star Team de l’Ouest dans leur cinq majeur et évidemment, le choix de Kevin Durant a fait couler beaucoup d’encre.
« Du petit poucet vite adoré, Golden State est rapidement devenu le vilain. Les scènes de célébration, de danse et de liesse interprétées l’an passé comme des signes de joie d’un jeune groupe vivant le basket comme un jeu sont devenues pour beaucoup des preuves d’arrogance, d’immaturité et de vulgarité. »
Lorsque j’ai écrit ceci, juste après la finale perdue des Californiens, j’étais bien loin de m’imaginer que ça allait empirer par la suite. C’était bien avant la décision de l’ex-ailier du Thunder. Depuis lundi, ce mépris populaire croissant pour les Warriors n’a fait qu’enfler.
Ces réactions, je les comprends : à l’époque de The Decision, j’avais écrit une (regrettable) diatribe contre ce mouvement de LeBron James.
Mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et s’il y a des interrogations bien légitimes quant à la compétitivité de la ligue, il n’y a d’après moi rien à reprocher à Kevin Durant et les Warriors, ou si peu.
Golden State ou la quête de l’excellence
Hormis quand elle se situe à Philadelphie*, le but d’une franchise NBA est de gagner. Il faut comprendre qu’au-delà même du seul palmarès, déjà la plus belle des récompenses en soi, il y a bien d’autres enjeux qui accompagnent la victoire et dans l’esprit d’un propriétaire, ils sont sans doute plus conséquents que la seule gloire sportive : ventes et prix des billets et des loges VIP, ventes des maillots, contrat TV local, afflux de sponsors. Ce sont autant de recettes en hausse avec la victoire d’un titre NBA.
Qu’une équipe veuille se renforcer et cherche le meilleur joueur disponible pour se garantir sur le long terme le maintien dans la course au titre est normal. Logiquement (et j’insiste bien sur la notion de logique), il en va de même dans notre quotidien : le patron d’une société essaye de s’entourer des meilleurs collaborateurs.
Évidemment, on peut supposer qu’avec ses fondations, Golden State pouvait jouer le titre encore de longues années mais n’oublions pas que nous ne sommes pas dans le groupe : voilà quatre ans que ces Warriors jouaient ensemble et cette saison fut éprouvante comme jamais, aussi bien pour le corps que pour la tête. Bob Myers a t-il voulu aussi éviter un effet de lassitude ? Un excès de confort trop dangereux ? En effet, l’histoire d’un noyau dur entièrement drafté et champion était belle mais cette histoire pouvait-elle réellement durer ? En dépit du romantisme de cette pensée, n’oublions jamais que le fameux poncif voulant que la NBA est un business est bel et bien une réalité.
Même si cette situation aurait été brève, sans doute un an, Harrison Barnes pouvait-il réellement être le joueur le mieux payé de cette équipe ? Avec lui, les Warriors pouvaient-ils encore aller beaucoup plus loin ? Vous, general manager, à qui préférez-vous offrir le maximum : Harrison Barnes ou Kevin Durant ?
Les Warriors ont fait ce que toute équipe aurait voulu faire, même les Spurs. D’ailleurs, je n’oublie pas que dans sa lettre de retour à Cleveland, LeBron James avait déclaré que la patience serait de mise avant de retrouver le succès car la jeunesse (Kyrie Irving, Dion Waiters, Andrew Wiggins et Anthony Bennett) devait se développer.
« Ma patience sera testée, je le sais. Je retrouve une jeune équipe et un nouveau coach. Je serai l’ancien. Mais je suis excité à l’idée de former un nouveau groupe et de l’aider à aller où il ne pensait pas pouvoir aller. »
Finalement, Cleveland n’a pas mis deux semaines pour dégager sa jeunesse pour des pièces à même de lui offrir le titre le plus rapidement possible.
Business as usual.
