C’est désormais une tradition sur Basket USA : chaque été et chaque hiver, nous vous proposons la lecture de larges extraits d’un ouvrage de basket, soit pour vous distraire sur la plage (comme en ce moment), soit pour occuper les longues soirées au coin du feu.
Après Phil Jackson, Michael Jordan, Larry Bird, Magic Johnson, Allen Iverson et la « Dream Team », nous vous proposons de nous attaquer à un autre monument : Kobe Bryant, quintuple champion NBA qui a pris sa retraite il y a trois ans et qui attend toujours que les Lakers lui donnent un successeur.
Ce livre, « Showboat », est signé Roland Lazenby, l’auteur qui a rédigé la biographie fleuve de Michael Jordan.
Bonne lecture !
Première partie – Deuxième partie – Troisième partie – Quatrième partie – Cinquième partie
A cette époque-là, les équipes devaient soumettre une offre de contrat à leurs choix de draft au plus tard début septembre. Si elles ne remplissaient pas cette obligation, elles perdaient leurs droits sur le choix de draft en question et le joueur était autorisé à devenir agent libre.
« Si vous n’envoyiez pas de contrat, vous perdiez automatiquement vos droits, m’a rappelé Pat Williams, qui était le general manager des Philadelphie 76ers à l’époque. Vous perdiez le joueur. Et donc, un jour, je reçois un appel de Richie Phillips, un ancien substitut du procureur de Philadelphie qui représentait des athlètes ainsi que le syndicat des arbitres de la Major League Baseball. Richie et moi étions amis. Il était l’agent de Jelly Bean. »
Phillips a parlé à Williams de cette règle du contrat et il lui a dit qu’ils n’avaient aucun retour des Golden State Warriors. Williams était stupéfait. Perdre les droits d’un premier tour de draft était une bourde monumentale. Franklin Mieuli, le propriétaire des Warriors – qui avaient déménagé de Philadelphie, pour s’installer en Californie, en 1962 -, entretenait d’étroites relations avec les propriétaires des Sixers. Williams savait que les Sixers ne voudraient pas embarrasser Mieuli, donc il a suggéré d’attendre quelques jours que le contrat arrive.
Les Sixers hésitent à poignarder les Warriors
Quelques jours plus tard, Phillips a de nouveau appelé Williams et il lui a dit qu’ils n’avaient toujours pas de contrat. Phillips avait également approché les New York Knicks, qui étaient vivement intéressés. Williams a pris contact avec le propriétaire des Sixers Irv Kosloff et lui a présenté la situation : aucune offre n’était venue du general manager des Warriors, Dick Vertlieb. « Holala, j’ai pas envie de faire ça à Franklin… », a dit Kosloff à Williams qui lui a répondu : « Eh bien, quelqu’un va le prendre, Kos, quelqu’un va bien finir par prendre Joe Bryant… C’est un sacré bon jeune. Tu sais qu’il veut signer avec nous et rester à Philadelphie. »
De son côté, le coach assistant des Sixers, Jack McMahon, venait de voir Jelly Bean réaliser de brillantes performances en Baker League. Le staff du coach était favorable à son recrutement. Deux ans plus tôt, en 1973, les Sixers avaient connu une saison désastreuse avec un bilan de 9 victoires pour 73 défaites, le pire bilan de NBA de tous les temps (à l’époque). Avec le coach Gene Shue, ils s’étaient progressivement reconstruits mais ils avaient besoin de tous les jeunes joueurs qu’ils pourraient s’offrir. « Donc, on a commencé à négocier », m’a indiqué Williams.
En tant qu’agent libre, Jelly Bean Bryant avait maintenant une marge de manœuvre. « Nous pensions qu’il allait devenir une star, m’a détaillé Williams. Nous recherchions des talents. Joe était un jeune héros à Philly. Il avait l’avantage d’avoir un âpre négociateur en la personne de Richie Phillips. Richie avait hérité d’une véritable pépite. »
Joe Bryant décroche un contrat en or
Les 76ers avaient déjà eu deux choix de draft absolument époustouflants cette saison-là : Darryl Dawkins, 18 ans, et Lloyd Free, 21 ans (qui allait bientôt devenir World B. Free). Dawkins, le 5e choix de la draft, avait signé un contrat de 1,4 million de dollars (1) sur sept ans qui lui assurait un petit peu plus de 100 000 dollars par an dès la première année. Joe Bryant, le 14e choix de la draft, s’était vu proposer un contrat de 900 000 dollars sur trois ans, donc 300 000 dollars (2) par saison.
