Il y avait deux Rasheed Wallace. Celui, indolent, qui ne défendait pas et se laissait repousser loin du cercle. Et puis, il y avait le Sheed qui venait de prendre une technique, agressif en défense, incroyable mélange de taille et de technique en attaque. L’an passé, Chauncey Billups évoquait ainsi ce syndrome du Docteur Jekyll et Mister Hyde et la façon dont il s’en servait.
« J’essayais de casser du sucre sur le dos de Rasheed pour qu’il prenne une faute technique. Parce que tant qu’il n’avait pas reçu de faute technique, il était l’un des coéquipiers les plus déconcentrés que j’ai connus. Mais une fois qu’il avait sa technique, je me fiche du coach pour lequel on jouait, sous Larry Brown ou Rick Carlisle, je disais toujours, donnez le ballon à Sheed. On n’a plus besoin d’appeler de systèmes. On file la balle à Sheed ».
Le meneur tentait même de convaincre les arbitres…
« Tu ne peux pas laisser ce gars-là te parler sur ce ton », déclarait-il aux officiels. « Il doit te montrer un peu plus de respect. Défends-toi. On sait tous que tu n’hésites pas à donner des techniques. Vas-y ! »
Des défis personnels lancés dans la presse
Rasheed Wallace trouvait sa motivation dans ces techniques et ce sentiment que tout le monde lui en voulait. « L’effet Rasheed Wallace », c’était ce moment où sa rage se diffusait dans son jeu.
Par bien des aspects, Draymond Green me rappelle le Sheed… sauf que l’intérieur des Warriors est lui conscient de ce qui nourrit son feu intérieur. Cette nuit, il a ainsi promis que « les Blazers sont finis » mais, beaucoup plus intéressant, il a dévoilé les ressorts psychologiques de sa motivation. Après le Game 3, il avait ainsi déclaré qu’il était responsable de la défaite des Warriors et regrettait que son équipe n’ait pas su profiter du « doute » qui avait envahi les Blazers.
Damian Lillard avait réagi à cette idée de doute et Draymond Green explique sa stratégie.
« Je veux leur donner des sources de motivation. Après le Game 2, tout le monde était choqué parce que j’ai dit à toute l’équipe de ne pas leur donner de motivation. Quand ils ont perdu leur avance au Game 2 et qu’on a gagné le match ensuite, j’ai pensé qu’on leur avait pris beaucoup d’espoir. Je savais qu’ils allaient réagir au Game 3 mais je savais aussi qu’ils avaient besoin de quelque chose à quoi se raccrocher. C’est pour ça que j’ai dit à mes coéquipiers de ne rien déclarer qui puisse leur servir de motivation. Tout le monde m’a pris pour un fou parce que je suis celui qui fait ce genre de déclarations. Mais ça s’est retourné contre nous l’autre soir parce que nous avons été soft. Et j’étais le catalyseur de ça. Du coup, j’ai dit à Steph après le match que j’allais leur donner toutes les sources de motivation dont ils avaient besoin. Ce n’était pas un manque de respect pour eux, c’était un message pour mes gars, pour qu’ils répondent à ce que je disais. Je n’ai jamais dit qu’on ne respectait pas les Blazers ou qu’ils ne pouvaient pas nous battre. Ils ont prouvé qu’ils pouvaient le faire. Le but, c’était de donner des sources de motivation à mes gars pour voir s’ils y répondaient, et si j’y répondais aussi. C’est ce que je voulais faire… et ça a marché ».
À ceux qui prennent Draymond Green pour un joueur simplement arrogant, dont les chevilles enflent à mesure que les victoires s’enchaînent, sa démonstration illustre qu’il est beaucoup, beaucoup, beaucoup plus fin que cela. Âme émotionnel des Warriors, l’ailier fort sait tirer les ficelles pour motiver ses compagnons et, surtout, se motiver lui-même.
Attiser le feu ou l’étouffer ?
Le 12 juin 2014, dans le coeur de l’American Airlines Arena, je me souviens d’un Tony Parker qui contrôlait au contraire chaque mot pour évoquer le Game 3 des Finals face au Heat. San Antonio venait pourtant de donner une leçon de basket à LeBron James et sa bande, la voie du titre se dessinait et, pourtant, le meneur ne laissait transparaître aucune satisfaction et il prenait soin de ne rien dire qui puisse motiver Miami pour la suite.
Il faut dire que TP a été à bonne école avec Tim Duncan, dont les mots ne vont jamais trop haut.
« J’aime la puissance du silence. Tu peux détruire tes adversaires comme cela. Ils peuvent te crier au visage, tu réponds par un tir, un rebond ou un contre. Ils détestent ».
Comme à la mi-temps de la finale de l’Euro 2013, quand Tony Parker demande à Antoine Diot de tempérer son enthousiasme et de ne pas fanfaronner après un trois points énorme.
« Il faut qu’on leur donne zéro truc pour qu’ils s’énervent. Il faut qu’on garde leur énergie très bas ».
À l’école Spurs, tout est donc fait pour ne pas motiver l’adversaire. On vante ses qualités, on ironise sur ses propres défauts mais jamais on ne chambre. C’est du contrôle, certains parleront sans doute de langue de bois. Si Tim Duncan se nourrit de la frustration de ses adversaires face à son silence, Draymond Green a besoin de se lancer des défis pour trouver la motivation.
Un peu comme si l’un voulait étouffer le feu en le privant d’oxygène pendant que l’autre prend un malin plaisir à l’attiser, pour mieux l’éteindre en le piétinant.