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Les blogs de la rédaction

Irving juge de Kyrie

Par  — 

Chouchou du public lorsqu’il était Cleveland, Kyrie Irving a vu sa cote de popularité s’effondrer. Contrairement à LeBron James, il ne parvient pas à reprendre la main sur sa communication, et surtout son image.

Que se passe-t-il dans la tête de Kyrie Irving ? Impossible à cerner, le meneur des Nets a perdu une bonne partie des fans NBA, alors que ses dribbles et son talent sur le parquet, mais aussi son shoot décisif lors des Finals 2016 ou son personnage d’Uncle Drew, lui offraient pourtant une belle cote d’amour.

Mais entre son départ forcé de Cleveland, la volte-face à Boston, sa communication changeante ou sa période d’adhésion aux théories du complot marquée par l’affaire « de la Terre plate », il est devenu une figure publique de plus en plus critiquée, et les supporters de Boston l’attendaient donc de pied ferme hier soir. Kyrie Irving n’était pas au TD Garden mais il a tenu à répondre sur les réseaux sociaux…

Que tirer de ce texte où, globalement, Kyrie Irving explique que la NBA n’est qu’un show et que les fans n’ont pas la perception des athlètes en tant que personnes ? Certains reprocheront logiquement au basketteur de Brooklyn d’agir comme un enfant gâté, de vouloir les millions de dollars de son contrat et de ses deals publicitaires, générés par la passion des fans, tout en refusant les côtés moins agréables.

Globalement, c’est peut-être exprimé de façon maladroite, mais je crois que ça pose quand même le problème de la gestion de la célébrité par les sportifs professionnels.

Accepter que sa vie devienne publique

Tout le monde n’y réagit pas de la même façon, et ça ne remonte pas à hier. Dans une passionnante conférence au Collège de France, Antoine Lilti (directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales) faisait il y a quelques années un résumé de son livre : Figures publiques : L’invention de la célébrité (1750-1850), publié en 2014. Il y expliquait comment la deuxième moitié du XVIIIe siècle avait vu apparaître le concept de célébrité avec la multiplication des médias, des gazettes et des gravures, qui permettent de faire connaître les discours, les pensées et les portraits des hommes célèbres.

Alors que jusque-là, les artistes connaissaient leur public, dans les salons littéraires, les théâtres ou les opéras, cette époque a marqué le début du public médiatique, qui suit la vie des célébrités uniquement par la presse. Très vite, cette asymétrie crée une demande des « fans » vers la vie privée des personnes connues, et les premiers signes des « peopolisation ». Quand Jean Huber fait diffuser son « Lever de Voltaire » où l’écrivain enfile son pantalon, ce dernier n’est pas particulièrement ravi de la démarche, mais Antoine Lilti raconte avec humour comment le peintre explique qu’il ne fait que répondre à l’intérêt du public, assurant « qu’il sait exactement la dose de ridicule nécessaire ».

En quoi est-ce lié à Kyrie Irving, vous demandez-vous peut-être ? C’est qu’Antoine Lilti revient en particulier sur le cas de Jean-Jacques Rousseau. Le philosophe a ainsi été l’un des premiers à vivre cette première vague de célébrité. Très connu dans toute l’Europe, son portrait et ses discours étant largement diffusés, l’auteur de Du contrat social et de L’Emile va finir par devenir totalement allergique à cette image publique de lui-même.

Durant les dix à quinze dernières années de sa vie, il va ainsi passer son temps à produire des œuvres autobiographiques comme Les Confessions ou Rousseau juge de Jean-Jacques dans lesquelles il tente de montrer ce qu’il assure être, frustré par l’image publique de lui qu’il voit partout. Devenu paranoïaque, il explique être victime d’un complot mené par Grimm, Voltaire ou D’Alembert pour empêcher la diffusion de ses œuvres. Pour Antoine Lilti, cette paranoïa est en fait « une réaction très vive, très violente, à ce phénomène de la célébrité, c’est-à-dire la manière de vivre cette nouvelle expérience de voir circuler dans l’espace publique toute une série de discours et d’images comme une malédiction, un fardeau, une véritable aliénation ». Jean-Jacques Rousseau était ainsi dans une tension constante entre « le sentiment qu’il avait de lui-même et le personnage public qu’il est devenu ».

