Drafté au deuxième tour de la Draft en 2001, en 39e choix, Earl Watson a tout de même réussi une belle carrière, longue de treize saisons malgré son petit gabarit (1m85 pour 90kg).
« Journeyman » de la NBA avec sept franchises différentes, il en a retenu de nombreuses leçons qui lui serviront à passer de l’autre côté de la barrière, dans le coaching, au moment de raccrocher les baskets.
« Au bout de quinze minutes, il y a eu une fusillade à côté de chez moi »
Originaire de Kansas City, Earl Watson était destiné à rester dans la région, à la fac de Kansas après sa belle carrière au lycée, terminée par des stats rondelettes de 23 points, 14 rebonds et 8 passes de moyenne. Mais c’est grâce à la rencontre de celui qui deviendra son grand pote, Baron Davis, dans une équipe estivale sponsorisée par Nike, qu’il va ouvrir une porte vers la Californie. Une décision qui va changer sa vie.
« Honnêtement, je ne me suis jamais vraiment senti chez moi à Kansas City », explique Earl Watson sur le podcast de Baron Davis, The Point God. « À la fois noir américain mais aussi d’origine mexicaine, et sans aucune intention de m’en excuser, j’étais plutôt dans l’ambiance de Los Angeles. Après avoir été ton coéquipier dans les équipes Nike, je voulais jouer dans ton équipe [à l’université] car je savais que j’allais progresser. Je me suis engagé pour UCLA et cinq minutes plus tard, tu t’étais engagé aussi. Ce qui est fou avec cette visite, il y avait Coach Lavin et un de ses assistants, ma mère, mon père et mes frères, c’est qu’au bout de quinze minutes, il y a eu une fusillade à côté de chez moi. On entend des coups de feu et Coach Lavin prend peur : on doit partir ! Je lui dis : non, non, il ne faut pas partir maintenant, il faut attendre les sirènes pour partir. Il y a tout un processus à suivre. Il faut attendre que les sirènes de police tournent encore plus fort et seulement après, tu pourras partir. Mes frères les ont fait sortir du quartier et en faisant le tour du bloc, ils m’ont dit que [Baron Davis] était aussi engagé. J’ai demandé son numéro de téléphone et c’était parti… Mais j’ai ressenti beaucoup de pression pour rester à Kansas, des sponsors, de George Raveling [qui travaillait pour Nike], de Roy Williams. Je me souviens, il y avait un appel à trois comme ça et ils me disaient que je n’allais pas jouer à UCLA parce qu’il y avait Baron Davis. C’est tout ce que j’avais besoin d’entendre parce que je voulais être poussé et j’allais vraiment voir si j’étais assez bon pour arriver en NBA. Si je n’avais pas fait ce choix, toute ma carrière aurait été différente. »
Issu des milieux pauvres de Kansas City, Earl Watson avait connu sa première fusillade à l’âge de six ans. Grandir dans un tel environnement n’a évidemment rien d’une sinécure. L’optique de rester dans les environs, même sur le campus des Jayhawks, n’était pas conforme aux envies d’ailleurs du jeune Watson.
« Quand j’ai fait ma visite à Kansas, je me souviens entrer dans le bureau de Coach Williams et il y avait un silence de cathédrale. On chuchotait avec la secrétaire. J’avais l’impression d’être au poste de police, ou dans le bureau du principal… Je n’étais vraiment pas à l’aise du tout ! Et puis, quand je suis allé à UCLA, la porte du bureau du coach était ouvert. Il y avait des joueurs sur un canapé qui discutaient avec lui. Il y avait plus d’échanges et c’était plus naturel. Je me sentais plus accepté dans mon identité et j’avais besoin d’un environnement comme ça pour me trouver professionnellement. »
« Vers 7h45, on voyait Kobe entrer dans la salle avec son préparateur »
Et puis, outre le climat et l’ambiance californienne, UCLA avait de quoi conquérir le cœur d’Earl Watson. Dans la même chambre que son nouvel ami, le Baron – après avoir été accueilli par la grand-mère de Davis à son arrivée à Los Angeles, Earl Watson va en prendre plein les mirettes avec les stars locales (qui ne manquent pas).
