La NBA est un royaume où les souverains éphémères se succèdent. Pas de loi salique et pas de règles de succession, le trône se conquiert chaque année. Avec la multiplication des équipes et les nouvelles règles du « salary cap », mettre en place une dynastie semble ainsi de plus en plus compliqué.
À moins que trois superstars ne décident de tout faire pour jouer ensemble, le processus de construction d’un candidat au titre est long, complexe et aléatoire. Ces Spurs en sont l’illustration.
Le « basket des Spurs » a complètement changé
En 1999, 2003, 2005 et même 2007, Gregg Popovich s’appuyait sur une grosse défense et une attaque stéréotypée, avec une utilisation systématique de Tim Duncan poste bas. Le jeu était ralenti au maximum, répétitif et peu plaisant à regarder. C’était le basket des Spurs, l’équivalent sportif du mythe de Sisyphe avec des adversaires obligés d’affronter les mêmes situations encore et encore. Mais ce qui est intéressant, à San Antonio, c’est que le groupe s’est réinventé. À Miami, après le Game 4, le Heat était totalement abattu et Chris Bosh expliquait que les Spurs jouaient un « basket magnifique ».
Interrogé, Tony Parker répondait qu’ils jouaient juste le « basket des Spurs ». En sept ans, la définition du « basket des Spurs » a pourtant complètement changé, passant d’un extrême à l’autre.
Au Texas, la révolution a eu lieu en 2010
Quand a eu lieu la bascule ? Quand Gregg Popovich et R.C. Buford ont-ils décidé de modifier la philosophie de l’équipe et de privilégier le mouvement du ballon plutôt que la fixation poste bas ? Peut-être le 10 mai 2010 quand, balayé par Phoenix au deuxième tour des playoffs, Gregg Popovich paraissait plus défaitiste que jamais quant à l’avenir de son équipe.
« Nous n’avons pas gagné de titre en trois ans, qui sait quand on en gagnera un autre ? », répondait le coach. « Peut-être l’an prochain, peut-être dans 27 ans, peut-être jamais. Personne n’a la réponse mais on va travailler ».
L’attaque des Spurs patine alors que Tim Duncan n’est plus aussi dominant offensivement et que la défense montre des signes de faiblesse. Dans ces conditions, Mavericks, Suns et Lakers prennent le pas sur des Spurs qui entrevoient leur crépuscule. En rois plusieurs fois couronnés, ils auraient pu continuer comme ils l’avaient déjà fait. Mais les certitudes, ce n’est pas le genre de la maison.
À l’été 2010, Gregg Popovich décide d’exploser son schéma offensif. San Antonio se révolutionne autour de Tim Duncan, qui accepte de laisser les clefs de l’attaque à Tony Parker et Manu Ginobili. Le jeu de fixation est terminé, il s’agit désormais de multiplier les pick-and-rolls, de faire bouger la balle, de créer des décalages, de servir les shooteurs dans le corner. Bref, de refondre totalement le jeu offensif.
« Il y a eu des moments où on nous disait qu’il fallait exploser l’équipe. Mais quelle était la solution ? » demande RC Buford. « Notre meilleure chance, c’était de garder ce groupe. Il y avait des choix clairs. Tim Duncan n’allait pas être échangé, d’autres non plus ».
Le « Big Three » était donc intouchable mais il fallait entourer Tim Duncan, Tony Parker et Manu Ginobili.
« Comme on s’était mis ça en tête, qu’est-ce qu’on pouvait faire ? La meilleure solution, c’était de garder ce groupe et d’essayer de satisfaire leurs attentes. On ne se souciait pas des attentes des autres, on ne s’intéressait qu’à faire réussir cet effectif ».
Le système est désormais clair, défini. San Antonio va multiplier les pick-and-rolls, il faut donc des intérieurs capables de « rouler » vers le cercle et des « catch-and-shooteurs » sur les ailes, également capables de défendre sur la périphérie. La franchise reconstruit donc doucement son effectif.
Une lente reconstruction de l’effectif
En 2010 :
– Drafté en 2007, Tiago Splitter rejoint l’équipe
En 2011 :
– Danny Green est signé comme free agent après avoir été testé en D-League
– Kawhi Leonard est récupéré lors de la draft en échange de George Hill
En 2012 :
– Libéré par Charlotte, Boris Diaw est signé comme free agent
– Patty Mills est signé après avoir passé l’année en Australie puis en Chine
En 2013 :
– Marco Belinelli remplace Gary Neal, parti à Milwaukee
Comme l’explique Zach Lowe, pour Grantland, les Suns de Mike D’Antoni ont sans aucun doute influencé la vision de Gregg Popovich. Dans une ligue qui autorisait la défense de zone depuis 2002, l’attaque poste bas des Spurs devenait moins efficace à mesure que les défenses adverses développaient leurs aides intérieures. L’élimination progressive du « handchecking » en 2004 et la mise en place de la règle des trois secondes en défense ouvrent également les raquettes pour les joueurs extérieurs. Phoenix en profite pour étirer les défenses adverses et c’est le même principe que vont utiliser les Spurs pour attaquer les défenses à répétition et les faire craquer en multipliant les rotations et les demandes d’aides.
« Quand rien ne semble aider, je regarde un tailleur de pierre qui frappe une pierre peut-être cent fois sans qu’aucune marque n’apparaisse sur la pierre. Et puis, au 101e coup, elle se fend en deux et je sais que ce n’est pas le dernier coup qui a tout fait, mais tous ceux d’avant ».
Cette citation, affichée dans le vestiaire des Spurs, est l’essence de la philosophie de Gregg Popovich. Manu Ginobili expliquait hier que San Antonio devait faire quatre ou cinq passes pour réussir à créer une décalage face à l’exceptionnelle défense du Heat. Pour les Texans, il s’agissait de frapper le rocher floridien jusqu’à ce qu’il se brise. Depuis 1997, la philosophie est donc la même. En 2010, c’est simplement l’outil qui a changé.