« La célébrité est le châtiment du mérite et la punition du talent »

« Parmi mes contemporains, il est peu d’hommes dont le nom soit plus connu dans l’Europe et dont l’individu soit plus ignoré », écrit-il ainsi dans le préambule des Confessions, en 1764. « Chacun me figurait à sa fantaisie sans crainte que l’original vint le démentir. Il y avait un Rousseau dans le grand monde, et un autre dans la retraite qui ne lui ressemblait en rien ».

Hypersensible, Jean-Jacques Rousseau a sans cesse couru derrière son image publique afin de la corriger, persuadé qu’elle le définissait mal. Vous voyez le lien ? Pour moi, c’est en effet exactement la même chose pour Kyrie Irving, de plus en plus frustré par cette image qui lui échappe et qui lui semble de moins en moins proche de ce qu’il estime être. D’ailleurs, j’ai exactement la même impression pour Kevin Durant, et je ne suis pas vraiment étonné que les deux hommes s’entendent si bien.

« La célébrité est le châtiment du mérite et la punition du talent » écrivait le moraliste Chamfort au XVIIIe siècle. Pour la poétesse Elizabeth Barrett Browning, les inconvénients de la célébrité et les exigences parfois excessives du public ne sont qu’une « taxe d’amour » dont il faut bien s’acquitter.

En opposition à Jean-Jacques Rousseau, Antoine Lilti évoque en tout cas son contemporain, Benjamin Franklin. Scientifique, écrivain, journaliste, politique, ce Père fondateur des États-Unis est avant tout un imprimeur et éditeur qui comprend la puissance et l’intérêt de la presse. Dès lors, en 1776, lorsqu’il est nommé ambassadeur officieux des États-Unis en Europe, il se rend à Paris et découvre les descriptions stéréotypées de la presse à son sujet. Il va donc rapidement faire peindre son portrait, le représentant de manière très simple, un portrait qu’il fera diffuser via des estampes qui propagent son image du « bon quaker » et lui permettent d’emporter l’adhésion de la France à la cause américaine. En 1783, le traité de Paris achève sa mission en Europe, les États-Unis étant officiellement déclarés indépendants, en partie grâce à son incroyable popularité.

LeBron James, l’exemple à suivre

Je m’excuse si ce cours d’histoire est un peu rébarbatif, même si je vous encourage vivement à regarder la conférence d’Antoine Lilti ou à lire son livre, mais je trouve qu’il illustre vraiment une des bases de la communication, depuis les débuts du phénomène de célébrité : il faut créer le message, et ne pas courir après lui pour le modifier.

C’est bien ce qu’a compris LeBron James, par exemple, qui a connu un énorme fiasco avec « The Decision », en 2010, mais qui a depuis largement remis la main sur son image. Comme Benjamin Franklin, le King sait pousser ses idées. Il a créé des médias (« Uninterrupted »), développé des sociétés de production pour ses films et ses documentaires et maintient de bonnes relations avec les journalistes qui le suivent au quotidien et peuvent rapidement diffuser ce qu’il souhaite mettre en avant. « Où sont mes trois femmes ? » avait-il un jour crié au milieu du vestiaire de Cleveland, en parlant de Jason Lloyd (The Athletic), Joe Vardon (Cleveland.com) et Dave McMenamin (ESPN), les trois reporters qui le suivent le plus et à qui il a donné ce surnom.

Depuis le début de la saison, il ironise ainsi à l’envi avec le terme de « Washed King » (« Le Roi lessivé »), tant dans le vestiaire que sur les réseaux sociaux, mettant lui-même en place l’histoire d’un rebond après sa blessure de la saison passée et les commentaires sur son déclin. LeBron James connait ses bases : il vaut toujours mieux écrire l’histoire plutôt que d’essayer de la rectifier.

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