Ça va faire un mois qu’il est sorti sur leur chaîne Youtube, et ce documentaire intitulé « A Hundred Invisible Threads » (Une centaine de fils invisibles) de la chaîne DNVR Sports est tout simplement un régal.
Un must absolu pour découvrir l’incroyable culture du basket en Serbie, et en particulier en y suivant les traces de Nikola Jokic, le double MVP des Nuggets, jusqu’à sa ville natale de Sombor.
Le documentaire suit essentiellement le voyage de l’été passé de la bande de journalistes qui couvre les Nuggets à l’année, entre une visite de Belgrade avec les fameux terrains à l’intérieur de la forteresse Kalemegdan où ont eu lieu les premiers matchs, et les premiers derbys entre l’Etoile Rouge et le Partizan, et des dégustations diverses et variées de rakija, l’alcool local ou de paprikash, une soupe de poisson typique de Sombor.
C’est particulièrement intéressant – même s’il n’y a malheureusement pas d’images de matchs mais seulement des photos – car on remonte tout le fil de l’histoire du basket yougoslave, depuis son arrivée dans le pays par l’intermédiaire d’un employé américain de la Croix Rouge dénommé William Willand en 1923, puis l’émergence des quatre pères fondateurs (Nebojsa Popovic, Radomir Saper, Borislav Stankovic et Aleksandar Nikolic) et l’histoire de succès qu’on connaît par la suite, mais aussi marquée par de sacrées déceptions.
Privé de Jeux et de Dream Team en 1992 !
Nikolic est une figure tutélaire, pour ainsi dire le père du basket yougoslave, un coach révolutionnaire qui est à l’origine de l’arbre généalogique de coachs le plus impressionnant d’Europe. Un coach qui a bossé en Italie du côté de Padoue, où il a eu sous ses ordres un certain Doug Moe, futur coach historique des Nuggets (de 1980 à 1990), « son joueur préféré » en carrière et déjà un premier lien avec la franchise du Colorado !
L’histoire serbe s’accélère en tout cas à partir des années 1970, avec la première génération dorée du basket serbe, victorieuse du premier titre mondial en 1970 à Ljubljana, et ce un an après le drame de la mort accidentelle en 1969 (en voiture en rentrant d’un match) de Radivoj Korac. S’ensuivirent six médailles d’or, trois d’argent et une de bronze en dix ans, entre 1970 et 1980, avec le premier titre olympique à Moscou.
« On pouvait avoir des discussions sur les actions de Mike Bibby dans le bus de 7h30 à Belgrade »
Riche de nombreuses interviews de locaux, dont l’inévitable agent Misko Raznatovic, qui a repéré Jokic mais qui s’occupe également de nombreuses grosses pointures (dont Vassilije Micic, MVP Euroleague), le documentaire fait étape à Sombor, sur les lieux de l’enfance de Jokic. Avec le détour obligatoire par les écuries de « Dream Catcher » où le pivot des Nuggets a reçu son deuxième trophée de MVP des mains d’une délégation des Nuggets affrétée spécialement pour l’occasion en mai dernier.
Lié viscéralement au cuir de la balle orange, le peuple serbe a vécu comme une punition injuste d’être privé des Jeux Olympiques de Barcelone, et de l’opportunité de jouer la Dream Team en 1992, interdite de jeu par la FIBA entre 1992 et 1994 après la déclaration de guerre en 1991. En plein EuroBasket !
Le documentaire revient en l’occurrence sur le retrait du Slovène Jure Zdovc juste avant la demi-finale de l’Euro, parce qu’il recevait des coups de fil menaçants alors que son pays natal faisait sécession du bloc yougoslave et que lui-même s’était déclaré en faveur de l’indépendance de la Slovénie…
L’heure de gloire de l’Euro 1995
C’est en cela que la victoire en 1995 résonne encore comme l’un des meilleurs souvenirs de l’histoire du basket serbe. Après leur longue période de suspension, l’équipe nationale (alors de Serbie – Monténégro) pouvait enfin ramener une médaille. Et Zarko Paspalj pouvait enfin soulever le trophée à Athènes, lui qui avait vécu un traumatisme en passant du Panathinaikos à l’Olympiakos durant la saison précédente.
Si la Serbie vibre avant tout pour sa sélection (l’Euro en tête), c’est un pays qui « pue » le basket. Imaginez, dans les années 1990, le journal télévisé commençait inlassablement par les résultats des Lakers quand Vlade Divac évoluait à Los Angeles. C’était aussi le pays qui vouait une détestation groupée pour Voshon Lenard (pour lui avoir pris sa place dans le cinq) et Tim Hardaway (qui ne lui faisait pas de passes) quand Sasha Danilovic était dans la rotation durant les années 1990. Et Belgrade était la ville où on pouvait discuter des Kings dans le bus du matin, avant d’aller au bureau au début des années 2000 !
« Avant Denver [avec Jokic], on avait Sacramento », explique Milos Jovanovic, historien du basket serbe. « Les gens se levaient à 4h du matin, regardaient le match et partaient directement au travail après. On pouvait avoir des discussions sur les actions de Mike Bibby dans le bus de 7h30 à Belgrade. »
« Inat » est un mot d’origine turque, mais les Serbes l’ont fait leur. Il traduit bien l’esprit serbe en un mot, difficilement retranscrit dans d’autres langues. En gros, il peut se traduire par l’entêtement, l’obstination ou la malice. Comme de vouloir toucher un objet sur lequel est posé un écriteau « ne pas toucher » !