Entre les 82 matchs du calendrier, les déplacements incessants, les obligations diverses et leur vie privée – souvent plus compliquée que le calendrier, la vie des joueurs NBA n’est clairement pas de tout repos. Alors imaginez un peu celle d’un rookie, qui plus est « two-way contract » et qui doit donc se partager entre deux équipes bien distinctes…
C’est en l’occurrence le quotidien de Jaylen Hoard cette saison, entre les Trail Blazers de Portland en NBA et les Legends du Texas (à Frisco, à 40 km au nord de Dallas). Le rookie français sorti de Wake Forest – après un an seulement à la fac – a ainsi passé l’essentiel du dernier long « road trip » des Blazers sur la côte Est avant de rester au sein du groupe NBA jusqu’à dimanche dernier.
Depuis, il est retourné dans l’antichambre de la Grande Ligue avec un match face à Austin ce mercredi (il a fini à 15 points, 4 rebonds, 2 passes), et un autre ce dimanche à Oklahoma City (et encore mardi prochain en Arizona). De quoi perdre un peu les pédales… « On est arrivé [à Portland] il y a… Attends, il y a combien de temps ? Il y a quatre jours, je crois. On a joué… Contre qui déjà ? [Milwaukee, non ?] Oui, on était là… »
Les voyages forment la jeunesse
Heureusement, à 20 ans tout juste, Jaylen n’est pas à la peine physiquement. A vrai dire, les voyages forment la jeunesse, comme le veut le dicton. Surtout que les conditions de voyage ne sont plus celles qu’il a pu connaître avec les Bleuets dans sa jeunesse ou avec les Demon Deacons en NCAA l’année passée.
« Oui, on est en jet privé », nous confie le rookie. « Il y a des sections, la première pour les joueurs. Tous les sièges peuvent être inclinés de façon à ce que tu puisses dormir vraiment à plat. Après, il y un petit coin où tu peux manger avec 4 sièges. En général, c’est là où je me mets avec Nassir et il y a Kent Bazemore aussi. A l’arrière de l’avion, il y a la partie pour les coachs et également pour le personnel de l’équipe. Le confort est excellent. La nourriture aussi, à chaque fois, c’est exceptionnel. C’est les petites choses comme ça qui font super plaisir. »
Ainsi placé à mi-chemin entre la cour des grands et la deuxième division, Jaylen Hoard est tiraillé entre ses deux nouvelles équipes – elles-mêmes séparées de plus de 3 000 kilomètres. Et deux modes de vie différents.
« Maintenant, je peux dire que je suis un joueur NBA »
Mais cette expérience lui permet pour le coup d’entrer dans le vif du sujet avec des aller-et-venues impromptus entre le Texas et l’Oregon et une formation accélérée pour faire et défaire sa valise ! « C’était difficile dernièrement car on était avec Portland et on a dû retourner dans le Texas, on a dû ré-emménager dans la chambre d’hôtel. Et quelques jours après, on nous a rappelés et on a donc dû refaire nos valises pour repartir. Parfois, ça fait beaucoup de route mais c’est sympa. Même si on s’entraîne souvent [avec l’équipe NBA], on ne joue pas beaucoup pendant les matchs donc on n’est pas fatigué non plus. »
Et pour cause, durant son séjour prolongé avec les Blazers à la fin novembre, Hoard a mis les pieds sur le parquet à 3 reprises pour une grosse dizaine de minutes jouées au total. C’est peu et beaucoup à la fois car c’était l’occasion de découvrir à la fois ce qu’est un véritable road trip en NBA mais aussi, et surtout, de « devenir un joueur NBA » à part entière. Autrement dit, de scorer son premier panier dans la Grande Ligue.
« C’était cool. On avait 20 points d’avance je crois, du coup, Moses et moi, on a pu rentrer en jeu. Après quelques minutes, les coachs sont venus me dire d’être agressif et d’aller scorer. Quand j’ai eu la contre-attaque, c’est ce que j’ai fait. »
Ses premiers points NBA à Chicago, tout un symbole
Et comme le hasard fait bien les choses : le jeune Jaylen a inscrit ses premiers points sur le parquet des Bulls, à Chicago. Dans la ville natale de son paternel, et là où son parrain, James Wade, officie en tant que head coach de la franchise locale de WNBA (le Chicago Sky avec lequel il a été élu coach de l’année la saison passée). Un joli clin d’oeil du destin.
