Avec dix titres, Phil Jackson est désormais l’entraîneur le plus couronné de l’histoire de la Ligue. Seul John Wooden soutient la comparaison en basket universitaire, avec UCLA.
En dépit de méthodes radicales et de critiques exacerbées, le « Zen Master » force le respect. This is why.
Les coaches NBA adorent raconter des histoires. Phil Jackson, qui roule sa bosse dans le milieu depuis plus de 35 ans, possède une excellente mémoire. Avant sa douzième Finale à titre personnel comme coach (6 avec les Bulls, 6 avec les Lakers), ses joueurs ont entendu la story d’un rookie, un vieux pote à lui devenu plus tard son mentor. Johnny Kerr, qui a passé l’arme à gauche en fin d’année dernière, avait disputé les Finales 1955 avec Syracuse. « Red Kerr » était alors rookie. Il pensait revenir souvent devant la cour du roi en juin. Terrible erreur. Des cadors comme Wilt Chamberlain et Bill Russell se dressèrent sur sa route chaque année pour lui barrer la route. Johnny Kerr ne disputa plus jamais une Finale NBA de sa vie. Il allait heureusement passer à la postérité en devenant commentateur des matches des Bulls, notamment sous l’ère Jordan. Aussi Phil Jackson n’avait-il de cesse de clamer ce 4 juin : « Take your best shot »…
Le message a été parfaitement reçu par un Trevor Ariza ou un Andrew Bynum, jeunes loups dans la bergerie. Décidés à effacer l’échec de l’an passé contre Boston (4-2), les Gasol et Odom se sont battus comme jamais pour obtenir leur première bague de champion, la dixième pour leur coach. Avec ses dix anneaux, le « Maître Zen » laisse derrière lui le regretté Red Auerbach (9) auquel il rendit hommage sur le podium dans la foulée du sacre. Mais ça ne fait pas l’ombre d’un doute : si l’entraîneur légendaire des Celtics était encore de ce monde (il est décédé en 2006), il entretiendrait une énième polémique avec son vieil ennemi…
Auerbach a toujours reproché au coach des Bulls et des Lakers d’avoir eu du talent plein son effectif, tandis que lui avait dû le créer à Boston. L’homme au cigare aimait répéter :
« Phil n’a jamais essayé de construire une équipe et de lui enseigner les fondamentaux du basket pour l’emmener au sommet, comme moi ».
Ce à quoi « Jax » répondait invariablement :
« C’était un autre temps. A l’époque de Red, on jouait sept ou huit fois les mêmes équipes dans la saison. Les Finales étaient des retrouvailles familiales. Maintenant, si Red avait continué de coacher au lieu de prendre un poste de GM dans l’organisation de Boston, je pense qu’il aurait ajouté deux ou trois titres à son palmarès. »
Comment clore le débat ? Auerbach a formé un arrière comme Bill Sharman et un ailier du calibre de Satch Sanders. Il a aussi disposé de talents comme Bob Cousy, Bill Russell et John Havlicek. Phil Jackson a été logé à la même enseigne. Force est de reconnaître qu’avec 71% de victoires en saison régulière et 70% en playoffs, il est difficile de surclasser cet entraîneur qui dépasse tous les monuments du sport américain. Vince Lombardi (foot US), Casey Stengel (baseball), Scotty Bowman (hockey) et Pat Summitt (basket US féminin) restent loin derrière le coach des Lakers. Seul John Wooden a fait aussi bien avec UCLA, en NCAA (10 titres). Il est difficile de reprocher à Jackson d’avoir eu sous la main les meilleurs joueurs de l’histoire de ce sport. Exemple : Casey Stengel, qui pouvait quand même compter sur Mickey Mantle chez les Yankees, n’alla pas au-delà de sept titres et il essuya cinq échecs en World Series…
« Humainement, Phil est compliqué »
A cette heure, Phil Jackson est assis sur le toit du monde. Il a tout gagné, tout connu en NBA. Après avoir – accessoirement – amassé 24 millions de dollars sur 2 ans, il revient sur le banc des Lakers pour remporter un 11e titre qui n’ajoutera rien à sa gloire. Le coach de L.A., qui a subi deux opérations la saison dernière, a peut-être passé l’âge de gérer les egos d’enfants gâtés. A 64 ans (depuis le 17 septembre), sa grande carcasse réclame du repos. Prévoyant, le personnel de la franchise californienne avait fait rembourrer son siège au Staples Center (8 cm d’épaisseur supplémentaire) de manière à ce qu’il ne souffre pas de la hanche. Le grand Phil dominait encore mieux les débats. Mais à vrai dire, il n’avait pas besoin de ce subterfuge pour régner sur ses troupes. Des joueurs qui avancent comme des pions à la moindre de ses remarques. Mais tout n’est pas aussi simple… Son ami et biographe Charley Rosen l’assure :
« Humainement, Phil est quelqu’un de compliqué ».
