Médaillé d’argent aux Jeux Olympiques 2000 à Sydney, de bronze aux Championnats d’Europe en 2005, Fred Weis fut un cadre de l’équipe de France de basket durant huit ans, entre 1999 et 2007. L’ancien joueur du Limoges CSP et de Malaga cumule 100 sélections à son compteur. Aujourd’hui retraité, il reste un observateur très avisé du basket français et européen. Il sera notre consultant tout au long de cet Eurobasket 2015.
C’est tombé il y a peu : Antoine Diot est malheureusement forfait. Qu’est-ce que tu as ressenti après cette nouvelle ?
C’est une grosse déception puisqu’il a été super bon pendant la préparation. Il fut aussi très bon auparavant lorsque Tony n’était pas là. Il a fait une grosse saison avec Strasbourg et là, il part à l’étranger. C’est une grosse déception pour l’équipe de France mais c’est aussi une grosse déception pour lui car il méritait d’être là.
Suite au forfait consécutif de Thomas Heurtel, ce sera Léo Westermann qui jouera le rôle de second meneur. En tant que limougeaud, comment vois-tu ce remplacement ?
Je suis évidemment heureux pour Léo, il le mérite complètement. Il sera un super complément de Tony Parker dans un style différent. Ensuite, je suis très déçu pour Thomas Heurtel car si c’est vraiment le club qui lui refuse la sélection, c’est vraiment dégueulasse. Il avait la possibilité de gagner une médaille dans son pays avec la sélection nationale, avec laquelle il avait d’ailleurs fait la préparation. Si c’est vraiment le cas, c’est dégueulasse.
« Léo Westermann est un grand joueur de basket »
Que pourra apporter Leo Westermann ?
Je pense honnêtement que Léo est un grand joueur de basket, je l’adore. C’est un joueur de style Euroleague, de niveau des compétitions internationales. Je pense qu’il va pouvoir s’épanouir complètement avec des joueurs extraordinaires autour de lui. Quand il rentrera en jeu, je pense qu’il pourra parfaitement faire jouer l’équipe. Ce n’est pas un dynamiteur comme Antoine ou Thomas mais il sait s’adapter, il a un gros niveau de jeu et il pourra vraiment aider l’équipe de France.
Est-ce que néanmoins, cette situation peut être préjudiciable pour l’équipe de France ?
C’est clair que cela peut changer des choses. Quelque part, cela aurait été mieux que ce soit Thomas Heurtel car il a fait la préparation et il connait tous les systèmes. Mais comme l’a dit Vincent Collet, Léo Westermann a un gros Q.I basket et il pourra compenser grâce à cela.
Défensivement, il reste d’un niveau moindre qu’Antoine Diot, non ?
Oui, mais cela peut aussi changer les schémas tactiques : un meneur ne pourra pas poster Léo comme avec d’autres et Léo peut apporter une solution offensive supplémentaire car il peut aussi poster des meneurs. Dans l’ordre, Antoine Diot était évidemment la solution logique mais que ce soit Léo n’est pas un scandale et de plus, cela peut être bénéfique.
« Boris a compris qu’il devait scorer pour aider l’équipe »
Beaucoup de choses se concentrent sur Tony Parker. Est-ce que la fameuse « Parker dépendance » est toujours d’actualité ?
Quand on a une arme comme Tony, c’est forcément à double-tranchant. Il monopolise l’attention et tu es forcément dépendant de lui. Après, tu peux être plus libéré en son absence mais dans les moments chauds, avec son sang-froid, son calme, sa faculté à prendre les bonnes décisions, ce n’est pas négligeable. La « Parker dépendance » a peut-être existé en effet mais je crois qu’on l’est moins désormais. Ce n’est pas une mauvaise chose. Déjà, cela lui enlève de la pression car d’autres joueurs ont trouvé leur place.
Des joueurs comme Nando de Colo ou Boris Diaw semblent en mesure de prendre le match à leur compte également.
