« On va profiter de cette soirée, mais le workout pour la Draft de demain va être sympa… » Invité sur le plateau de NBA TV en compagnie de Jrue Holiday, juste après le sacre des Celtics lors de ces Finals 2024, Brad Stevens conclut l’interview par une blague, ou une demi-blague.
Une demi-blague qui en dit finalement très long sur l’architecte (un peu névrosé) de cette équipe. Arrivé dans le Massachusetts comme coach, en 2013, c’est finalement dans les bureaux qu’il a conduit la franchise au titre. En 2021, Brad Stevens quitte ainsi le banc pour prendre la suite de Danny Ainge à la direction du club.
Brad Stevens a pourtant longtemps semblé être le « head coach » capable de ramener une 18e bannière à Boston. Mais après des années d’ascension, et trois finales de conférence perdues (2017, 2018 et 2020), le technicien semblait à court de jus. La saison 2020/21 fut particulièrement délicate pour lui, avec un vestiaire qu’il arrivait de moins en moins à gérer, et à comprendre. Épuisé sur le plan mental, le perfectionniste et méticuleux Brad Stevens acceptait de quitter le banc pour devenir président des opérations basket de la franchise.
Etait-ce son choix, ou plutôt celui des propriétaires ? En tout cas, c’était un pari risqué pour Wyc Grousbeck et compagnie, mais trois ans plus tard, on peut dire que c’est un pari totalement réussi.
De l’opportunisme pour s’ajuster
Quelques jours seulement après sa nomination comme patron sportif, Brad Stevens échange Kemba Walker pour récupérer Al Horford. En plus de retrouver un vétéran précieux, qu’il a toujours apprécié, il se débarrasse surtout du meneur de jeu, dont les limites physiques sont de plus en plus criantes. Certes, il a dû pour cela lâcher un premier tour de Draft (qui deviendra Alperen Sengun…), mais il obtient de la souplesse financière.
Dans la foulée, il engage Ime Udoka comme coach, et l’ancien assistant des Nets parvient à se connecter avec le vestiaire en deuxième partie de saison pour emmener l’équipe vers les Finals, finalement perdues face aux Warriors.
En juillet 2022, Brad Stevens continue ses ajustements en lâchant une grosse partie de son banc pour mettre la main sur Malcolm Brogdon. Il se défait encore d’un premier tour de Draft (Julian Strawther) mais la logique du dirigeant se met en place. Elle ne sera gâchée que par l’affaire Ime Udoka, qui est suspendu par Boston juste avant l’ouverture de la saison pour avoir eu une liaison avec une membre de son staff. L’inconnu Joe Mazzulla est nommé « head coach » en catastrophe, alors que Will Hardy était déjà parti à Utah, récupéré par Danny Ainge qui y est devenu dirigeant. Avec des assistants choisis par Ime Udoka pour l’entourer, et des départs en cours de route, le jeune technicien va vivre une délicate saison d’expérimentations.
Malgré tout, Boston échoue au Game 7 de la finale de conférence, et Brad Stevens peut continuer ses ajustements. En juillet 2023, il met d’abord la main sur Kristaps Porzingis, se séparant de Marcus Smart au passage, « l’âme » de cette équipe pendant longtemps. Deux mois plus tard, il apporte la touche finale en profitant du transfert de Damian Lillard aux Bucks pour récupérer Jrue Holiday qui avait été envoyé à Portland.
Pour cela, il lui a cette fois fallu se séparer de Malcolm Brogdon, Robert Williams, et deux premiers tours de Draft.
Développer une identité collective claire
« On a dû lâcher de très bons joueurs, et notamment Marcus Smart, qui comptait beaucoup pour nous » rappelle Brad Stevens sur la logique derrière ses échanges. « Pour obtenir Jrue (Holiday), on a aussi dû sacrifier des gars qui comptaient beaucoup pour nous, avec Malcolm (Brogdon) et Rob (Williams). Ce sont des décisions difficiles. Car même si je sais que je récupère Jrue Holiday, j’ai mal au ventre parce que je dois appeler les deux autres. »
Néanmoins, Brad Stevens sait aussi que ces transferts clarifient les choses. Même s’il était l’âme de l’équipe et un super défenseur, Marcus Smart restait un shooteur moyen, qui pouvait d’ailleurs sortir de son cadre offensif.
Avec Kristaps Porzingis, Jrue Holiday, Derrick White, Al Horford et les autres, les responsabilités sont plus claires, avec le duo Jayson Tatum – Jaylen Brown qui sert de moteur.
