Passé en huit mois d’illustre inconnu au milieu de la Floride à Auburndale à Top Pick de la draft 97 (choisi en 9e position par les Raptors), la vie de Tracy McGrady a basculé sur un coup de chance.
Un dîner au hasard d’un coup de téléphone pour Joel Hopkins, le coach de Mount Zion Christian Academy.
Basket USA vous fait remonter le temps et vous dévoile les secrets d’une histoire peu commune, celle de T-Mac le lycéen prodige.
Un dîner presque parfait
Il était minot, avec sa bande de copains du voisinage, à jouer au baseball national, au sacro-saint football US, au basket aussi… Mais de son propre aveu, c’était loin d’être son préféré à l’époque. Celui que ses proches surnommaient PumpkinHead (tête de citrouille) n’était pas fana de la balle orange. Etrange, me direz-vous ?
Et, dans un quartier où les meurtres sont légion, et les problèmes de drogue pullulent, Tracy s’accroche à tous ses sports, et au basket, pour ne pas sombrer. Il voit de ses yeux des voisins se faire flinguer, et les réseaux de trafiquants dealer à l’envi. Seulement 30% des jeunes de ce quartier arrive à atteindre le niveau universitaire ! Il remercie encore sa famille de l’avoir tenu écarté de cette réalité sociale devenu si clichée dans les biographies de sportifs américains, mais pourtant bien présente.
Bientôt, il n’aura plus à s’en soucier. Mais ça, il ne le sait pas encore.
L’histoire bascule véritablement pour T-Mac quand Joel Hopkins se rend chez Millanise Williford, la mère de Tracy, pour la convaincre de laisser partir son ado, loin de Floride, en Caroline du Nord, effectuer sa dernière saison de lycéen dans son académie un peu spéciale.
La rencontre débute plutôt mal. Hopkins ne fait pas dans la dentelle concernant les us et coutumes vestimentaires de la jeune génération.
« Quand je suis allé la première fois chez lui, je lui ai fait enlever ses boucles d’oreilles. Je lui ai dit que j’étais prêt à repartir aussitôt s’il ne les enlevait pas. Les boucles d’oreilles, c’est pour les gonzesses. »
A la croisée des chemins
Elève moyen pour ne pas dire médiocre, Tracy fait le minimum pour rester apte à participer aux activités sportives. Sans grande motivation, il s’imagine arriver au Community College de Polk à côté, à défaut de pouvoir prétendre, par ses notes, à une école de Division I. Sans aucune couverture médiatique dans le petit lycée d’Auburndale, McGrady rate même une occasion de se faire remarquer sur les terrains de basket… précisément pour s’être fait remarquer en classe. Pour avoir répondu à son professeur, Tracy se retrouve privé de jouer dans un tournoi régional.
« Ce garçon n’avait jamais vraiment eu d’éducation ou de discipline dans sa vie domestique. Alors il était toujours dans le vague, et j’ai senti qu’il était à un croisement dans sa vie. » raconte Alvin Jones Jr., le coach du lycée de Kathleen High, qui connaissait Tracy depuis qu’il a 10 ans.
« Soit il allait se retrouver dans une nouvelle altercation à l’école, perdre le basket dans la foulée et se retrouvé déscolarisé. Et là, il aurait terminé dans la rue. Soit il allait à Mount Zion. »
Un Boot Camp religieux
Lever à 4h30 du matin. Footing de 8 kilomètres dans l’obscurité, courses dans les travées du stade de Duke Football. Colocation forcée avec les 17 autres camarades de promo sous le toit du coach lui-même qui ajoute femme et enfants au grand total. Cela, sans compter les 15 heures d’éducation religieuse et de mise en pratique en église, ou encore, les interdictions solennelles de téléphone, de walkman, de boucle d’oreilles et autres artefacts bling bling, de petites amies ou même de sortie dans la grande surface du coin. L’académie de Mount Zion est selon Hopkins une sorte de Boot Camp religieux.
Une éducation à la rude qui a réussi au jeune T-Mac. Sur les 28 matchs de leur saison, les Mighty Warriors ne se sont inclinés qu’à deux reprises. Et le calendrier ne les avait pas aidés avec un total de 22 rencontres à l’extérieur, durant lesquelles McGrady a rapidement appris à jouer sous la pression de prises à deux et de supporters à la langue bien pendue.
Mais bourreau de travail, Tracy s’astreint volontiers au régime draconien d’Hopkins. 500 à 700 shoots par jour, des séances privées avec un entraîneur pour bosser des moves particuliers, des heures à soulever de la fonte (de 60 à 100 kilos en développé couché). McGrady progresse à vue d’œil.
