S’il existe une multitude de manières de bâtir une très bonne franchise NBA, il est désormais d’usage, pour une équipe avide de remonter dans le haut de tableau, de sacrifier une, deux, voire trois saisons. L’objectif ? Économiser quelques dizaines de millions de dollars, empiler les tours de draft et attendre l’éclosion des jeunes talents, quitte à traverser plusieurs années blanches avant d’atteindre son objectif. Mais si vous pensiez que c’est ce périlleux chemin que s’apprête à suivre la franchise de Milwaukee, détrompez-vous.
Malgré les départs de quatre de leurs cinq meilleurs scoreurs la saison passée (Brandon Jennings, Monta Ellis, J.J Redick, Mike Dunleavy), et bien que le Wisconsin ne représente pas le marché le plus attractif des États-Unis, les Bucks refusent de se résoudre au tanking. Contrairement à la voie prise par le Thunder il y a plusieurs années, ils n’attendent pas d’amasser une flopée de tours de draft, ni de frapper un grand coup sur le marché des free agents comme à Miami.
David Morway et la « Pacers theory »
Les Cerfs espèrent au contraire se maintenir en milieu de tableau (8e l’an passé), c’est-à-dire rester compétitifs, mais rajouter progressivement quelques pierres à l’édifice pour remporter 38, puis 41, 46, et pourquoi pas 50 matches de saison régulière. En d’autres termes, se calquer sur le modèle des Pacers depuis quelques années, en constante montée en puissance et devenus en 2013 de sérieux prétendants au titre.
Afin de s’assurer du bon déroulement de cette opération, les dirigeants des Bucks ont offert, le 3 juillet dernier, le poste d’assistant General Manager à un certain David Morway, qui n’est autre que l’ex-GM d’Indiana.
« Il n’existe pas qu’une seule façon de construire une franchise », expliquait-il récemment à ESPN. « L’une d’entre elles est d’acquérir de bons choix de draft, mais il existe un énorme fossé entre la théorie et sa mise en application ».
En d’autres termes, pour un Thunder, il y a beaucoup de Kings, de Bobcats, et quelques résultats intermédiaires qui doivent encore faire leurs preuves (Wizards et Cavaliers notamment, qui n’ont pas joué les playoffs ces trois dernières saisons). Et puis, il y a la preuve par l’exemple : à Milwaukee, un Larry Sanders (15e choix) risque sans doute d’apporter davantage, sur le long terme, qu’un Andrew Bogut (1er choix). Tout l’intérêt de ce genre de comparaison étant de prouver que le tanking n’est pas forcément la meilleure stratégie : il exige beaucoup de chance et un timing impeccable, ce dont a bénéficié OKC.
A Indiana, David Morway a choisi de suivre une toute autre voie, qui s’est matérialisée par un ensemble de décisions surprenantes en apparence, mais liées les unes aux autres et dont les conséquences se font ressentir aujourd’hui. Re-signer Danny Granger ? Mais à un prix convenable (cinq ans, 60 millions). Transférer les droits de Jerryd Bayless ? Contre Brandon Rush, Jarrett Jack et Josh McRoberts. Drafter ? Oui, mais malin : Paul George, Lance Stephenson et Kawhi Leonard. Transférer ce dernier ? Pour obtenir George Hill, destiné à stopper les meneurs adverses en playoffs. Envoyer Jermaine O’Neal à Toronto? Contre T.J Ford, certes, mais en compagnie des droits d’un certain Roy Hibbert.
Gagner pour rester attractif et cohérent
Les dirigeants de Milwaukee, comme ceux d’Indiana, savent qu’ils ne possèdent pas l’attractivité des franchises susceptibles de renverser leur situation d’un claquement de doigt. Les Bucks pointent bons derniers de la ligue en termes de valeur économique, et le Bradley Center manque cruellement de charme. S’ils ne tankent pas, c’est donc aussi parce qu’ils n’en ont tout simplement pas les moyens. A l’instar des Pacers il y a quelques saisons, à l’attractivité très limitée (24e au classement des valeurs) et dont la réputation avait été entachée par la bagarre face aux Pistons, les Bucks ont tout intérêt à se battre pour le 8e spot.