« Au bout du compte, ce qu’on essaie de faire, c’est de s’entourer de la meilleure équipe possible. Et l’un des traits de caractère les plus importants pour nous, c’est la conscience de ce qu’on est » explique le dirigeant de l’année 2024. « Savoir qui on est, savoir ce qu’on fait de mieux et vouloir le faire pour le bien de l’équipe. Jrue est peut-être le meilleur exemple de ça à travers la ligue. Mais Derrick White n’est pas loin, et Kristaps Porzingis non plus. Al (Horford) est aussi un très bon exemple. On a énormément de gars qui savent ce qu’ils sont et qui se comportent comme il faut. Parce que toutes ces discussions sur les récompenses individuelles, qui s’en soucie ? C’est un sport collectif et nous devons être une équipe qui va dans la même direction. »
Alors que Danny Ainge était parfois accusé de « vouloir gagner chaque échange » et d’accumuler un trésor de guerre de tours de Draft qu’il parvenait ensuite difficilement à exploiter, Brad Stevens n’a de son côté pas hésité à utiliser ce trésor afin d’aller dans la direction souhaitée.
Et cette direction, c’est celle d’une équipe qui maximise ses priorités : à savoir une défense physique et polyvalente, qui limite les points faibles attaqués par les attaquants adverses, surtout en playoffs, et une attaque « 5-Out », avec cinq joueurs placés derrière la ligne à 3-points, qui étirent le jeu au maximum.
Une chaîne sans maillon faible
Boston a ainsi dominé la saison régulière et les playoffs (80 victoires pour 21 défaites au total, soit 79% de succès) avec une formule en apparence simple : une grosse défense et des 3-points.
Deuxième meilleure défense en saison régulière (110.6 points encaissés sur 100 possessions) et meilleure attaque (122.2 points inscrits sur 100 possessions), les Celtics ont ainsi affiché un « Net Rating » (différence entre efficacité offensive et défensive) de +11.7, ce qui les place à la 3e place dans l’histoire de la catégorie, derrière les Bulls de 1995/96 (+13.4) et les Bulls de 1996/97 (+12.0) mais devant les Warriors de 2016/17 (+11.6) !
Pourtant, lors de la dernière Sloan Sports Conference, deux chercheurs ont expliqué avoir identifié un biais dans la valeur du shoot à 3-points dans la NBA actuelle.
En gros, Justin Ehrlich et Shane Sanders expliquent que les calculs ne prennent pas en compte la possibilité pour un shoot de provoquer une faute, alors que c’est crucial, parce que cela offre des lancers-francs et pénalise les défenseurs (tout en les rendant moins agressifs). Ironiquement, le shoot à 3-points est tellement craint qu’il est celui qui provoque le moins de fautes… ce qui limite donc (un peu) son efficacité réelle, selon cette étude.
Globalement, les franchises NBA shooteraient désormais trop de 3-points. Alors qu’ils dominent largement la ligue en terme de volume extérieur (42.5 tentatives de loin par match), les Celtics abuseraient-ils du shoot de loin ?
Forcément, avec un tel volume de 3-points, l’adresse de loin est un facteur clé dans les victoires de Boston.
Néanmoins, comme le notait Henry Abbott, de Truehoop, et comme le développe Zach Lowe, d’ESPN, le « 5-Out » mis en place par Brad Stevens est spécifique. Parce qu’il s’appuie avant tout sur des solides défenseurs, qui peuvent (quasiment) tout « switcher » et qui forment donc un vrai mur, difficile à attaquer par le jeu désormais habituel des écrans et de la chasse aux « matchups ».
De plus, avec cinq joueurs derrière la ligne à 3-points, ce système offensif permet aussi indirectement de toujours assurer un repli défensif mais… également d’économiser de l’énergie en attaque.
Et surtout, tous les joueurs de la rotation principale de Joe Mazzulla sont des bons shooteurs extérieurs. De Al Horford à Jayson Tatum, en passant par Kristaps Porzingis, Jrue Holiday, Payton Pritchard, Jaylen Brown, Sam Hauser et Derrick White, ils sont ainsi huit à prendre plus de quatre tirs à 3-points par rencontre, ce groupe tournant à 39% de réussite sur la saison régulière. Impossible donc pour les adversaires de faire des impasses.
Pas besoin pour Brad Stevens de créateur d’exception ou de scoreur ultra dominant quand on n’a pas de maillon faible dans la chaîne, tant sur le plan défensif que sur le plan offensif.