« C’est là où est né mon père et c’est là où mon parrain est coach du Chicago Sky. C’était forcément un peu particulier. Ça fait du bien de scorer ce panier aussi car tant que tu n’as pas scoré en NBA, tu n’as pas vraiment l’impression que tu es un joueur NBA. Maintenant, je peux le dire. »
En l’occurrence, avec son « contrat qui va dans les deux sens », le rookie français est limité par définition cette année. La réglementation stipule que les joueurs signés sous ce contrat « two way » ne doivent pas passer plus de 45 jours avec leur équipe NBA.
1st of many @NBA buckets for #2WayPlayer @JaylenHoard 👏 @WakeMBB ↗️ @trailblazers pic.twitter.com/FqjbhDZqWi
— NBA G League (@nbagleague) November 27, 2019
Sachant que l’ailier tricolore a été rappelé par l’équipe A à deux reprises sur le premier mois de compétition (le 9 puis le 21 novembre), après les blessures de trois titulaires (Damian Lillard, Rodney Hood et Hassan Whiteside), ses jours à Portland semblent déjà comptés…
« En two way, tu as une limite de 45 jours et là je pense que j’en ai déjà utilisés beaucoup. En plus, les jours qu’ils comptent, ce ne sont pas seulement les jours de matchs mais les jours d’entraînement aussi. Du coup, je dois être à beaucoup de jours [une douzaine selon nos calculs, ndlr]. Je sais que je suis encore là jusqu’au prochain match à domicile (le 29 novembre dernier). Je ne suis pas sûr encore. On voit au fur et à mesure car ça dépend toujours des blessures… »
Autrement dit, Jaylen Hoard a probablement été un peu gâté en NBA sur ce début de saison et il faut probablement s’attendre à un retour à la normale, au Texas, sur les mois à venir. Encore que, depuis le départ de Pau Gasol, les Blazers ont davantage de souplesse avec une place libre dans leur effectif…
Tombé tout petit dans la marmite
Pour Jaylen cela dit, rien ne presse. Très à l’aise avec ses coéquipiers dans la langue de Shakespeare, tant et si bien que la plupart ignore qu’il est Français (comme la réaction de Dame ici), le Havrais de naissance est serein durant sa saison rookie. Sa sagesse est même franchement décapante !
« Je pense que ça va venir. Même si ce n’est pas cette année, je pense que l’année prochaine, je serai prêt. Je travaille au jour le jour et je sais que ça viendra. De toute façon, c’est un processus. Regarde Anfernee [Simons], l’année dernière, il n’a pas joué sauf le dernier match de la saison. Gary Trent pareil. Même CJ McCollum, pendant deux ans, il n’a quasiment pas joué. Voir ces gars-là, suivre leur exemple, ça me donne confiance et ça m’apprend la patience. Ça ne vient pas tout de suite. Même Jimmy Butler, qui est un de mes joueurs préférés, sa première saison, il n’a quasiment pas joué. Je prends le temps. Je reste prêt mais ce n’est pas grave si ça n’arrive pas cette année. Chaque jour je progresse. »
Issu d’une famille qui respire le basket, Jaylen est tombé dans la marmite quand il était petit. Bien entouré, avec les conseils avisés de ses parents, tous deux anciens pros, mais aussi de Edwige Lawson-Wade et son mari, James, le rookie de Rip City ne fait clairement pas son âge quand on l’écoute parler…
« En NBA, le mental, c’est quasiment tout »
Face à la perspective de retourner à l’étage inférieur, Jaylen Hoard ne se fait pas de mouron non plus. Bien conscient que ce n’est qu’un étape dans sa jeune carrière, l’ancien Demon Deacon prend son mal en patience. Sans se mettre de pression. « Pas vraiment, je descends et je fais mes matchs. Dans ma tête, je sais que je dois être agressif offensivement et fort défensivement. Je ne me mets pas de pression particulière. Ils commencent à me connaître maintenant. Au début, ils essayaient de voir comment je jouais. Ils ont vu que j’étais fort balle en main, au poste bas et sur l’extérieur. Je sais qu’ils ont mis en place 2 ou 3 systèmes pour moi pour que je puisse attaque sur le pick & roll ou d’avoir des ballons au post up. Je trouve que ça se passe bien. »
