Allen Iverson et la capitale des Gaules, c’est une histoire d’images. Pas d’Epinal, de Lyon. Elle était scrutée cette visite. Epiée. Attendue.
René Magritte se serait régalé mardi soir. Pas seulement car le vert de l’ASVEL sied à sa fameuse pomme et le noir du Besiktas à son chapeau melon. Mais parce que ce mardi, l’heure était au surréalisme. Une exposition Iverson de tableaux sciemment agencés que le peintre belge aurait estampillé avec fierté.
Première toile, le décor: une ville blanchie de flocons maculés, une salle aux airs de vaisseau spatial plantée dans une vallée des Alpes. Il faut des skis pour accéder l’Astroballe. Cette neige aux apparats romanesques à la Simenon oblige le Besiktas à rejoindre l’écrin villeurbannais en métro. Dans une rame privatisée au moins ? Que nenni.
A deux heures du coup d’envoi, voilà le plus gros CV de l’histoire du basket européen pris en photo par des fans turcs éberlués sur la ligne A du métro lyonnais. Même maître René n’aurait pas osé.
Une heure plus tard, le phénomène est sur le parquet, pour un échauffement dans la bonne humeur. Les gradins sont vides. Les quelque cent âmes présentes sont tous pieds sur les lattes, amassées derrière le panier à immortaliser le moindre geste de la vedette du soir. Un concert de caméras, appareils photos et téléphones portables, avec pour unique cible un numéro 4 qui peine à faire fi de l’attention suscitée. Image toujours. Franchement, j’aurais pu enlever mon jean et me fendre de quelques shoots en caleçon de l’autre côté du terrain, avec les joueurs de l’ASVEL, que ça serait passé inaperçu. Ce dernier jour de novembre est le monopole du finaliste NBA 2001. « Tonight’s gonna be a good night » chantent les Black Eyed Peas dans la sono. La star en est convaincue. Elle est motivée.
Chatman, patron et réconfort
La joute peut débuter. Après deux minutes, une interception de haut vol, au sens littérale, et un petit cross over sur Walsh posent les premières étiquettes « ex-MVP » sur l’emballage du produit Iverson. « The Answer » soigne le packaging d’une passe dans le dos qui ravit une Astroballe qui pendant cinq minutes ressemble plus à rassemblement du fan club AI région Rhône qu’à l’antre des Gones, privée du guichets fermés annoncé climat oblige. Mais cet embryon de show est un leurre. Il reste 1’33’’ quand le quadruple meilleur marqueur NBA rejoint le banc. Bilan statistique : 2 points à 1/3 aux shoots, 1 passes décisive, 1 balle perdue, 2 interceptions. Mais surtout très peu le cuir en main. Le patron c’est l’ancien Palois Chatman, qui n’a pourtant pas le panier en ligne de Mire.
Pendant cinq minutes, l’icône de Philly mange sa serviette sur le banc, laconique. Il ne bouge pas. Une statue de cire du musée Grévin. Frustré. Enervé. Quand il revient, Iverson se parle à lui même, agacé. Son premier ballon du second quart-temps est une passe décisive. Le MVP 2001 redemande la gonfle. Il n’en fera pas bon usage. Jefferson le bâche même, humiliation. Deux lancers ratés plus tard, la star est furibarde. Le visage noir. Chatman le sait et raccompagne AI aux vestiaires le bras enroulé sur son épaule. Une scène de réconfort qui ferait un autre joli tableau.
Le quatrième quart-temps sur le banc
La mi-temps a-t-elle pansé les plaies ? Là encore, l’illusion ne dure guère. En début de seconde période, un saut de cabri sur son premier shoot extérieur, le point levé accroupi le sourire aux lèvres sur un caviar délivré « in the paint » : altruiste, beaucoup plus en jambes, leader, le All Star a repris le poste de meneur. Il dirige la manœuvre désormais. Il défend même, comme un cadet un dimanche sous l’œil fier de ses géniteurs. Pourtant, entre Allen et le «D » majuscule la relation est historiquement orageuse. Une brique plus tard sur un shoot forcé et l’idole retrouve le banc. Elle mange à nouveau sa serviette. Le goût doit être le même, l’acidité de l’amertume. Mais l’ancien bad boy ne bronche pas.
Le dernier quart démarre sans lui. Les Stambouliotes bafouillent leur basket, les champions de France 2009 repassent devant. Iverson se contemple les ongles, résigné de son presque statut de simple role player, cloitré les fesses sur le bois quand l’odeur du sang dégage ses premières effluves. Avec ses 2 millions de dollars d’émolument, le « money time » devrait être SON moment. Des cacahuètes. Iverson ne joue pas une seule seconde ! Quand Villeurbanne prend cinq points d’avance, le coach relance Erden. Pas lui. Le coéquipier modèle reste scotché la serviette autour du cou, impuissant devant les approximations d’une équipe turque à la ramasse. Dernier tableau surréaliste d’une soirée éponyme, ponctuée d’un revers sur le fil (88-85).
Demain est un autre jour assure le dicton. Allen Iverson (4 pts à 2/5 aux tirs) ne peut que l’espérer. Mais a-t-il encore vraiment la flamme ?
Après le match, on ira l’interroger dans le vestiaire sur cette absence dans le « money time ». Iverson nous lâchera un simple
« Je suis énervé ».
Trois mots qui viennent signer un tableau inachevé. A jamais peut-être.
Sa sortie de vestiaire en vidéo