Le droit du choix
Neuf ans. Neuf ans que Kevin Durant porte le maillot du Thunder et avec cette équipe, il a tout connu. Finale, blessures, combats historiques. Cela a duré neuf ans. Sans lui, je ne suis pas certain que le Thunder aurait connu autant de joies. Avant Russell Westbrook, James Harden ou Serge Ibaka, c’est avec Kevin Durant que le Thunder est né sur les cendres des Sonics. C’est avant tout grâce à lui qu’elle a pu si vite côtoyer les sommets.
Mais en neuf ans, Kevin Durant a eu le temps de comprendre que cette ligue n’était que business. Après tout, le Thunder n’aurait-il pas eu plus de chances de titre si sa direction avait prolongé James Harden plutôt que de préférer faire quelques économies ?
Neuf ans, cela demande aussi de la patience. Neuf ans, cela donne aussi le temps de se lasser. D’envier certains de ses confrères croisés sur le terrain. Neuf ans, c’est le temps nécessaire pour quitter l’adolescence et devenir un adulte en mesure de faire ses propres choix. Encore une fois, des choix que chacun d’entre nous peut être amené à faire dans son quotidien. Combien de développeurs dans le monde préfèreront rester dans leur start-up incubée face à l’appel d’un Google, Apple ou Facebook ? Évidemment, il y en a mais le choix est propre à chacun, il n’est pas à juger. Kevin Durant n’avait pas de dette envers le Thunder. L’inverse est moins vrai.
À bientôt 28 ans, il a eu envie d’autres choses : « sortir de sa zone de confort », comme il l’a écrit. Sur le plan sportif, il peut certes sembler bien plus confortable de rejoindre les Warriors que les Sixers, mais d’une part, le titre 2017 n’est pas encore acquis, et d’autre part, il n’y a pas que le sportif dans la vie d’un joueur. J’y viens.
Des enjeux toujours plus grands hors du terrain
Il ne fait aucun doute que Kevin Durant veut son titre, comme LeBron James le voulait en rejoignant Miami. Mais comme un propriétaire de franchise, il y a d’autres terrains de jeu que le seul parquet pour un joueur NBA. Le soir de l’ouverture de la free agency, le journaliste de The Vertical, Adrian Wojnarowski, expliquait ainsi avoir eu vent de pressions de Nike sur l’ailier pour rejoindre Golden State. Pourquoi ?
D’une part, la Baie de San Francisco est un marché amplement plus conséquent qu’Oklahoma City. Mais Nike est aussi responsable d’avoir laissé filer Stephen Curry aux mains d’Under Armour et la popularité du meneur n’a fait que croître en même temps que ses performances sur le terrain. Et aujourd’hui, la ligne de chaussures de Stephen Curry concentrerait le plus gros des ventes parmi les joueurs NBA, devant même LeBron James, selon MorganStanley, relayé par Quartz. Pour Nike, ce ratage avec le double MVP en titre est un camouflet et certains de ses analystes pensent que la venue de Kevin Durant dans la Baie permettra à leur firme de profiter un peu du rayonnement du meneur.
En cas de contre-performance ou de blessure de ce dernier, la présence de Kevin Durant chez les Warriors pourrait même permettre à la marque de recevoir toute la lumière.
Cela peut représenter un point de détail pour un amateur de sport, cela n’en est pas un lorsqu’on a un contrat de 300 millions de dollars sur 10 ans avec l’équipementier.
Et parmi les autres points, anecdotiques pour nous, mais de la plus grande importance pour un joueur, il y a aussi les désirs de la famille, des proches, la couverture médiatique, etc… Qu’on le veuille ou non, c’est à prendre en compte.