« Pourquoi viendrais-je voir votre match si vous me dites que vous n’essayez même pas de gagner ? », insiste Morway.
Cet état d’esprit est partagé par le propriétaire des Bucks, le sénateur Herb Kohl, figure politique locale, natif de Milwaukee, profondément attaché à sa ville et à la culture de la gagne. Tout comme Herbert Simon, à la tête de la franchise d’Indianapolis depuis 30 ans, Kohl incite ses joueurs à se battre pour la victoire, soir après soir, car il estime que c’est un devoir envers ses citoyens. Cette vision n’existe pas au sein d’un grand nombre de franchises, dont les propriétaires ne vivent même pas en ville et ne possèdent qu’un lien très fragile avec les fans.
En étroite et constante relation avec le staff des Bucks, Kohl s’est démarqué en choisissant de ne jamais faire table rase, mais de s’arracher pour jouer de manière respectable, année après année. Avec l’espoir de suivre l’exemple des Pacers, devenus contenders en cinq années environ (2008-2013).
Les équipes comme Milwaukee sauvent la saison régulière
« Ce que nous essayons de dire, c’est qu’avec Larry [Sanders], l’un des meilleurs défenseurs de la ligue, avec Ersan [Ilyasova], avec des vétérans comme Zaza [Pachulia], Luke [Ridnour], Carlos [Delfino], avec des jeunes joueurs comme O.J [Mayo], Brandon [Knight], John [Henson], Gary [Neal], Ekpe [Udoh] et Giannis [Antetokounmpo], je sais qu’on ne gagnera pas un titre aujourd’hui », admet le GM John Hammond. « Mais je pense qu’on peut être compétitif tout en construisant avec quelques choix de draft et de l’espace sous le salary cap ».
Dans la logique de cette stratégie, ce « cap room » sera progressivement et précautionneusement utilisé pour engager des agents libres triés sur le volet. Comme O.J Mayo, le meilleur joueur disponible que la franchise pouvait se permettre d’acheter cet été. A huit millions l’année, on a beaucoup reproché aux Bucks d’avoir surpayé l’arrière, qui méritait bien 20 ou 25% de moins. Mais à seulement 25 ans, et avec deux saisons pleines à plus de 17 points de moyenne dans les pattes (lors de ses débuts à Memphis, entre 2008 et 2010), Mayo est une addition de choix au sein d’une équipe qui cherche d’abord à ne pas régresser.
« Il faut parfois être prêt à surpayer pour obtenir des talents », se justifie Hammond.
Cette stratégie, aussi admirable soit-elle, n’est pas sans raté. En mars, en se séparant de Tobias Harris (17,3 points en 27 rencontres à Orlando) pour J.J Redick (vite transféré), les Bucks se sont plantés. Cet été, en offrant 16 millions de dollars à Zaza Pachulia, ils frôlent l’inconscience. Mais ces prises de risques s’inscrivent, là encore, dans une logique simple : oser ne pas assurer son avenir, mais progresser rapidement et à petits pas, sans tout miser sur un choix de draft (si aléatoire) ou un free agent superstar (improbable à Milwaukee). En d’autres termes, ne pas tout reconstruire bêtement, mais bricoler intelligemment.
En agissant de la sorte, ces franchises compromettent en partie leur futur, s’arrangent chaque été pour limiter les dégâts, font avec les moyens du bord mais restent compétitif à moyen terme. Ces collectifs ne font pas rêver les foules, et ne gagneront pas de titre sur les trois prochaines saisons. Mais ce sont ces équipes, comme Indiana avant 2010 et Milwaukee en 2013, qui ont le mérite d’animer la saison jusqu’à son terme, quand d’autres refusent le combat. Un jour, sans doute, seront-elles récompensées.
EFFECTIF 2013/14
Meneurs
Brandon Knight, Luke Ridnour, Nate Wolters.
Extérieurs
OJ Mayo, Caron Butler, Gary Neal, Carlos Delfino, Khris Middleton, Giannis Antetokounmpo.
Intérieurs
Larry Sanders, Ersan Ilyasova, Zaza Pachulia, John Henson, Ekpe Udoh, Miroslav Raduljica.