“Un sportif meurt deux fois”. La maxime, reprise par Jean-Pierre Rives ou encore Fabrice Santoro, est tirée de l’excellent The Boys of Summer, de Roger Kahn. Outre la mort physique, celle que tout le monde subit un jour ou l’autre, le sportif doit également affronter sa mort sportive, la retraite. Il lui faut ainsi faire le deuil de ce qu’il était et de ce qui le caractérisait pendant la première partie de sa vie. De ce qu’il était aux yeux du monde.
Maîtriser la souffrance… jusqu’à la rupture
Hier soir, en faisant une croix sur la fin de saison, Kobe Bryant a admis pour la première fois sa mortalité sportive. Rarement un athlète n’avait tant contraint son corps. Dans sa carrière, plus encore que ses adversaires ou ses coéquipiers, le “Black Mamba” aura surtout dominé la douleur, les blessures. C’était peut-être parfois surjoué mais la NBA a rarement vu un joueur capable, à ce point, de faire abstraction de la souffrance.
Depuis un an, la balance a pourtant basculé. Kobe Bryant n’est plus maître de son corps. Tendon d’Achille. Genou. Tout lui rappelle ses 35 ans, ses 18 saisons NBA, ses playoffs, ses Jeux olympiques, ses camps d’entraînement, ses All Star Games, ses séances de tir et de travail interminables…
Et pour la première fois, il doit envisager sa mort sportive. Parce qu’elle est là, trop évidente pour être balayée d’un revers de main.
“Avoir ces conversations avec soi-même et ne pas avoir peur et ne pas succomber, cela fait partie de l’épreuve”, confiait-il lors du dernier All Star Game. “C’est vraiment le plus gros défi. C’est peut-être la fin mais peut-être pas. Et c’est ma responsabilité de faire tout ce que je peux pour que ça ne le soit pas”.
“Souviens-toi que tu mourras”
“Memento mori” (“Souviens-toi que tu mourras”). C’est ce que, selon la légende, un esclave rappelait dans l’Antiquité à un général lorsque celui-ci, après un triomphe, paradait dans les rues de Rome. Personne ne rappelait cela à Kobe Bryant lorsqu’il soulevait ses cinq trophées de champion et qu’il paradait dans les rues de Los Angeles.
Tim Duncan, Kevin Garnett ou encore Paul Pierce sont également tout proches de leur mort sportive. Pourquoi alors la sensation est-elle différente, moins surprenante ? Peut-être parce qu’on a vu le “Big Ticket” et “The Truth” regresser depuis plusieurs saisons et que leurs départs semblent inexorables. Peut-être aussi parce que l’intérieur des Spurs a accepté de son côté de se muer dans un rôle de lieutenant, fidèle à sa discrétion légendaire.
Pour ces autres gladiateurs de l’ère post-Michael Jordan, la retraite semble une suite logique, presque naturelle. Pour Kobe Bryant, l’idée a le goût de la surprise et de l’aberration. L’an passé, le Laker tournait encore à 27.3 points, 5.6 rebonds et 6 passes de moyenne. Lorsqu’il marque 47 points face aux Blazers, le 10 avril 2013, difficile en effet d’imaginer qu’il peut tomber deux jours plus tard et traverser toute cette période d’interrogations.
“Etant donné ma personnalité, je ne veux pas d’un rocking chair avant les matches. Ça me rendrait fou. Un jour, je vais probablement juste disparaître”.
Et ce jour-là, ce n’est pas seulement la carrière de Kobe Bryant qui s’éteindra, mais aussi une petite partie de la NBA. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il y aura un avant et un après-Kobe Bryant. À mes yeux, le “Black Mamba” est en effet le dernier vestige de cette NBA pré-réseaux sociaux, celle qui s’affiche dans sa totalité, dans son arrogance, celle qui peut offrir sa vanité à des millions de juges et qui se moque de leur verdict.
Sans lui, la NBA ne sera peut-être pas pire, peut-être pas meilleure. Mais elle sera évidemment différente. Alors, profitons de sa présence. Tant qu’on le peut.