« Avant même la journée d’orientation, on est passé par le bureau des coachs et il y avait John Wooden. Pour moi, c’était incroyable de rencontrer une légende du basket. À l’époque, je ne l’avais vu qu’à la télé ou à la radio, ou dans ses livres. Et quand on arrive au Pauley Pavillon, il y avait Magic ! C’était dingue ! Encore plus fou, on avait une classe à 8h le matin et on passait devant le Wooden Center. Vers 7h45, on voyait Kobe entrer dans la salle avec son préparateur. Les matchs en pickup commençaient à 15h et on avait une classe qui se terminait juste à 14h15. On courait dans nos chambres pour nous changer et essayer de croiser Kobe qui partait autour de 14h30… Je crois même qu’il y allait après avoir fait de la piste. On le voyait à son troisième entraînement de la journée, si ce n’était le troisième [rires]. Il était tout le temps à UCLA. »
Les fameuses sessions de « pickup » étaient légendaires sur le campus de UCLA. Les jeunes Bruins, parmi lesquels viendra bientôt s’ajouter un certain Jérôme Moïso, à l’été 1998 – étaient évidemment aux premières loges pour regarder, dans le cas de Watson, ou de rivaliser, dans le cas de Davis.
« Je me souviens d’aller voir les matchs de l’après-midi. Il y avait du beau monde, Kobe, Magic, Shaq, Chris Webber, Kenny Anderson, Penny Hardaway, Kiki VanDeWeghe, J-Kidd, Norm Nixon, Darrick Martin, Pooh Richardson, Mark Jackson… Les deux premières semaines, je ne jouais même pas, je voulais simplement regarder. Et je me souviens de t’avoir vu passer en mode match pour la première fois », sourit Earl Watson en direction de Baron Davis. « Avec Nike avant ça, c’était trop facile pour toi et tu t’amusais mais là, il fallait hausser le ton. C’est aussi la première fois que je comptais les dribbles, que je comptais les rythmes et les mouvements des joueurs car je commençais à comprendre comment je pouvais influencer un match. »
« Si Magic ratait, c’est qu’il y avait faute »
Au fur et à mesure, après avoir pris en confiance, Baron Davis et Earl Watson se présentent bientôt avec leur propre équipe pour défier les vétérans NBA. Des conflits de génération gentiment négociés par Magic Johnson lui-même, droit d’aînesse oblige.
« Kris Johnson, Toby [Bailey], JR [Henderson], Sean [Farnham]… On avait une grosse équipe et je me souviens, on faisait une défense tout terrain et les pros détestaient ça. Surtout Magic. Ah, Magic était connu pour tricher en fin de match. Si on était sur la balle de match, on savait qu’on ne reviendrait pas de l’autre côté du terrain en attaque. Sur chacun de ses tirs, il y avait faute [rires]. S’il ratait, c’est qu’il y avait faute [rires]. »
Si Earl Watson en rigole des années après, il sait aussi reconnaître que le magicien des Lakers l’a beaucoup aidé durant ces matchs en « pickup ». Même à la retraite, Magic pouvait encore mater les meilleurs sur ce format court. Shaq et Kobe ont dû en entendre parler…
« Ce qui était bien avec Magic, c’est qu’il nous a appris à jouer le jeu à l’intérieur du jeu », reprend Earl Watson. « Il nous battait sur le terrain d’abord et après, il nous prenait sur le côté et nous disait ce qu’on pouvait faire et ce qu’on ne pouvait pas faire. Je l’ai vu battre les Lakers, champions en titre, sur un match de pickup. Il avait amené sa propre équipe. C’était incroyable de le voir contrôler le jeu à lui seul. Comment faire une bonne passe au poste bas pour faire basculer la défense. Comment passer de lent à rapide, et revenir à lent. Il simplifiait beaucoup les choses, surtout sur les fins de match. La simplicité est essentielle au basket. »
Depuis ses débuts au début des années 2000, à son rôle actuel d’assistant coach des Raptors vingt ans plus tard, Earl Watson a bénéficié d’un point de vue privilégié pour observer l’évolution du jeu.