Je vois Boris capable de le faire, peut-être depuis qu’il est arrivé aux Spurs. Boris a toujours eu ce talent mais on avait l’impression qu’il n’avait pas envie de forcer ou de marquer des points. Je crois qu’il s’est rendu compte que s’il ne scorait pas, ce serait compliqué pour l’équipe. Aujourd’hui, il y a plusieurs armes, il n’y a pas que Tony Parker et c’est une bonne chose car ça le libère un peu plus.
« Après sa retraite, on n’aura plus de phénomène comme Tony »
Depuis deux ans, il y a beaucoup d’attentes autour de Nicolas Batum qui tarde à les concrétiser. Cette année, il y a peut-être moins de pression sur lui, notamment en raison du retour de Tony Parker et la place médiatique prise par Rudy Gobert. A t-il du mal à incarner le leader attendu ?
Avant toute chose, c’est une histoire de passage de flambeau. Je pense que c’était un peu tôt aux championnats du Monde mais je crois qu’il est capable de le faire. Il faut lui laisser le temps : il y a des gens qui y parviennent plus ou moins tôt et lui le fera peut-être un peu plus tard. Mais clairement, il en est capable. Avec ses qualités de joueur, il n’y a aucun souci. Ce sera différent de Tony. Personne ne peut porter une équipe à bout de bras comme il le fait. Avant lui, ça n’est jamais arrivé et après, on n’en aura plus des comme lui. Preuve en est : même Antoine Rigaudeau, un joueur extraordinaire, n’était pas capable de le faire à ce point-là. Il était capable de porter l’équipe mais au moment de resserrer les liens au sein du groupe, il avait plus de difficultés. Tony a tout : il est bon sur le terrain, paternaliste et il peut fédérer autour de lui pour que tout le monde parvienne au même objectif. Ça, tu l’as ou tu l’as pas. Nicolas Batum l’aura ou non mais s’il ne l’a pas, il sera un leader par l’exemple. Joseph Gomis, c’est un leader par l’exemple. C’était, puisqu’il vient d’arrêter. Il n’était pas vocal mais il le montrait sur le terrain. C’est aussi une forme de leadership.
Un peu comme Laurent Foirest, à ton époque ?
Exactement, c’est un joueur qui ne parle pas mais sur le terrain, il te montre la voie et c’est plus facile de savoir où l’on va quand quelqu’un t’oriente.
« Rudy doit être régulier quand les matchs sont importants »
Est-ce que cette composition d’équipe de France te plaît ?
Oui, elle me plaît. Je suis juste un peu déçu qu’Ajinça n’y soit pas. Mam Jaiteh n’était pas prévu. Rudy Gobert va prendre de la place et ce sera un joueur important mais je pense que d’avoir les « Twin Towers », c’était un luxe que la France n’a jamais eu et cela aurait été intéressant que cela puisse se faire. C’est le seul bémol que j’apporte, sinon elle est bien dosée, les doublures sont là à tous les postes. Tout le monde sait s’adapter par rapport au temps de jeu. Et puis, franchement, qui va critiquer Vincent Collet pour sa sélection ? Il est champion d’Europe, tu ne peux rien lui dire. Il a pris ses responsabilités et en attendant, on ne peut que fermer notre gueule en secouant notre chapeau pour dire : « Continue comme ça, on est très content ! ».
Hormis Tony, qui attends-tu comme cadre pour cette compétition ?
Je vais me répéter mais Rudy (Gobert). C’est facile d’être bon dans les matchs amicaux mais quand il y a de la pression, ça n’est pas la même. J’aimerais bien qu’il montre à tout le monde que, non seulement c’est un très bon joueur et qu’il influe sur le match, mais qu’il influe quand les matchs sont importants.
