Contrairement à ce que pouvaient indiquer certains manuels scolaires il y a encore quelques années, la responsabilité de l’empereur Néron dans l’incendie de Rome en juillet 64 est largement remise en question par les historiens modernes. L’histoire fait mal les choses car l’analogie avec Phil Jackson aurait été vite trouvée. Lors de ses jeunes années au pouvoir, peu après son matricide, Néron se voulait plus proche du fin gourmet que du tyran mégalomane : proche de Sénèque, poète, comédien et esthète, il aspirait à faire de son empire un havre d’art et d’harmonie.
Une arrivée au pouvoir dans une situation déjà délicate
Je ne fais pas partie de ceux qui tirent à boulets rouges sur tout le bilan de Phil Jackson aux Knicks : l’homme aux treize bagues a tout d’abord pris la tête d’une équipe dans une situation consternante en termes de souplesse financière et de choix de draft, deux facteurs déterminants pour l’orientation d’une équipe, que ce soit à court et à long terme.
À titre d’exemple, rappelons que Phil Jackson a aussi dû composer avec les choix de son prédécesseur comme Andrea Bargnani, récupéré contre… Marcus Camby, Quentin Richardson, Steve Novak mais surtout un premier tour de draft 2016, deux seconds tours 2014 et 2017 ! Un échange désastreux pour les atouts de la franchise.
De fait, à titre personnel, mon principal reproche à son égard est d’avoir parlé trop tôt. Il a affiché des ambitions claires et précises qui ne laissaient, de fait, pas de place à la patience ni à l’erreur.
« Nous pensons que nous sommes une équipe de playoffs, et nous ignorons jusqu’à quel point nous irons, mais nous espérons le meilleur. » avait-il ainsi déclaré en septembre 2014.
Cette déclaration, comme tant d’autres, était une faute de communication : si Phil Jackson avait posé d’entrée de jeu les problèmes de gestion de la franchise, prôné la patience et joué l’humilité, le président aurait sans doute pu profiter d’un peu plus de clémence. À ce sujet, son ancien general manager aux Bulls, feu Jerry Krause, avait lui-même souligné que la situation new yorkaise était une impasse.
Des prises de risque peu payantes mais louables
Et si nombre de ses décisions furent des échecs, Phil Jackson a essayé et c’est un fait qu’on ne peut lui reprocher. Contrairement à ce qu’il est coutume de penser, tous les dirigeants ne sont pas si actifs et préfèrent jouer le statu quo plutôt que mettre en péril leur position par une mauvaise décision : c’est d’ailleurs ce qui fut en partie reproché à Mitch Kupchak, l’ex-GM des Lakers.
Outre le licenciement de Mike Woodson pour l’embauche de Derek Fisher, sa première décision sportive a été d’échanger Tyson Chandler et Raymond Felton contre Jose Calderon, Samuel Dalembert, Wayne Ellington, Shane Larkin et deux tours de draft. Évidemment, avec le recul, l’échange est perdant mais Jose Calderon était alors un meneur solide doublé d’un vétéran respecté, mais son contrat faisait en effet de lui un joueur difficile à manoeuvrer. Le bon point concernait les deux tours de draft mais là encore, les Knicks n’ont pas brillé avec les sélections de Thanasis Antetokounmpo et Cleanthony Early. Ce dernier est un échec, le premier a fait un passage éclair.
Par la suite, Phil Jackson a prolongé Carmelo Anthony : beaucoup le lui reprochent aujourd’hui mais à l’époque, un départ du joueur aurait été considéré comme un échec pour le président. Aussi, il n’aurait pas bénéficié d’une manne d’argent suffisante pour acquérir un joueur équivalent sur le marché. Grâce à la convention collective de la NBA, et les fameux « Bird Rights », cette prolongation était sans doute la seule décision à prendre, à moins de vouloir repartir d’une page blanche. Une orientation légitime mais impossible… dans la mesure où Phil Jackson avait déjà annoncé l’objectif des playoffs. D’où l’intérêt de ne pas trop en dire.
Le 5 janvier 2015, il a ensuite concrétisé un « blockbuster deal » en envoyant J.R. Smith et Iman Shumpert aux Cavaliers pour récupérer, essentiellement, Lance Thomas, Lou Amundson et un deuxième tour de draft 2019. Par la suite, le président a coupé Amar’e Stoudemire. Une somme de mouvements, sans doute désastreuse sur le plan sportif, mais bénéfique pour les finances du club avec une économie estimée à l’époque à plus de 35 millions de dollars.
Comme l’a tristement dit un ancien ministre de l’Éducation Nationale, le président des Knicks a dégraissé le mammouth. C’était sans doute la seule voie à prendre (pour la franchise, pas pour le ministère) mais cela ne pouvait évidemment pas passer par de meilleurs résultats. Or, c’était bien sur cette progression qu’il avait axée sa communication.
Le plus gros problème ? Sa communication
Le même été, il sélectionne Kristaps Porzingis en dépit de la vindicte populaire et envoie deux seconds tours de draft 2020 et 2021 pour récupérer un deuxième tour de draft 2015 et sélectionner Willy Hernangomez : aujourd’hui, ces deux choix sont considérés comme bons.