Et pour cause, Hoard a réussi un match à 30 points et 9 rebonds pour sa 2e sortie avec les Legends face à Iowa. Pourtant, le voyage avait plutôt mal débuté pour le rookie, avec une erreur de paquetage… « Ce match-là, je revenais de Portland. On est parti de Portland et on allait dans l’Iowa. Et moi, je ne savais pas, je croyais qu’on allait dans le Texas. Du coup, on est arrivé là-bas et il faisait super froid. J’avais rien prévu. J’étais en pull et il faisait super froid », en rigole-t-il a posteriori. « Mais on a eu un jour de repos et le match était le lendemain. Le match commence et je regarde un peu comment ça se passe. Dès que je suis rentré dans le match, j’ai commencé à marquer des points par ci par là et après j’étais en rythme. Les coachs m’ont laissé sur le terrain et ça s’est bien passé. »
« Une année pour s’améliorer »
A 18 points et 7 rebonds de moyenne en 4 rencontres de G-League, Jaylen Hoard a rapidement démontré qu’il avait largement le niveau. Après avoir enchaîné un gros été de travail, après une belle saison NCAA à 13 points et 8 rebonds à Wake Forest, Hoard a aussi pris part à la préparation des Blazers depuis cet été, en amont du camp d’entraînement.
Ses progrès sont visibles au tir et sur le physique. Véritable « rat de gymnase », Hoard s’épanouit en vivant à deux pas d’un centre d’entraînement flambant neuf, dont une salle de muscu où il a déjà pris ses habitudes. Et puis, à force de se frotter aux titulaires NBA, Hoard grandit à vue d’oeil.
« J’évolue bien au niveau de la compréhension du jeu et physiquement aussi. Je suis tout le temps en salle de muscu. Même le jour des matchs, vu qu’en général, je ne joue pas beaucoup, je me fais une vraie séance de musculation avant les entraînements. Et je sens que ça m’aide énormément en G-League. Physiquement, c’est plus facile. Je peux défendre contre des joueurs plus costauds. Je suis bien au niveau du cardio aussi. »
Cette évolution positive n’a pas échappé à Terry Stotts qui retrouve en Jaylen un interlocuteur privilégié pour sortir ses notions de français. « Je parle français de temps en temps, mais aux Français seulement », nous a ainsi confié en rigolant le head coach des Blazers. « Je pense vraiment qu’il a beaucoup progressé depuis la ligue d’été. Il a une meilleure compréhension du jeu NBA. Il n’a pas eu l’opportunité de jouer beaucoup quand il a été avec nous mais on a fait du 3 contre 3, du 4 contre 4 à l’entraînement et physiquement, je pense qu’il est probablement en meilleure condition qu’il l’était en ligue d’été. Ça va être une belle année pour lui, il va faire des matchs avec Texas [dont ce mercredi]. Il a beaucoup progressé dans certains aspects de son jeu et c’est l’objectif pour lui cette année : s’améliorer. »
Pour ce faire, il faut évidemment jouer et emmagasiner des minutes. Les fameuses « reps » (pour répétitions) pour créer les bons réflexes des deux côtés du terrain. En l’occurrence, Jaylen Hoard profite de ce temps avec les Legends pour peaufiner ses rotations et son positionnement défensifs. Mais pas uniquement…
« La défense, c’est toujours un truc que tu peux travailler, car il faut défendre à n’importe quel niveau. En attaque, je dois être agressif, être en mode attaque. C’est une question de confiance. Les gens n’en parlent pas beaucoup mais en NBA, le mental, c’est quasiment tout. Etre en confiance, shooter beaucoup, attaquer, montrer ta polyvalence. »