« Le jeu a évolué entre le moment où on est entré dans la Ligue et quand on en est sorti. Et depuis, il a continué à évoluer. Le style de jeu actuel [en NBA] est le type de jeu qu’on avait à l’université. Quand on est arrivé dans la Ligue, il fallait mettre le ballon au poste bas. Et pour moi en l’occurrence, c’était de donner la balle à GP, puis Vin Baker, et une fois que le ballon ressortait, c’est là qu’on pouvait entrer en action. »
« Il m’avait balancé le ballon dans la tête ! »
Titulaire dès sa saison freshman, en compagnie de Baron Davis, chez les Bruins, Earl Watson a en revanche été un remplaçant pendant la grande majorité de sa carrière en NBA (à part pour la saison 2007-08 à Seattle). Belle teigne en défense, il était surtout un meneur organisateur, à 11 points et 6 passes de moyenne ses meilleures années (à Seattle également). Mais en bon meneur de jeu, il a surtout compris qu’il lui fallait conquérir l’aspect technique et tactique pour s’installer dans la durée en NBA. Ses remarques sur les tendances de joueurs, mais aussi de coachs, sont particulièrement captivantes.
« Quand je rentrais sur le terrain, mon objectif était de contrôler le rythme du match. Si je jouais conte le jeune D-Rose, qui était tellement rapide en transition, je ne m’amusais pas à courir avec lui, je m’arrêtais et il me rentrait dedans. Il a compris dans sa deuxième ou troisième année qu’il lui fallait faire un « euro step » pour contourner le défenseur. Il y a ce type de tendances chez les joueurs. Mais il y a aussi les tendances chez les coachs. À OKC, j’ai travaillé avec Ron Adams, qui est pour moi l’un des deux meilleurs coachs défensifs de l’histoire avec Dick Harter mais bon, j’ai joué pour les deux donc je ne suis pas objectif. Ron avait pour habitude de dire à ses joueurs de gêner le shooteur en sautant à côté de lui, puis une deuxième fois derrière lui. Donc, quand je jouais contre OKC, je faisais des feintes de tir à chaque fois. Je savais qu’il sauterait à côté de moi, et moi je sautais vers eux, car je savais que c’était ce qu’on leur disait de faire chaque jour à l’entraînement. C’est là que j’ai commencé à étudier les tendances des coachs. J’ai joué pour tellement d’équipes et de coachs différents, mais je gardais ça en mémoire. (…) Je savais comment manipuler les coachs et manipuler les joueurs et c’est ça qui m’a permis de jouer treize saisons en NBA. Quand ma moyenne en carrière est à 3 points [6 en fait], je n’étais pas un All-Star mais je savais que si j’étais parmi les meilleurs au ratio passe par possession, j’aurais une chance de jouer parce que les superstars aiment jouer avec des gars qui leur donnent le ballon au bon endroit au bon moment. C’est pour ça que Ray Allen adorait jouer avec moi à Seattle, parce que je savais exactement quand, où et comment lui donner le ballon en sortie d’écran. »
Drafté par les Sonics et auteur de ses meilleures campagnes dans le grand Nord-Ouest entre 2005 et 2008, Earl Watson a eu l’opportunité de croiser Gary Payton à Seattle.
Outre une anecdote assez amusante sur le meneur de jeu en salopette qui interrompt un match de « pickup » pour demander un temps mort, Earl Watson rappelle un moment plus anthologique encore avec l’adversaire le plus redoutable du « Glove », John Stockton, l’ennemi juré du Jazz.
