« Chérie, qu’est-ce qu’on regarde ce soir ? » Au moment d’allumer votre écran, imaginez que vous tourniez le dos à Netflix, Disney+, OCS et les autres. Au lieu de cela, une plateforme numérique entièrement dédiée à la NBA. Avec des centaines de matches en bonne qualité, eux aussi catalogués selon les saisons ou même les joueurs, disponibles à portée de télécommande.
Et surtout, sans même avoir besoin d’une connexion internet. Ce projet un peu fou, susceptible de faire saliver un paquet d’amateurs, a un nom : Ultimedia Box.
https://www.youtube.com/watch?v=CQtiHMrWRgc
C’est le bébé de Jeff (qui ne préfère pas donner son nom), 42 ans, aujourd’hui basé à Châlons-en-Champagne (Marne). Comme beaucoup d’autres, il est tombé dans la marmite basket en 1992, avec la Dream Team. Voir Michael Jordan et les autres dominer à ce point leur discipline le fascine à l’époque. « Une claque, complètement hallucinant. »
Alors il plonge à pieds joints. « Vraiment quand je tombe dedans, y a tout qui déboule dans le salon du jour au lendemain ! C’est fatal ! », se remémore le quadragénaire, joint par téléphone. Tout y passe : les cartes, les fringues et surtout… les cassettes VHS.
J’avais toujours une cassette sous la main
Parenthèse pour jeunots : la K7 est l’ancêtre lointain du DVD qui permettait d’enregistrer sur bande magnétique jusqu’à quatre heures de contenu télévisuel, grâce au non moins mythique magnétoscope. Tous ceux qui ont démarré leur passion dans les années 1990 connaissent l’importance de ces accessoires.
Dès 1993, Jeff commence à tout enregistrer, la plupart du temps en direct. « C’était automatique. J’avais toujours une cassette sous la main, en train de guetter la moindre image de basket. Canal + diffusait encore en clair pour une seule année, c’était un gros avantage. » Le passionné s’abonne également à Pontel, un service d’envoi hebdomadaire de matches sur K7. Ces cassettes passent de mains en mains, s’échangent et se copient. Jeff se focalise sur l’homme évidemment le plus recherché : Michael Jordan.
Chaque match est précieux. Le monde d’il y a 20 ou 30 ans n’a pas grand chose à voir avec celui d’aujourd’hui et sa profusion d’images. « C’était tellement rare qu’on n’hésitait pas à regarder les matches plusieurs fois. Ça ne me reviendrait pas de le faire aujourd’hui », note Jeff en se souvenant aussi des magazines de l’époque, qui donnaient accès à des statistiques « périmées » depuis des semaines.
Que faire des piles de K7 ?
Les années passent, Jordan prend sa retraite, le DVD débarque et commence progressivement à supplanter la VHS. Parti à Paris pour ses études, Jeff laisse sa collection chez ses parents tout en continuant de récupérer du contenu. Aux piles de K7 entassées s’ajoutent bientôt celles de DVD, car jusqu’à trois ou quatre disques sont nécessaires pour contenir un seul match. Heureusement pour lui que les disques durs finissent par faire leur apparition.
Mais avec le temps, que faire de tout ça ? « Je n’ai jamais su. Je voulais quand même garder car c’est une part de mon adolescence et j’étais sûr d’avoir des pépites. C’est à la fois un trésor et un fardeau énorme. À chaque déménagement, c’est l’horreur ! Et en couple forcément… J’ai le droit, mais il faut que ça reste discret ! »
Notre homme a beau tenir des listes Excel, il a de plus en plus de mal à y voir clair dans sa collection de… 3 000 à 4 000 matches. Grâce à des échanges, Jeff a pu mettre la main sur des parties datant des années 1970 en remontant jusqu’aux grands classiques de la décennie passée.
Sur la décennie 1990, il dit avoir tous les matches de playoffs, de chaque série. Jordan ? 1 150 matches de lui, dont toutes ses rencontres en playoffs et ses plus grands moments. À une exception sans doute : « Son match où il a porté le numéro 12. Tout le monde le cherche, il est introuvable, sans doute parce qu’il était mal diffusé à l’époque. »
T’as pas un match à nous montrer ?
Un jour de vacances sans réseau à la campagne, chez son cousin, ce dernier lui lance : « T’as pas un match à nous montrer ? » Négatif, Jeff n’a rien sur lui. C’est le déclic. Il veut tout centraliser pour avoir sa collection en permanence à portée de main. Le meilleur moyen pour y arriver : un « media center », sorte de bibliothèque numérique dans laquelle il pourra tout stocker et qu’il n’aura qu’à brancher à sa télévision en HDMI.
Après une première version, le collectionneur opte pour une « box Himedia », capable d’accueillir un disque de 10 voire 12 To (12 000 Go). « En fait, c’est comme une box TV qui ne fait rien d’autre que de lancer mon application (son « media center ») que j’ai configurée », décrypte le quadragénaire, fier, « toute proportion gardée », de son « Netflix du basket ».
En 2016, je décide de centraliser toute ma "collection" de matchs de basket au format digital dans une seule et même box, via un media center, que l'on branche sur sa tv en hdmi. D'abord en prototype, avec un Raspberry Pi, un hub et 3 HDD de 3To chacun, dans une box en bois. pic.twitter.com/i9R0pTwAhr
— Ultimedia Box (@UltimediaBox) May 3, 2021
Ce passionné de rétrogaming a fouillé des mois durant dans les forums d’internet pour parfaire son outil. L’infographiste de métier a également soigné l’allure de son interface. Ainsi, il a créé la plupart des vignettes de matches, en inspirant de l’univers des cartes de collection. Il a également cherché un maximum de métadonnées sur chaque rencontre, de sorte d’avoir un minimum de contexte. Pour les matches de Bulls par exemple, il s’est beaucoup référé aux écrits de Sam Smith du Chicago Tribune.
Autre intérêt, il peut transporter son trésor partout sans avoir besoin d’internet. « Tout est hors ligne. Je ne voulais pas être dépendant d’internet, avoir des temps de chargement, des compressions d’image…, énumère Jeff, qui n’hésite pas à flamber devant son cousin depuis. La plus-value est que la qualité d’image est assez élevée. On mérite mieux qu’une bouillie de pixels imbuvable sur Youtube. »
Un produit fini à commercialiser ?
Sur sa chaîne, il diffuse toutefois certaines de ses rencontres, tandis qu’il poursuit son travail de numérisation de ses VHS. Toujours en prenant soin des détails : « Je croppe les bandes sur les côtés, je réhausse le contraste, parfois les sons et j’arrive à avoir une qualité honnête. »
Jeff a désormais un appareil 100% NBA en main qu’il dit pouvoir dupliquer facilement. Quid d’une éventuelle commercialisation alors ? « Je laisse la porte ouverte à toutes les opportunité. Aujourd’hui, ce n’est pas du tout à l’ordre du jour. C’est plus un projet de fan, un peu comme une œuvre d’art, un instantané comme ça. »
En cas de vente, se poserait la difficile question du bon tarif mais également des droits sur ces images captées. « Qui le sait aujourd’hui ? Quels sont les droits TV d’une chaîne enregistrée il y a 35 ans ? C’est délicat… » En attendant, Jeff ne va pas gâcher son plaisir. Il a entre les mains un « véritable objet collector » qui lui a permis de concrétiser son « rêve de gosse ».
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