« Business as usual »
En NBA, j’ignore ce que signifie ce mot « loyauté ». À partir de quand l’est-on et ne l’est-on plus ? Hormis le droit de véto réservé à une infime partie des joueurs, ils peuvent être échangés à n’importe quel moment par leurs franchises. Sans être prévenus, et malgré leurs services rendus. Rappelons qu’en 1997, Jerry Krause voulait tout de même envoyer un Scottie Pippen (déjà sous-payé au regard du marché et de Michael Jordan) à Toronto. Ce que Tracy McGrady ne dit pas, c’est que ce même Jerry Krause a aussi longtemps réfléchi à un échange entre Pippen et Eddie Jones en 97-98, malgré tous les titres remportés avec son ailier, malgré son contrat risible par rapport aux autres stars…
La loyauté est un mythe : seul prime le business. On peut le déplorer, mais c’est la réalité. On peut mettre en avant l’aventure de Tim Duncan avec les Spurs, certes, mais les Spurs ont eux-aussi à plusieurs reprises échanger des joueurs appréciés pour leur conquête du titre : George Hill, Tiago Splitter et désormais Boris Diaw… Et si Tim Duncan est resté toute sa carrière à San Antonio, ce n’est pas sans avoir longtemps hésité à signer à Orlando en 2003. Il s’en est vraiment fallu de peu. S’il ne l’a pas fait, ce n’est pas par « loyauté » envers les Spurs, c’est avant tout parce que ses intérêts étaient à San Antonio.
Kobe Bryant et ses 20 ans aux Lakers ? Vingt années entrecoupées de demandes récurrentes d’échange lors de l’été 2007.
Ces deux exemples de « loyauté » ne sont que du storytelling des franchises, des joueurs et de la NBA.
Que dit l’agent de Manu Ginobili au sujet d’un retour chez les Spurs cet été ?
« Son premier choix est évidemment de revenir aux Spurs si l’on peut trouver ensemble un bon deal. Si l’on regarde ce qu’il se passe dans la ligue aujourd’hui, il y a beaucoup d’argent donné à des joueurs moins bons que Manu. Il suit de très près ce qu’il se passe sur le marché et les Spurs le savent aussi. »
Entre les lignes : non, Manu Ginobili ne signera pas pour le minimum, malgré tout l’amour qu’il porte aux Spurs.
Le désir de compétition des joueurs
Ah oui, c’est vrai, les stars aiment s’affronter entre elles, cela a toujours été le ciment de la ligue. Larry et Magic ? Ils étaient amis mais n’auraient jamais voulu jouer ensemble. Michael Jordan ? C’est vrai, il nous a dit qu’au contraire de LeBron James en 2010 et donc, Kevin Durant aujourd’hui, lui essayait aussi de battre Larry Bird et Magic plutôt que de les rejoindre.
Certaines stars refuseraient donc à tout prix de rejoindre l’ennemi juré. Mais c’est facile à dire de la part de Larry Bird et Magic Johnson : ils ont tous les deux joué dans les meilleures équipes du monde. Hormis Detroit et à un degré moindre Philadelphie, il n’y avait que Boston et Los Angeles dans la ligue. En effet, pourquoi auraient-ils voulu partir ?
Quant à Michael Jordan, il a certes fait le dos rond pendant sept ans mais sa direction l’a bien gâté par la suite. D’ailleurs, Sa Majesté n’a jamais hésité à mettre la pression sur sa franchise en évoquant les Knicks ou les Lakers comme possible destination. Du bluff, peut-être mais il savait qu’il jouerait le titre partout où il irait.
Après ses tentatives chez les Sixers et les Suns, Charles Barkley n’a guère hésité à rejoindre les Rockets d’Hakeem Olajuwon et Clyde Drexler. Il avait certes 33 ans mais on parle d’une équipe avec trois Hall of Famers.
Je l’accorde, tous ces exemples sont à nuancer avec leur contexte, comme l’arrivée de Kevin Garnett à Boston en 2007 : c’était un échange mais, honnêtement, les Wolves pouvaient-ils faire autrement face à la lassitude de leur star ?
Cela fait neuf ans que Kevin Durant joue dans la ligue. Il est free agent, il a mené sa franchise à un stade où elle n’était jamais allée, il était dans son droit de choisir son équipe. Comme l’a fait Moses Malone avant lui, mais aussi Tim Duncan, LeBron James et comme le feront Chris Paul, Blake Griffin ou Stephen Curry, chacun avec des décisions différentes.
Nous ne sommes pas obligés de l’apprécier, mais cela ne mérite ni insulte, ni maillot brûlé, ni sentiment d’injustice.