Deux ans plus tôt, les Chicago Bulls payaient le vétéran Tom Boerwinkle 45 000 dollars par an et raclaient les fonds de tiroirs pour payer 60 000 dollars (3) Jerry Sloan, le chouchou des fans, m’a rappelé Williams qui avait rejoint Philadelphie après avoir été le GM des Bulls. « A l’époque, c’était de grosses sommes, m’a précisé Williams. On a commencé à travailler sur un accord et on l’a finalisé. Ensuite, on a signé Joey et il a donné une conférence de presse. C’était un sacré événement à Philly. Le prodige de l’université locale devenait soudainement un membre des Philadelphie 76ers. »
« Big Joe » a réuni la famille chez lui, à Willows Avenue. Tout le soutien qu’il avait témoigné à son fils s’avérait payant, à un point qu’il n’avait jamais imaginé. « Le soir où Jelly a signé aux Sixers, on a tous pleuré et prié ensemble », s’est souvenu le père. Jelly Bean déclarerait plus tard que sa participation à la Baker League de Sonny Hill lui avait fait gagner 800 000 dollars (4) supplémentaires, une déclaration que Sonny Hill reprendrait de nombreuses fois durant des décennies.
La NBA réduit l’effectif de chaque franchise d’un joueur
La perte d’un premier tour de draft fut une énorme boulette pour les Warriors. Les équipes de NBA vivent grâce à leur capacité à développer les jeunes talents. Même si la disparition de l’American Basketball Association, l’année suivante, générerait une abondance en termes de joueurs disponibles, la perte d’un premier tour de draft était une faute administrative que la franchise californienne ne souhaitait pas vraiment révéler. Par conséquent, pendant des années, les circonstances ont été décrites de manière inexacte : il fut question d’un échange. « Je ne sais même pas ce que les Sixers nous ont donné pour Joe Bryant, dirait plus tard indirectement Al Attles. C’est Dick Vertlieb qui a géré ça. Moi, je voulais Joe. »
Malgré le gros contrat de ce dernier, les temps étaient difficiles à cette époque pour les basketteurs professionnels. En plus de la disparition d’équipes d’ABA, la NBA a réduit l’effectif de chaque franchise d’un joueur, limitant encore davantage les possibilités d’embauche pour les basketteurs. Le timing et les circonstances convenaient à merveille à Joe Bryant après son cursus universitaire à La Salle. S’il n’avait pas véritablement des attentes élevées, son énorme contrat lui indiquait qu’on attendait de lui qu’il devienne instantanément une star. « Nous étions tombés sur une pépinière de jeunes talents », m’a relaté Pat Williams. « Nous avions un problème de riches », a surenchéri Dick Weiss en parlant de l’effectif de Philly.
Les fans de basket de Philadelphie considéraient Jelly Bean comme leur champion et ils étaient ravis qu’un des leurs soit dorénavant un Sixer. « Tout le monde était fou de joie, s’est souvenu Mo Howard. Joey allait jouer à Philly, il allait être un Sixer. On savait qu’il allait mettre un gars de cette équipe sur le banc. Un gars devrait aller s’asseoir à cause de Joey. » Cette situation a immédiatement soulevé une interrogation : qui Jelly allait-il remplacer ?
Chapitre 5 – Les artilleurs
Dans l’esprit de Paul Westhead et Mo Howard, Joe Howard était un talent de première classe pour la NBA. Mais ajouter Jelly Bean à l’équation créait quelque chose d’étrange dans le roster des Sixers. Le cinq de départ était constitué de vétérans endurcis, secondé par de très jeunes réservistes. Devant Bryant, il y avait les excellents ailiers vétérans Billy Cunningham, Steve Mix et George McGinnis. Les rookies étaient tous jeunes, inexpérimentés et peu productifs. Aussi, ils ont eu, au départ, un temps de jeu limité.
Les jeunes talents en sortie de banc – Free, Dawkins et Bryant – seraient bientôt désignés par le surnom la « Bomb Squad », les Artilleurs, pour leur prédilection à faire feu de loin, où que ce soit sur le terrain. Ayant été le chouchou local pendant des années, Bryant avait des étoiles plein les yeux. Sa première saison en NBA s’est avérée être un dur retour à la réalité.
