Intronisé au Hall of Fame en septembre, Toni Kukoc était accompagné de Michael Jordan. Le fruit d’une promesse évoquée lors d’une partie de golf il y a fort longtemps. Mais « His Airness » est un homme de parole.
Forcément honoré de la présence de MJ à ses côtés, Toni Kukoc a vécu un rêve éveillé avec son vieux camarade, Dino Radja, également présent à la soirée d’intronisation. Le natif de Split n’en revient toujours pas d’avoir pu croiser toutes ces légendes du basket, alors qu’Isiah Thomas est carrément venu lui déclarer sa flamme.
« Les matchs étaient beaucoup plus physiques, mais pas plus rapides »
« Cela signifie pour moi que je suis reconnu dans mon sport. Il n’y a pas de plus grande reconnaissance dans le basket que d’entrer au Hall of Fame. Je m’étais dit que si j’entrais au Hall of Fame, ce serait super, mais que si ça n’arrivait pas, je vivrais sans. Mais quand ça s’est produit, j’étais fou de joie », reconnaît-il pour le site croate, Index. « Je me suis retrouvé dans ce lieu où toutes les générations de basket étaient représentées pour les 75 ans de la NBA. De Bill Russell à Oscar Robertson… Ce fut un plaisir de parler avec ces gens-là, j’ai adoré les écouter. Dino Radja et moi étions debout et parlions de quelque chose, et tout à coup, Isiah Thomas est venu vers nous tout sourire et a commencé à nous dire que nous étions ses joueurs préférés. Il a également demandé à prendre une photo avec nous. Je dois admettre que j’étais un peu choqué car, avant Jordan, il était le meilleur joueur du monde et, avant les Bulls, Detroit était la meilleure équipe. »
Les « Bad Boys » de Detroit ont longtemps terrorisé la conférence Est, avant que Michael Jordan n’arrive justement à les mettre en retraite anticipée et que, encore plus tard, Toni Kukoc n’arrive pour un deuxième triplé des Bulls. Dans ce basket rugueux des années 90, l’ailier croate a dû s’adapter. Il reconnaît que le jeu s’est adouci depuis.
« À mon époque, certains aspects du jeu étaient plus importants qu’ils ne le sont aujourd’hui. Ce que je veux dire par là, c’est surtout la défense. Il était autorisé de jouer physique et on pouvait tenir son adversaire avec les mains. Detroit, Boston, New York, Indiana, toutes ces équipes de l’Est jouaient dur comme ça. À l’époque, on disait que l’Est était meilleur en défense et l’Ouest meilleur en attaque. Les matchs étaient beaucoup plus physiques, mais pas plus rapides. Aujourd’hui, la NBA travaille pour protéger ses meilleurs joueurs. On ne voit plus de grosses fautes comme on voyait sur Thomas, Bird ou Jordan. C’est normal. J’ai beaucoup aimé une phrase de Kobe Bryant à qui on demandait pourquoi il jouait avec un doigt cassé. Il disait que certaines personnes avaient économisé de l’argent toute l’année pour venir le voir jouer et donc il ne s’autorisait pas à ne pas jouer. »
« Si Michael et Scottie n’avaient pas joué à mon poste, je crois que j’aurais été une plus grande star »
Débarqué à Chicago à l’été 1993, Toni Kukoc était précédé d’une sacrée réputation, ayant tout gagné sur le Vieux Continent, en étant trois fois champion d’Europe et trois fois MVP du Final Four. Mais, à son arrivée dans l’Illinois, il n’y avait point de tapis rouge jusqu’aux parquets.
Toni Kukoc aurait pu prétendre à un rôle plus important, mais derrière Michael Jordan et Scottie Pippen (qui lui avaient fait un sacré numéro aux JO de Barcelone), la « Panthère Rose » est rentrée dans le rang.