De là à dire que c’est facile, il n’y a qu’un pas. Que ne franchit pas Jaylen, bien trop sage pour ça. « Je ne dirais pas ce que c’est facile [en G-League] mais c’est plus facile qu’en NBA forcément. C’est plus ouvert et ça joue plus vite. Comme il n’y a pas vraiment de systèmes, il y a plus de possessions. Tu as plus d’opportunités de marquer. Après, physiquement, ce n’est pas pareil. La plupart des joueurs n’ont pas le niveau NBA et donc, quand tu vas au cercle, c’est plus facile que de finir contre Whiteside. Les défenseurs en G-League, ça n’est pas des gars comme Kent Bazemore.«
Chris Paul et Carmelo Anthony pour mentors
Etonnant de maturité, Jaylen Hoard a beau être un petit rookie de bout de banc, en « two way », le garçon a déjà un « réseau » lui aussi surprenant. Après le match face à OKC, il était notamment en grande discussion avec Chris Paul, le meneur star du Thunder, mais aussi mentor du jeune Frenchy. « J’ai joué pour son équipe en AAU. Il m’a coaché pendant deux tournois. On se connaît depuis longtemps. On est allé à Wake Forest tous les deux aussi, mais là pour le coup, c’est une coïncidence. Ce n’est pas à cause de lui que j’avais choisi Wake Forest. Je suis allé chez lui à Los Angeles récemment. »
En plus des conseils de son cercle de proche, déjà très bien renseigné, Jaylen peut profiter de ceux d’un probable Hall of Famer, sans compter ses nouveaux coéquipiers à Portland. Dont un autre probable Hall of Famer… « [Melo] est cool, il est humble. L’autre soir, il a eu le ballon du match et il me l’a donné. Il est très sympa et il est déjà venu me donner quelques conseils, c’est super pour moi », nous souffle Jaylen avant d’ajouter. « Mais personne ne s’attendait vraiment à ce que Carmelo apporte autant. On savait tous que c’était un grand joueur mais faire ce qu’il fait à son âge, après avoir été arrêté pendant un an, c’est énorme. »
Il faut dire que Carmelo Anthony n’est clairement pas n’importe quel joueur pour Jaylen. « Melo contre Kobe, c’était le premier match NBA que j’ai regardé. C’était en 2009, le match 1 de la finale de conférence. Mon père est allé regarder le match et je ne sais pas pourquoi mais je voulais absolument le regarder aussi. J’étais grave impressionné. Carmelo contre Kobe, c’était un duel assez fou. Carmelo. Après, c’était mon joueur préféré. Il avait mis 39 points, je crois [c’est exact, belle mémoire, ndlr]. »
En voyages avec Moses
Enfin, durant toutes ses tribulations d’aéroport en aéroport tout en faisant l’ascenseur entre les deux Ligues, Jaylen Hoard est aussi bien tombé à Portland. Avec Moses Brown, le jeune pivot rapidement passé par UCLA, Jaylen a un compagnon de voyage idéal pour garder le moral au beau fixe. « Je me sens moins seul, c’est bien d’avoir quelqu’un de l’équipe avec moi, c’est sûr. Ça rend les choses plus faciles. Je le connaissais depuis mon premier match aux Etats-Unis, au Elite 24. C’était un genre de All Star Game et on jouait ensemble déjà à l’époque. »
Le choix de la formation américaine à partir du lycée semble parfaitement porter ses fruits pour Jaylen Hoard qui trouve ses marques, et des têtes connues, partout où il va sur le circuit. Avec son sens inné du panier et sa polyvalence idéale pour le basket moderne, Jaylen Hoard poursuit surtout une courbe de progression constante.
Déterminé et appliqué, le jeune ailier français des Blazers n’a pas fini de faire parler de lui… Ses premiers points un soir de 25 novembre à Chicago ne devraient certainement pas être sans suite. « C’était un bon moment car toute ma famille était contente, mon père, ma mère, mes frère et soeur… C’est ça qui m’a fait le plus plaisir au final, de savoir que ma famille était fière de moi. Mais ce n’est que le début. »
Propos recueillis à Portland