« Joe avait des minutes par-ci, par-là, m’a rappelé Pat Williams. Il avait du mal à obtenir le temps de jeu qu’il souhaitait. C’était un brillant manieur de ballon. C’était un showman et il y avait ce super surnom. Je me souviens de nombreux soirs où il était là. La foule hurlait. Je ne suis pas sûr que les coaches appréciaient ça mais c’était vraiment un gars fait pour assurer le spectacle. Ça tournait toujours comme ça avec lui. »
Gene Shue ne jure que par les valeurs sûres
Le coach était Gene Shue. « C’était un vétéran qui en avait vu de toutes les couleurs, m’a précisé Williams. Nous lui présentions tout à coup un arsenal de jeunes joueurs. » Comme la plupart des entraîneurs de cette époque, Shue n’était pas connu pour être très pédagogue. Cela ne faisait pas partie de ce qui lui était demandé, comme cela serait le cas au XXIe siècle, les équipes de NBA commençant à généraliser l’utilisation de jeunes joueurs.
En 1975, le basket pro restait le domaine des hommes accomplis. « Gene était un coach prônant un basket de vétérans, avec des garçons d’expérience. Il attendait de ses joueurs qu’ils sachent ce qu’ils avaient à faire, a poursuivi Williams. C’était lui-même un ancien pro. Ça faisait des années qu’il coachait. Il avait entraîné les grandes équipes des Baltimore Bullets. Gene, c’était Gene… Son approche était : « Voilà comment on doit jouer au basket. Point. » Il attendait de ses gars qu’ils le fassent. »
Les Sixers avaient découvert Darryl Dawkins dans un lycée de Floride. Ils l’ont planqué avant la draft puis l’ont payé pour qu’il passe pro. C’était l’un des premiers cas de joueurs passant directement du lycée à la NBA (bien qu’un an plus tôt, Moses Malone soit passé du lycée à l’ABA). « Shue avait tout un lot de jeunes joueurs. Ils voulaient tous la balle et ils voulaient tous des minutes, a continué Williams. C’était difficile de leur en donner à tous, évidemment. On avait Joe, on avait Darryl, on avait World B. Free. Ils essayaient tous de jouer un minimum. C’était un sacré truc, les Sixers de 1975-76… C’était une sacrée aventure. »
Le « Tribune » mène une campagne pro-Bryant
Bryant avait donc un temps de jeu limité et les journalistes du « Tribune », le quotidien qui valorisait la communauté afro-américaine, étaient furieux que Shue ne l’utilise pas plus. « On était perplexes, m’a relaté Mo Howard au sujet des amis et des potes de basket de Bryant, parce qu’on ne comprenait pas comment on pouvait ignorer de cette façon le basketteur qu’était Joey. Des gens venaient aux matches juste pour le voir, tu comprends ce que je veux dire ? J’y allais pour le voir jouer. Je veux dire par là que je l’ai toujours vu jouer à sa façon. Il évoluait dans le périmètre. Vous pouviez le voir faire une passe dans le dos. Il se faisait incendier par le coach mais il partait en contre-attaque, il recevait la balle, disons à cinq ou six mètres du panier, il s’arrêtait et il tirait. S’il ratait, il se faisait encore incendier. On n’était pas habitués à voir ça à Philly. »
Subitement, le « fan club » local de Jelly Bean se trouvait être un boulet. Partout où il allait, Bryant se devait d’expliquer pourquoi il ne jouait pas, ce qui était difficile parce qu’il ne le comprenait pas lui-même. Pour la première fois de sa vie, il se retrouvait mis de côté, spectateur du sport qu’il adorait. Il portait sur lui cette frustration.