« Payton me disait : ‘Tu ne peux pas prendre ça pour acquis ! Tu m’entends. Pour toi, c’est un honneur. Quand arrive le match, c’est M. Stockton’. Je lui disais que moi aussi, j’aimais bien John Stockton mais peu importe qui je joue, je vais le prendre en tout-terrain. Et le match commence, je défends en tout-terrain. J’ai 21 ans et lui a déjà des poils de torse qui débordent du maillot. Un vétéran, un vrai poilu ! Il n’était pas super rapide mais il attaquait vite ses angles. Boum, boum. Et puis quand il passait la ligne à 3-points, il fallait faire très attention car au moindre contact, il y avait faute sifflée à tous les coups. Pas question pour moi de le laisser marcher jusqu’à la ligne des lancers. Je lui tiens tête et on se rentre dedans. Je lève les bras. Et là il fait une passe juste à côté de ma tête et je me baisse pour éviter le ballon. Je me dis qu’il y avait un backdoor. Je me retourne et il n’y a personne derrière moi. Il m’avait balancé le ballon dans la tête ! Je me retourne vers lui et il me dit : ‘Arrête de me coller !’ Non, mec, d’où je viens, je ne pouvais pas me faire pourrir par John Stockton, même s’il est une légende. C’était un grand intimidateur. Mais c’était comme ça à l’époque. C’était un test invisible. Les vétérans te mettaient à l’épreuve et il fallait l’accepter pour être respecté. »
« Je vais te le briser, ton poignet ! »
Dans la même veine, Earl Watson a déchanté face à un autre meneur de légende, un certain Jason Kidd. Une de ses idoles de jeunesse. Une idole rapidement brûlée, dès leur premier face-à-face dans la Grande Ligue.
« J’avais son maillot de Cal quand je rentrais au quartier et j’étais trop fier de moi. Alors que ce n’était pas vraiment la couleur à porter au quartier. Mais c’était J-Kidd ! Et là, j’allais l’affronter [en NBA]. Je savais qu’il aimait mettre ses adversaires au poste bas et on m’avait appris à mettre le bras sur le dos pour tenir un peu. Dès qu’il a senti que ma main se posait sur son dos, il s’est retourné et a essayé de me frapper au poignet avec son coude. Quand il a fait ça, on s’est percuté et on est tombé. Si je suis au contact, je vais tomber avec toi. Et il me dit : « Je vais te le briser, ton poignet !’ Putain mais qu’est-ce qu’il se passe ? Encore un des héros de mon enfance que je ne peux plus aimer ! C’est quoi ce délire… Après ça, j’ai commencé à sortir les coudes, idole ou pas. Il n’y a plus d’amis dans cette ligue ! »
Également passé par le Tennessee pendant trois saisons, à l’époque de Pau Gasol, Mike Miller ou encore Jason Williams, Earl Watson a forcément eu un faible pour « White Chocolate ». Sa comparaison avec Trae Young ne manquera certainement pas d’alimenter quelques discussions. À moins que ce soit la punchline de Hubie Brown…
« Il était en avance sur son temps. Tout ce qu’il faisait, c’était prendre des 3-points. À l’époque, ce n’était pas politiquement correct, c’était trop. Mais maintenant, il serait célébré comme un Kyrie. Il était tellement fort balle en mains, il sortait de ces moves en dribble ou en voltes. Je pense qu’il était meilleur que Trae Young, il était plus grand, son dribble était meilleur. Il n’avait pas simplement la même liberté. Il n’a pas été mis dans les meilleures conditions. [A Memphis], il avait une dynamique tellement intéressante avec Hubie Brown, qui était beaucoup plus âgé et essayait de le dompter un peu et de le canaliser tout en lui laissant un espace de création aussi. J-Will avait du mal à trouver l’équilibre. Je me souviens d’Hubie Brown qui le réprimandait : ‘Jason, souviens-toi d’une chose : Pistol Pete n’a jamais rien gagné !’ Mais il faut apprendre à comprendre l’identité d’un joueur pour vraiment le laisser s’exprimer pleinement. Les coachs d’aujourd’hui commencent à le comprendre. »