Jackson passe par Jim Cleamons, l’un de ses assistants, pour donner les consignes les plus dures à l’encontre de certains joueurs. Le préparateur personnel d’un joueur qui travaille à El Segundo, en dehors des horaires des practices, avoue n’avoir aucun contact avec le « Zen Master ». Josh Powell et DJ Mbenga n’ont jamais eu la moindre explication après avoir été relégués en bout du banc du jour au lendemain. Ils ont simplement compris que le retour d’Andrew Bynum leur avait été fatal. Jamais le big boss ne leur en a parlé.
« Sur le plan du relationnel, du dialogue, ça reste franchement limite », s’agaçait le Slovène Sasha Vujacic, limité à 4.4 minutes en Finales contre Orlando.
Des méthodes radicales parfois blessantes
Phil Jackson ne compose pas. Jamais. Il tranche. Ayant eu Michael Jordan, Shaquille O’Neal et Kobe Bryant sous ses ordres, il peut s’autoriser ce mode de gestion. Des garçons comme Luke Walton et Derek Fisher ont compris le message. D’autres, comme Toni Kukoc chez les Bulls ou Andrew Bynum chez les champions 2009, ont morflé ou morflent en silence. Les méthodes de « Jax », souvent radicales, peuvent être blessantes. Il y a un an, peu avant les playoffs, il avait donné à Luke Walton un livre consacré aux rock stars s’étant tuées dans un crash d’avion. Walton commence à lire quelques pages durant un voyage. Il ne finira jamais le bouquin… A-t-il compris le message avant d’attaquer cette campagne 2008 qui sera ponctuée d’un revers contre les Celtics ? Sans doute. Le procédé avait quelque chose de blessant, de vexant. Ça n’empêche pas Walton d’apprécier sincèrement le personnage. Il n’a jamais entretenu la moindre rancœur au sujet de cet épisode. Kobe Bryant affirme supporter aujourd’hui des choses qu’il n’aurait jamais acceptées il y a quelques années de cet entraîneur que lui aussi respecte plus qu’il n’admire.
Mourning allume le « Maître Zen »
Phil Jackson est aussi un homme de rencontres. Il a eu la chance de croiser Tex Winter qui lui a donné les plans de la triangle offense et un schéma de jeu plus global.
« See the ball on defense and hit the open man on offense. »
Quand on s’appelle Phil Jackson et qu’on débute avec un playbook comme ça, on joue sur du velours. Le natif de Deer Lodge (Montana) a aussi mené ses propres expérimentations. Avant d’obtenir un titre national en CBA en 1984 avec les fameux Albany Patroons, Jackson avait testé ses méthodes à lui. Il avait par exemple fait diviser le salaire de certains joueurs par deux et donné à tous un temps de jeu équitable. Ce qui a fonctionné en CBA a été conservé en NBA, dans la limite du possible. La philosophie de Phil Jackson – l’homme et le coach – s’est nourrie de ses expériences, de ses lectures, de ses rencontres et… des cobayes qui ont croisé sa route. On aime ou on déteste Phil Jackson. A priori, Alonzo Mourning ne l’a jamais trop aimé, même s’il n’a jamais eu à le supporter.
« Pour vous dire la vérité, Phil n’a pas autre chose à faire que d’appeler les temps morts, s’est exclamé l’ex-pivot du Heat durant les Finales. Kobe lui facilite la tâche sur le terrain. Je pense que Phil se met juste en costard et que c’est Bryant qui fait tout le boulot sur le parquet pour permettre aux Lakers de gagner. »
Une remarque totalement absurde pour Luke Walton qui, de l’intérieur, vit autre chose :
« Depuis le premier jour du training camp, Phil nous a parfaitement dirigés. C’est absurde, tout ce que j’ai pu lire ou entendre à son sujet… »
On ne peut s’empêcher de donner raison à l’ailier des Lakers. Faut-il rappeler que lorsque Jackson tourna les talons après le flop de 2004 contre Detroit (1-4 en Finales), les Lakers chutèrent à 34-48, avec Rudy Tomjanovich et Frank Hamblen, et disparurent de la carte des playoffs ? Il est facile de faire taire les critiques quand on parle de Phil Jackson. Que cela agace ou non, l’homme a très souvent raison…