« On venait pour le voir en action. Et ne pas pouvoir le voir jouer de la façon dont on savait qu’il pouvait le faire, c’était frustrant pour nous aussi, m’a confié Mo Howard. D’autant plus que c’était un gars de Philly. C’était plus particulièrement difficile à vivre à domicile. C’était un joueur de périmètre de 2,06 m, qui pouvait mener le jeu et prendre des tirs. C’était un joueur collectif fiable. Il ne faisait pas ses trucs de façon égoïste, il faisait tout ce qu’il devait faire pour faire gagner son équipe. Voilà ce qu’était Joey. Je le jure, il le faisait avec plus de naturel que certains meneurs. »
Les Sixers ont un gros problème de communication
Dans une interview donnée quarante ans plus tard, on pouvait toujours déceler (de manière assez évidente) l’affection de Shue pour Bryant, ainsi que sa frustration face à de telles circonstances. « Joe avait des minutes mais tous ces jeunes joueurs étaient des gamins à l’époque, se rappelait Shue. Ils voulaient jouer plus mais il n’y avait pas qu’eux qui le désiraient. J’ai toujours apprécié Joe Bryant. J’aimais aussi World B. Free mais encore une fois, ils étaient très, très tendres. Je pense que Darryl devait avoir 18 ans et Joe 20. World B. Free, probablement 19. Il n’y avait pas suffisamment de temps de jeu disponible pour que Joe puisse véritablement s’exprimer, s’épanouir et exceller. Il n’avait qu’un temps de jeu limité en sortie de banc. »
Les Sixers ont vite été confrontés à un problème avec les médias puis à un problème de communication avec le public, tout en essayant de se reconstruire après 1973, la saison calamiteuse qui avait transformé la salle de la ville, le Spectrum, en un mausolée. On avait fait venir Shue pour métamorphoser l’équipe sur le terrain mais les fans voulaient voir Bryant à l’œuvre. « En 1973, il n’y avait pas de journalistes, m’a rappelé le coach. Il n’y avait pas de couverture médiatique, pas de fans. On jouait pour une poignée de supporters. C’était la pire équipe de l’histoire du basket. »
Shue a fait grimper le nombre de victoires à 25 dans sa première saison, 34 dans sa deuxième et 46, avec une place en playoffs, l’année rookie de Jelly Bean Bryant. Grâce à ces succès, les médias sont revenus couvrir les matches. « Tout à coup, a poursuivi Shue, les journalistes se pressaient de nouveau dans la salle. Nous avions une équipe digne de ce nom et la presse était revenue. »
La question raciale revient à la surface
Les journalistes spécialisés qui couvraient les Sixers ont rappelé par la suite que Dawkins, Free et Bryant leur demandaient d’écrire des articles sur leurs faibles temps de jeu. « Je ne blâme pas du tout les joueurs, a ajouté Shue, toujours très ému quarante ans après. Je blâme les journalistes parce qu’ils étaient à l’affût de choses négatives, tous les jours, en rapport avec le fait que ces gars ne jouaient pas suffisamment. Ils allaient voir Darryl, Joe et World B. Free. Ils leur confiaient leur frustration de ne pas être davantage utilisés. Ils écrivaient des choses néfastes sur l’équipe, de nature à provoquer des tensions et des querelles. Mais tout ce que ces gars voulaient, c’était plus de temps de jeu. »
Il y avait un espoir : celui que la présence de Jelly Bean contribue à apaiser un conflit ancien dans le basket pro de la ville. Ce conflit était apparu quand les Philadelphie Warriors avaient remporté le titre de la première saison NBA, avec un jeune shooteur blanc sorti de Kentucky qui s’appelait Jumpin’ Joe Fulks. Ils ont de nouveau remporté le titre en 1956, encore avec des stars blanches, dont Paul Arizin, Neil Johnston et Tom Gola. « Ils n’ont jamais vraiment réussi à se faire accepter du public de North Philly, de sa communauté noire. Pourtant, c’étaient des joueurs fabuleux ! », m’a expliqué Dick Weiss.
Plus tard, au début des années 1960, ils ajoutèrent Wilt Chamberlain, ce qui les a aidés à remplir un peu plus la salle. « Et ces bons vieux Warriors de Philly, avec Wilt, Arizin et Gola, étaient subitement devenus des géants, a ajouté Weiss. Aujourd’hui encore, les gens de Philadelphie vous diront que Wilt est le meilleur joueur à avoir jamais évolué dans cette Ligue. »
Un déménagement sur la côte Ouest qui fait débat
Malgré leurs succès sur le terrain, les Warriors ont été vendus sur la côte Ouest après la saison 1962, que Chamberlain avait bouclée avec des moyennes hallucinantes : 50.4 points et 25.7 rebonds par match. En mars de cette même année, Will « The Stilt », l’échassier, le fils adulé de Philadelphie, a marqué 100 points dans un match et l’équipe s’est hissée en finale de Conférence. Faire déménager les Warriors après une si belle campagne a été « un coup de poignard mortel. Et si la blessure s’est refermée avec le temps, l’incompréhension demeure. Je n’ai pas compris cette décision à l’époque et cinquante ans plus tard, je ne la comprends toujours pas », a écrit Frank Fitzpatrick, chroniqueur au « Philadelphie Inquirer ».
