On est au Toyota Center de Houston, en mars 2008. Tracy McGrady est alors l’homme providentiel des Rockets et ce soir de victoire contre les Wolves, avec un T-Mac à une passe près du triple double, la foule entonne allègrement les « MVP ! MVP ! » de rigueur.
Journaliste à ESPN Magazine, Bruce Feldman l’approche. Il lui demande :
« Tu te souviens de James Felton ? »
McGrady ne bronche pas. Et puis quelque enjambées plus tard, il se gratte le crâne et reprend :
« Oui, oui. C’était ce mec. Le dunk. »
Le reporter a soudainement toute l’attention de la superstar. Et pour cause, le sujet de leur conversation remonte très loin. 12 ans auparavant, durant le camp ABCD organisé chaque année par Adidas, McGrady a alors 17 ans et il débarque de sa Floride natale complètement incognito. Jusqu’à ce dunk !
Le dunk qui a transformé deux vies
Mais qu’est-ce qu’il a ce dunk ? Pourquoi est-il devenu une légende ? La réponse est en deux parties. Tout comme le dunk implique souvent deux parties : le héros et sa victime. Le postériseur et le postérisé. En l’occurrence, ce « dunk » a littéralement opposé un inconnu qui allait devenir superstar et un des meilleurs prospects de l’époque vers l’anéantissement pur et simple. Il a transformé deux vies dans des directions diamétralement opposées.
Le nom de la victime ? James Felton. Pas de parenté avec Raymond des Knicks, si ce n’est que James est un gamin du New Jersey. C’est sur les playgrounds de la ville, qu’il est, dans ses mots, « devenu un homme. » Lamar Odom le côtoyait à l’époque et il annonce la couleur.
«De tous les intérieurs de notre génération, Elton Brand et James Felton étaient les meilleurs. »
Mais pour ce match des étoiles des meilleurs prospects qui clôture la semaine de camp, James va vivre le trauma de son existence. Sur une pénétration de McGrady, il a la mauvaise idée de tenter le contre sur une énième envolée du cabri et il se retrouve postérisé sur un moulin à vent.
« C’était un des meilleurs moments de basket de ma vie. Un move qui veut dire ‘je suis prêt pour la NBA’. Je n’ai jamais vu quelqu’un réussir ce type de dunk, même pas en NBA » poursuit ce bon Lamar.
La descente aux enfers
En attendant, Felton commence sa descente aux enfers. Partout où il passe, il est brocardé comme étant le mec qui s’est fait dunker dessus par McGrady. Déjà instable de nature de par une cellule familiale monoparentale et un milieu social défavorisé, Felton perd de plus en plus confiance en lui. Ses coachs ne parviennent plus à le canaliser.
Son talent est pourtant véritable. En 1997, alors qu’il est à St Johns avec le futur Metta World Peace, c’est bien Felton que sont venus voir 12 scouts NBA. Mais ce sera son fardeau. Brinquebalé de campus en campus, James ne se plaît nulle part, manque un entraînement ici, rate un examen là et en fin de course, il revient à la maison sans diplôme et encore moins d’espoir de draft.
En 2001, il a une dernière chance au sein de Fairleigh Dickinson et s’il est encore le meilleur joueur de son équipe, le spécimen physique a bien changé. L’intérieur gracile qui pointait à 90 kilos est un pachyderme de 140 kilos qui malgré son embonpoint certain continue à dominer. Comme ce match contre Long Island University où il a planté 41 points. Son meilleur en carrière. Le dernier aussi.
Il n’aimait pas le basket
Car si le père de Kobe Bryant, Joe Jellybean Bryant, a bien essayé de le faire bosser, que ce soit au Harlem Globe Trotters en 2002 ou à un camp des Nuggets en 2003, Felton ne touchera plus au basket de haut niveau. Il touche déjà à autre chose : la bibine.
Marié à sa chérie de lycée, Felton cache en fait en lui un profond désamour du jeu. Jeune athlète doué balle en main, il avait été pris dans le cliché de l’afro-américain qui joue au basket pour s’en sortir. Mais rien ne le rebutait autant. Alors il a sombré dans l’alcool.
« C’était très dur pour lui de vivre avec la déception des gens autour de lui. On lui disait : « Tu devrais être en NBA maintenant. » Ce serait difficile pour n’importe qui. James vivait dans le déni par rapport au basket. Chaque jour, il se mentait en disant qu’il aimait ça. Ça l’a bouffé tout cru. Devoir faire un truc que tu n’aimes pas faire, ça rend fou. Sa famille et son entourage lui demandait « quand est-ce que tu m’achètes une maison ? » Moi je lui disais qu’il n’avait pas à s’infliger ça. S’il ne veut pas jouer, j’étais d’accord avec ça. Sa vie n’a pas vraiment été belle mais lui était une belle personne. Il était heureux d’être un mec normal. » raconte sa femme Rana.
Dans les coulisses de la NBA, les oubliettes…
James n’aura pas eu beaucoup le temps d’être un mec normal. En 2005, il revient dans le New Jersey et trouve un boulot dans la sécurité de l’entreprise Comcast. Mais on lui diagnostique des problèmes au foie et une neuropathie diabétique. En octobre 2007, James Felton n’est plus. Son corps autrefois support des rêves athlétiques les plus fous a succombé aux démons d’une attente exagérée noyée dans le poison de l’alcoolisme.
T-Mac apprend la nouvelle :
« C’est vraiment triste ça. »
Désormais réfugié dans l’Empire du Milieu, McGrady est lui aussi passé aux oubliettes du basketball. Ainsi va la vie. Le monde de la NBA est un milieu cruel dont les coulisses recèlent de ces histoires de destins brisés.