« Tout le monde ici pensait que Tracy avait un talent monstrueux et tous espéraient que cela ne serait pas gaspillé. »
Version pieuse de la Oak Hill Academy qui a vu passer entre ses mains de nombreux talents de la NBA comme Carmelo Anthony, Rajon Rondo, Kevin Durant, Michael Beasley, Brandon Jennings ou Jerry Stackhouse et Rod Strickland chez les anciens, l’académie se veut « stricte avec ces gosses, mais c’est simplement parce que l’on a à faire avec des non-pratiquants, des jeunes qui sont tombés dans les failles de la société. Nous sommes là pour leur offrir une seconde chance et leur laisser le bénéfice du doute. » explique le Révérend Donald Fozard.
Le Père Fozard comprend l’importance de la foi et du pardon, lui qui est le beau frère de John Lucas, l’ancien joueur et coach NBA qui a ouvert un centre de désintoxication bien connu d’anciennes stars des parquets. Il a même appliqué sa philosophie de la seconde chance au coach puisque, sous ses dehors pète-sec, Hopkins avait en son temps touché lui aussi à la cigarette qui fait rire s’étant fait éjecter au passage de North Carolina Central University.
La légende silencieuse
2,03m pour 95 kg. Une détente sèche de 1 mètre propulsée par des pieds chaussant du 52 de chez Adidas. 1,10m de longueur de bras tentaculaires. T-Mac est le prototype parfait du basketteur moderne. Joueur de niveau NCAA II en son temps, Hopkins a goûté à l’amère désillusion de la défaite face au jeune prodige.
« Je l’ai joué en un contre un, exercice où je bats habituellement tous les jeunes que j’ai engagés. Mais j’avais beau essayer de shooter, il bloquait tout ! Je me disais : « Mais quelle est la longueur de ses bras ? »
Et ses adversaires ont également vécu le même type d’expérience. Avec 27 points, 9 rebonds, 8 passes, 3 interceptions et 2 contres de moyenne, McGrady joue sur tous les postes et ridiculise souvent l’opposition sur des dunks qui écrivent sa légende. Comme sur ce alley-oop que T-Mac réceptionne d’un côté de l’arceau avant de suspendre son envol pour le claquer de l’autre côté sur deux adversaires dans un reverse plein de violence.
« Il y a eu tellement de moments où je restais assis sur le banc, complètement ébahi par son talent. J’achèterais ma place pour voir ce gosse jouer un pickup game. » raconte Hopkins.
Ses performances sont tout simplement inouïes à ce niveau. En ce jour de janvier, contre Atlantic Shores Christian School de Chesapeake, pour son retour à domicile, McGrady met les petits plats dans les grands.
Comme une bande annonce du film à venir sur les écrans NBA, T-Mac offre en un match les highlights qui feront sa gloire sur les parquets de la grande ligue. Il claque d’abord quatre posters dunks dans le premier quart. Il enfile ensuite trois trois points et score 11 points en 53 secondes dans le second. Il joue les meneurs distributeurs dans le troisième avant de finir la soirée en beauté avec une interception suivie d’un dunk arrière dans le dernier quart-temps.
Résultat des courses : 36 points, 11 rebonds, 6 passes, 3 contres, 4 interceptions. Et 8 dunks massifs pour une victoire aisée des siens 92-44.
Anecdote savoureuse et preuve du phénomène, le public de l’équipe adverse se met à huer coach Hopkins à deux minutes de la fin de cette boucherie, lorsque ce dernier fait sortir McGrady. PumpkinHead devient The Show.
Passé d’une vie banalement américaine, entre violence urbaine et scolarité négligée, à un style de vie monacal sous les ordres d’un coach repris de justice, il aura suffi de quelques mois pour que tout bascule dans la vie de Tracy McGrady.
Le camp ABCD Adidas
Mais si la mayonnaise a pris si rapidement, et que l’intérêt est monté crescendo autour du nom de Tracy, c’est avant tout du fait de sa performance au camp Adidas qui précédait la saison. Faisant jouer ses relations, Hopkins parvient à faire inviter son poulain à la dernière seconde. Il le prépare pendant un mois avec des « drills » et des exercices de shoot. Et en juillet, direction Teaneck dans le New Jersey pour cette rencontre entre les meilleurs prospects du pays.
Et pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. McGrady reçoit les honneurs de MVP de la partie devant des cadors dont Lamar Odom. Illustre inconnu, Tracy s’est fait un nom à la faveur de ce seul match. Mais encore une fois, c’est avec style qu’il y parvient. Récupérant un ballon dans les airs, il enfourne un dunk en moulin à vent qui retourne complètement la salle.
« Je voulais vraiment faire le show. Après avoir réussi ce dunk, j’avais des frissons partout dans le corps. C’était comme si je savais enfin que j’allais devenir quelqu’un. »
« McGrady voulais prouver qu’il était aussi bon que tout ceux dont on parlait. Et c’était le cas. » commente Bob Gibbons, parmi les pontes des recruteurs universitaires qui garnissaient les rangs du camp Adidas.
Ce dernier en a d’ailleurs fait son second meilleur choix dans son top 500 des lycéens à fort potentiel (derrière Odom) alors même que McGrady n’y apparaissait pas du tout un mois avant.
Des scouts NBA à des entrainements de lycée !