Eddie Gottlieb, longtemps propriétaire des Philadelphie Warriors, a emmené avec lui dans sa tombe, en 1979, le secret de la rationalité de ce déménagement. A l’époque où ils ont été vendus, les Warriors avaient la cinquième plus grosse affluence dans une Ligue qui ne comptait que neuf formations, soit environ 5 500 personnes par match (ce qui est un indicateur de l’impact qu’avait la NBA en ces temps-là).
Au lendemain du départ des Warriors, les Syracuse Nationals sont arrivés à Philadelphie et ils sont devenus les 76ers. Ils ont de nouveau fait venir Wilt Chamberlain et ont remporté le titre avec lui, en 1967, avant de le transférer aux Los Angeles Lakers un an plus tard. C’est peu dire qu’être un fan de basket dans cette ville était une expérience éprouvante, faite de hauts et de bas. Ainsi, les Sixers espéraient fidéliser leur base de fans en incorporant des talents natifs de Philly. Mais ils ne jouaient pas beaucoup. Forcément, la présence de Jelly Bean dans l’équipe frustrait encore plus les fans.
« C’est pourquoi Philadelphie a rechigné pendant si longtemps à drafter des joueurs nés dans la ville, m’a expliqué Weiss. Ils pensaient que si les gars de Philly ne jouaient pas, il ne serait pas possible de reconquérir les fans. Pire, il y aurait une rupture. Ils viendraient aux matches et se demanderaient pourquoi les gars de Philly ne jouent pas… C’est exactement ce qui s’est passé avec Joe. »
Le « showboat » n’a pas que des fans…
La majorité des problèmes qu’a rencontrés l’équipe sur le terrain durant cette première saison étaient dus, tel que l’a avancé Gene Shue, à la jeunesse et au manque de consistance des trois talentueux rookies. Les débutants se voient souvent offrir un peu de temps pour s’habituer au basket pratiqué en NBA mais la franchise de Pennsylvanie était sous la pression des fans et des médias qui voulaient voir Joe briller. Le « Philadelphie Tribune », un média clé pour s’attirer les faveurs des fans locaux (du point de vue de l’équipe), a fait savoir qu’il n’était pas satisfait de la façon dont Joe Bryant avait été traité, quelques semaines après le début de sa saison rookie. « Shue gère l’avenir de Joe Bryant comme un politicien calculateur », titra le journal le 13 décembre 1975.
Ce qui a encore plus compliqué la situation, c’était l’opinion générale concernant les joueurs au style « showboat » à ce moment-là de l’histoire du basket. Dans les années 1940, quand la NBA était exclusivement blanche, la Ligue avait du mal à vendre ses billets. Puis elle avait rencontré un certain succès en couplant ses matches avec ceux des Harlem Globetrotters. Ce seul fait a longtemps été considéré comme ce qui avait permis à la Ligue de survivre à ses (maigres) premières saisons.
Durant les années 1940 et 1950, alors que la NBA s’établissait un peu plus, l’équipe exclusivement blanche des Minneapolis Lakers a disputé une série de matches, selon les règles officielles, contre l’équipe exclusivement noire des Harlem Globetrotters. Ces matches ont été parfois controversés, étant donné le climat racial de l’époque. Il est compréhensible que la situation ait favorisé à la fois la compréhension et l’animosité entre les communautés ethniques. Même le dunk était remis en question, selon les critères de la mentalité dominante à l’époque. Jim Pollard, le puissant athlète star des Minneapolis Lakers, a expliqué un jour que les Blancs qui pouvaient dunker répugnaient à le faire car c’était considéré comme du « showboat ». Ou alors c’était se mettre en avant devant l’adversaire.
Jelly Bean veut être rookie de l’année !