« Si Michael et Scottie n’avaient pas joué à mon poste, je crois que j’aurais été une plus grande star. Quand je suis arrivé au club avant que Jordan ne revienne, j’ai eu des matchs à 30 points ou plus. L’attitude de la NBA a changé récemment sur l’Europe. De plus en plus de joueurs européens viennent jouer en NBA, certains d’entre eux dominent, et on a même eu des joueurs MVP, le dernier étant Jokic. Non pas que ma génération était plus faible que celle d’aujourd’hui, mais les conditions étaient différentes. Il est difficile de dire que c’était la mauvaise ère, mais il fallait bien que quelqu’un y aille en premier et brise la glace. On a été les premiers à se dire: ‘Allons-y, on verra bien’. Et on a prouvé qu’on pouvait aussi jouer à ce niveau. »
Quittant les Bulls six ans plus tard, lors d’un échange en cours de saison 1999/00, Toni Kukoc a fait la connaissance d’un autre phénomène à Philadelphie, en la personne d’Allen Iverson. Cette année-là, les Sixers avaient une belle tête de prétendants à l’Est mais la mayonnaise n’a pas pris et Philly est tombé au deuxième tour face à Indiana.
« Allen est un des meilleurs joueurs de l’histoire de la NBA si on prend en compte la taille et le poids. La facilité avec laquelle il scorait, et sa capacité à attaquer le cercle sans peur étaient fascinantes. Son seul défaut est qu’il n’a jamais complètement fait confiance à ses coéquipiers. »
« Celui qui me ressemble le plus est Giannis Antetokounmpo »
L’histoire retiendra en tout cas que la meilleure saison d’Allen Iverson sera celle durant laquelle Toni Kukoc sera envoyé à Atlanta contre Dikembe Mutombo, avec une finale NBA perdue contre les Lakers au bout d’une fantastique épopée et un Iverson MVP. Echangé ensuite contre Glenn Robinson à Milwaukee, le Croate bouclera sa carrière à 37 ans, après quatre ultimes tours de piste pour les Bucks.
Une franchise qu’il suit toujours et dont la star actuelle lui rappelle son propre jeu. Parmi les stars européennes qui ont conquis l’Amérique, Toni Kukoc se retrouve plus en Giannis Antetokounmpo.
« Jokic est génial, mais j’étais quand même un peu plus rapide que lui, et j’aurais pu sauter plus haut [rires]. Je vois des similitudes chez beaucoup de joueurs. Jokic lit le jeu avec brio, tandis que Doncic crée des moments magiques. D’une certaine manière, il me semble que celui qui me ressemble le plus est Giannis Antetokounmpo. »
Ça peut en étonner certains quand on connaît l’explosivité et le physique du « Greek Freak », mais à son époque, Toni Kukoc pouvait aussi déposer ses adversaires sur son premier pas et finir la tête dans le cercle. Cette comparaison tient en tout cas la route dans la polyvalence et la capacité à porter le ballon en contre-attaque, et jusqu’au cercle pour mettre la pression sur les défenses adverses.
« Une bonne équipe a besoin d’une bonne génération »
Brillant en Europe pendant huit ans, puis une grosse douzaine d’années dans la Grande Ligue, Toni Kukoc a aussi mené de front une immense carrière sur la scène internationale avec un titre de champion du monde en 1990 et deux titres de champion d’Europe, avant et après, en 1989 et 1991.
Les succès de sa génération dorée, yougoslave puis croate à partir des JO de Barcelone en 1992, ont pour le coup placé la barre un peu haut pour la jeune sélection croate qui peine. Comme la Serbie cet été aussi…
« De toute évidence, les Serbes ne font plus partie de l’élite comme avant. Ils n’ont pas réussi à se qualifier pour les Jeux Olympiques. [Quant à la Croatie], nous sommes un petit pays, et nous n’avons tout simplement pas trouvé la bonne génération. Une bonne équipe a besoin d’une bonne génération. Quelques bons joueurs ne suffisent pas. On a un cinq NBA, donc on a des joueurs de qualité, mais ils ne peuvent pas faire grand-chose s’ils ne peuvent arriver que quelques jours avant les matchs. L’un joue au Jazz, un autre chez les Clippers, un troisième avec les Suns, et ensuite ils devraient se présenter sans entraînement et une bonne préparation pour gifler tout le monde. Ça ne marche pas comme ça. D’un autre côté, je pense que le problème est aussi que nos fans sont habitués aux succès que nous avons eus. Ils pensaient que ce serait toujours comme ça. Aujourd’hui, tout le monde sait jouer. Regardez ce qui s’est passé à Tokyo. Les Américains ont remporté l’or, mais il n’y a plus de différence de 40 points. Les Slovènes jouent, les Australiens, les Brésiliens, les Argentins, les Français. Je pense que la différence n’a jamais été aussi faible que dans le basket qu’aujourd’hui. »