Évidemment, toutes les décisions sportives de Phil Jackson ont loin d’avoir été pertinentes, notamment dans le choix de ses coaches, par exemple l’indéboulonnable Kurt Rambis en assistant, et surtout son obsession pour l’attaque en triangle.
Mais le pire n’est peut-être pas là : que le président des Knicks ne brille pas par ses choix, c’est un fait qu’il partage avec bon nombre de dirigeants. Mais la plupart ne se sont pas risqués à jouer avec le feu médiatique. Et aujourd’hui, ce besoin insatiable de nourrir la presse de déclarations enterre la franchise.
D’une part, Phil Jackson se contredit. Constamment. Doit-on rappeler qu’à son arrivée, il ne tarissait pas d’éloges pour Carmelo Anthony ?
« Il effleure juste la grandeur de son jeu et je pense que nous avons là, un joueur qui peut offrir beaucoup plus parce qu’il n’a que 30 ans. Il a beaucoup de belles années devant lui ».
Un compliment qui valait aussi pour les concessions financières du joueur.
« Carmelo a pris moins d’argent (5 millions), et ça paraît ridicule, mais c’est assez pour avoir de la flexibilité dans l’année à venir. Dans les prochaines saisons, la part du gâteau va devenir plus grande, donc des choses vont se passer. »
À l’époque, le potentiel et le contrat du joueur semblaient porter plus d’avantages que d’inconvénients… Aussi, dans son enthousiasme, Phil Jackson avait mis un point d’honneur à instaurer une culture de respect au sein de la franchise.
« Construire une culture est devenu commun en NBA maintenant, mais c’est ça qui m’a fait venir ici. Il y a des choses que les joueurs doivent avoir : la sécurité d’être soutenu par le club…»
Ce soutien du club, la star des Knicks n’a pas vraiment eu la chance d’en bénéficier ces derniers mois, régulièrement taclé publiquement par son dirigeant, avant d’être carrément mis sur le marché devant la presse. Or, Phil Jackson oublie un point : un exécutif doit laver son linge sale en famille et ce, pour plusieurs raisons.
Une relation de confiance impossible avec les acteurs de la NBA ?
En NBA, les agents les plus puissants, ceux qui représentent les stars comme Carmelo Anthony, ont autant de pouvoir, sinon plus, qu’un general manager ou dirigeant de franchise. Voir un joueur de la stature de l’ailier être critiqué aussi ouvertement par son président n’instaure pas un sentiment de confiance et, de fait, l’envie d’envoyer son client dans cette franchise.
Cela fonctionne aussi pour les joueurs, une corporation de plus en plus solidaire depuis l’arrivée de Michelle Roberts, sensibles aux traitements reçus par leurs semblables. D’ailleurs, n’oublions pas que Carmelo Anthony occupe un rôle central au sein de leur syndicat.
Enfin, comment Phil Jackson peut-il espérer recevoir une contrepartie honorable de la part d’un autre dirigeant s’il affaiblit autant de lui-même la cote de sa star ? Clairement, c’est du pain béni pour la concurrence, laquelle n’a plus intérêt à faire de grosses concessions pour un échange. D’ailleurs, leurs fans, leur presse locale et la presse nationale ne le comprendraient pas…
En bref, c’est un désastre. Le président des Knicks s’est mis tout le monde à dos en un temps éclair. Et c’est sans mentionner les diatribes à l’égard du camp de LeBron James ou encore le mépris envers Thanasis Antetokounmpo, dont l’agent désespérait de recevoir un peu d’attention pour son joueur. Ce dernier n’a peut-être pas le talent pour jouer en NBA mais il y a des manières à respecter, même dans le business NBA. Golden State (d’ailleurs dirigé par un ex-agent) l’a bien compris en tenant son engagement à l’égard de Jose Calderon. Phil Jackson aurait été bien inspiré de faire preuve de plus d’humanité envers le frère d’une des stars montantes de la ligue. Giannis Antetokounmpo n’avait d’ailleurs pas caché son mécontentement à l’égard des Knicks…
Au bout du compte, Phil Jackson a bien tenu une promesse, du moins en partie :
« Cette franchise souffre depuis plusieurs saisons à cause de la presse, d’un manque de solidarité. Il faut accepter la relation avec les médias, mais je vous demande une chose : on va avoir une relation ouverte, qu’elle soit bonne. »
La relation avec la presse n’est peut-être pas aussi bonne qu’il ne l’espérait mais ouverte, elle l’est. Sans doute beaucoup trop puisqu’elle a sans doute accéléré son affaiblissement. Aujourd’hui, les playoffs ont débuté depuis une semaine et les Knicks n’y sont pas. Plutôt que de lancer la promesse d’y parvenir, Phil Jackson aurait gagné à rappeler que Rome ne s’est pas construite en un jour. Finalement, il a fait en sorte de nous remémorer qu’elle a brûlé bien plus rapidement. Et si Néron n’était pas le fautif, le président new yorkais est quant à lui bien responsable de cette maison Knicks qui brûle.