Et si les Harlem Globetrotters assuraient le show avec leurs dribbles déroutants, leurs passes fantaisistes, leurs sketches hilarants, qui électrisaient les fans, eux aussi faisaient très peu de dunks en cette ère post-Seconde Guerre mondiale. Cela ne faisait tout simplement pas partie du jeu. Avec le temps, le débat autour du « showboat » est devenu beaucoup plus compliqué qu’une simple histoire de race. L’un des plus grands adeptes du « showboat » dans l’histoire du basket, « Pistol » Pete Maravich, est arrivé chez les Hawks d’Atlanta, en tant que rookie, en 1970. Les Hawks lui ont offert un contrat de 2 millions de dollars alors qu’ils refusaient d’accorder de modestes augmentations, inférieures à 100 000 dollars (5) par an, à leurs vétérans stars Lenny Wilkens et Joe Caldwell.
Richie Guerin, le coach des Hawks, avait depuis des années la réputation d’être l’un des plus féroces compétiteurs de NBA. Il a fait des Hawks une équipe qui gagnait avec ses tripes. « Le style de Pete me heurtait en tant que coach. Il heurtait aussi nos joueurs », a déclaré Guerin en 1982, en se référant aux deux saisons où il avait coach Maravich en Géorgie. Ce ressenti était encore très ancré en 1976. Il éclaire la façon dont était appréhendé le style très flamboyant de Jelly Bean. Mais avant même de pouvoir faire du « showboat », Bryant devait être sur le terrain.
En janvier, Billy Cunningham, la star de l’équipe, s’est blessé au genou, ce qui a donné du temps de jeu au futur papa de Kobe. Toujours en mode « showboat », Bryant a montré son penchant pour attaquer le panier et planter des dunks ravageurs, qui mettaient dans l’embarras les pivots adverses. Il l’a fait début janvier face au « seven footer » des Milwaukee Bucks Elmore Smith, levant le poing en signe de célébration. Son énergie était palpable. « Tout ce que je veux, c’est être sur le terrain, a-t-il déclaré au « Delaware County Times ». C’est pour ça que je suis là. Je donne tout ce que j’ai sur le parquet. »
« Joe Bryant est un vrai professionnel, a déclaré Gene Shue aux journalistes ce soir-là. Là où il a le plus progressé, c’est sur le plan de la confiance. Au début de la saison, il avait du mal parce qu’il n’arrivait pas à mettre en place son jeu. C’était dû en partie à la façon dont je l’utilisais, avec des minutes par-ci, par-là. »
En février, Bryant a déclaré à des journalistes incrédules qu’il espérait être nommé Rookie de l’année. « Je me suis fixé cette récompense comme objectif. » Il ne l’atteindrait pas. Alvan Adams a reçu ce trophée en tournant à plus de 19 points et 9 rebonds et en contribuant à hisser les Phoenix Suns jusqu’en Finales, au printemps. Jelly Bean a disputé un total de 75 matches de saison régulière, tournant en moyenne à 16 minutes, 7.4 points et 3.7 rebonds.
Ces stats étaient très bonnes pour un rookie mais pas suffisantes au regard des attentes de Bryant et du public de Philly. Jelly Bean n’a même pas été nommé dans la All-Rookie Team, bien que le « Tribune » l’ait choisi comme rookie de l’année et meilleur ailier freshman dans un article paru en avril. Une autre indication de l’affection du public de Philadelphie pour son fils préféré.
1. Environ 1,19 million d’euros.
2. Respectivement 765 600 euros et 255 225 euros environ.
3. Respectivement 38 280 euros et 51 042 euros environ.
4. Environ 680 534 euros.
5. Respectivement 1,7 million d’euros et 85 029 euros environ.
A suivre…
Paru chez le même éditeur
Phil Jackson, « Un coach, onze titres NBA » (14 mai 2014)
Roland Lazenby, « Michael Jordan, The Life » (17 juin 2015)
Jack McCallum, « Dream Team » (8 juin 2016)
Kent Babb, « Allen Iverson, Not a game » (9 novembre 2016)
Jackie MacMullan, « Larry Bird-Magic Johnson, quand le jeu était à nous » (31 mai 2017)
Julien Müller et Anthony Saliou, « Top 50 : Les légendes de la NBA » (10 octobre 2018)
Marcus Thompson II, « Stephen Curry, Golden » (31 octobre 2018)
Julien Müller et Elvis Roquand, « Petit quiz basket » (28 novembre 2018)
George Eddy, « Mon histoire avec la NBA » (6 mars 2019)
Jackie MacMullan, « Shaq sans filtre » (3 juillet 2019)
Talent Editions : https://www.talenteditions.fr