Avec lui, c’est toute l’élite des coachs de fac qui se réveille avec la gueule enfarinée. Rick Pitino de Kentucky, John Thompson de Georgetown et Jim Boeheim de Syracuse s’émerveillent enfin devant le potentiel incroyable de ce jeune ailier complètement passé sous les radars. La newsletter Hoop Scoop qui fait le point chaque année sur les jeunes pousses de la nation basket place Tracy en Une comme étant le « Sleeper de la décennie. »
« Ce qu’a fait Tracy à notre camp, c’était du jamais-vu. Son nom s’est répandu comme une trainée de poudre après le camp. On a eu des jeunes qui sortaient du bois auparavant, mais ils étaient déjà plus ou moins connus par un scout. Tracy était un complet inconnu. » raconte Sonny Vaccaro, directeur d’Adidas Basketball, et organisateur de ce camp depuis plus de 10 ans.
Au mois de décembre, alors que la saison va enfin débuter pour Mount Zion, Hopkins reçoit un coup de téléphone du scout Marty Blake qui demande à obtenir un calendrier des matchs. Et ce sont ensuite des douzaines de scouts qui se déplacent pour voir un match ou un entraînement des Mighty Warriors. Et chacun d’entre eux de placer en fin de conversation que Tracy peut compter sur un premier tour dans leur écurie respective.
Le temps s’accélère enfin pour celui qui se laissait entraîner par le flot dans sa Floride natale. Alors que Maman et Mamie viennent rendre visite à Tracy pour Thanksgiving, ce dernier a déjà son plan en tête. Malgré leur désapprobation et leur argumentaire pour convaincre le petit de se diriger vers un campus, McGrady voit son avenir directement en NBA.
« Si tu peux être un des 15 premiers choix de la draft, alors pourquoi aller à l’université ? C’est une chance que la plupart des jeunes n’auront jamais. » rétorque alors Tracy.
Lamar Odom lui conseiller d’aller en NBA
Et cette dialectique, McGrady l’a une dernière fois assimilé lors du Reebok Holiday Prep Classic qui se déroule à Las Vegas à la fin décembre. Généralement chasse gardée des recruteurs universitaires, cette édition était particulièrement suivie par les scouts NBA. En 20 ans d’existence, cela n’était jamais arrivé. Pour T-Mac, ce sont pas moins de 15 délégués de la grande ligue qui avaient fait le déplacement.
A nouveau opposé à Lamar Odom, Tracy remporte encore le trophée de meilleur joueur avec 24 points dans une victoire 63-55 contre l’équipe d’Harvard – Westlake of North Hollywood. Et beau perdant, Odom lui dit de but en blanc :
« Tracy, t’es le meilleur lycéen, c’est clair. Tu dois aller en NBA. »
Et de fait, Tracy se rend bien compte que le niveau n’est plus suffisamment haut pour qu’il continue sa progression.
Le pin’s Adidas sur le costard un soir de la draft
« Au fur et à mesure de la saison, ça devenait parfois ennuyeux. Je pense que j’ai le potentiel pour aller en NBA, et je le ferai si je suis dans les 15 premiers choix. Je veux gagner de l’argent pour mon jeu et aider ma mère et ma grand-mère. »
Et ce fut rapidement fait quand Adidas lui propose un contrat de partenariat exclusif pour plusieurs années à hauteur d’un million de dollars. Bien qu’il ait été en contact avec Florida University et Kentucky, McGrady trancha. Rapidement, T-Mac est capable de rouler en Lexus d’environ 45 000 euros, de redonner à Mount Zion un chèque de 300 000 dollars et de penser à une nouvelle maison pour sa mère et sa grand-mère restées en Floride.
« Après avoir signé le contrat avec Adidas, j’ai dit à coach Hopkins : « Je n’arrive pas à y croire ! C’est arrivé si vite. »… »
Coach Hopkins lui sait bien que la transition a été très rapide pour celui qu’il avait sermonné sur ses boucles d’oreille il y a moins d’un an. Mais il est confiant sur la maturité de son poulain pour survivre à la vie NBA. Et de toutes manières, il a déjà prévu de le garder en main une fois la draft passée, histoire de profiter encore un peu de cette relation bien particulière. Quand la saison NBA commencera, Tracy sera confié à son tour à Alvis Smith, un ami qui travaille chez Adidas.
« Les gens rigolaient quand je leur disais que Tracy était le joueur le plus talentueux du pays derrière Tim Duncan. Beaucoup me répondait : « Coach, vous êtes dingues, c’est trop. » Et moi, je me contentais de sourire, pensant qu’on verrait bien à la fin. »
La fin, c’est que Duncan a bien été le numéro 1 incontestable de la draft, mais T-Mac est sorti en 9e position choisi par les Raptors. Le début d’un nouveau chapitre pour McGrady. Ironie de l’histoire, son dernier chapitre sera aussi lié à Duncan avec une dernière expérience NBA aux Spurs, et une finale perdue face au Heat.