Il l’a déjà fait l’an passé face à l’Espagne…
Oui, mais désormais, j’aimerais de la régularité. Je ne prétends absolument pas qu’il ne sait pas le faire mais je lui souhaite, ainsi qu’à l’équipe de France, qu’il puisse être régulier. Il y a aussi Evan Fournier. Je sais que lui, il n’a aucun état d’âme. De son côté, je n’attends pas de la régularité, j’attends qu’il fasse du Evan Fournier. Il est fou et on en a besoin. On veut qu’il prenne ce tir que personne ne veut prendre. Lui, il s’en fout.
« Flo Piétrus récolte enfin les fruits de tout ce travail en amont »
Si d’aventure, le tournoi se déroulait mal, ce pourrait être la dernière compétition en bleu de Florent Piétrus. Il a déjà fêté sa 200e sélection, tu en as fait de nombreuses avec lui. Quel est ton regard sur sa carrière, lui dont on a l’impression qu’il continue de progresser ?
Les gens ont cette impression car en Espagne, il était cantonné à un rôle plus défensif, et je connais bien ça. Les gens pensaient qu’il ne savait plus attaquer. Quand il est parti de France, Flo savait attaquer et quand il est revenu, il savait toujours le faire. Il est juste revenu en confiance pour se servir de ses armes. C’est quelqu’un qui a toujours apporté en équipe de France, il a toujours donné sa science du placement. C’est un peu un Jim Bilba et selon moi, c’est très flatteur. Il savait tirer, pénétrer et quand il faut colmater en défense, c’est droit. 200 sélections. Je suis super content pour lui, il le mérite largement, il a eu une carrière exemplaire. Il fait aussi partie des leaders par l’exemple. Il a toujours été là, il a toujours pris du temps pour l’équipe de France. C’est admirable et il récolte enfin les fruits de tout ce travail en amont qui n’a pas forcément été très rigolo.
De quelle équipe doit se méfier la France lors du premier tour ?
Israël, ce sont des guerriers. Ils n’ont rien à perdre. Je n’ai jamais aimé jouer contre eux. Depuis ce temps-là, ils m’ont toujours fait peur. Même contre les clubs comme le Maccabi, ce n’est jamais facile de les affronter. Ils se battent sur tout, ce sont de vrais chiens. C’est une équipe dont doit se méfier la France. Après la Russie, c’est fini. Au match amical, la France leur en a mis 35 sans forcer. Je ne dis pas que ce sera le cas à l’Euro mais franchement, cela ne me fait pas une peur bleue. Je suis assez satisfait que la Finlande progresse, c’est bien. Mais une équipe qui veut être championne d’Europe ne peut pas perdre contre la Finlande. Ce n’est pas possible.
« L’Espagne aura à coeur de se venger »
À chaque fois que l’équipe de France a parlé de formalité, il y a eu des déceptions, ne serait-ce qu’un match face à l’Iran l’an passé, l’Allemagne il y a deux ans, le Liban en 2006… Sur un match, tout est possible, non ?
J’ai du mal à y croire, j’ai du mal à voir qui peut battre la France lors des matchs de poule. Pour les gêner, je crois qu’Israël peut le faire si la France n’est pas en forme mais après le premier tour, sur les croisements, qui peut être dangereux ? L’Espagne, oui, car elle aura à coeur de venger l’affront qu’elle a vécu chez elle. Il y a aussi Sergio Scariolo, c’est déjà mieux que leur coach médiocre d’auparavant (ndlr : Juan Antonio Orenga)…
Pour le reste de la compétition, qu’en est-il des équipes comme la Grèce ? Il y a un vrai mélange de générations.
Il y a quelques anciens, c’est un changement de génération, c’est difficile de gagner la première année dans ce contexte. Ils travaillent, ils peuvent être embêtants mais ils ne sont pas au niveau de la France. Ce sera néanmoins compliqué lors du tour suivant, le groupe B est chaud, très chaud même. Il y a une vraie opposition. Normalement, on évitera Serbie et Espagne. Logiquement, on jouera contre l’Italie, la Turquie ou l’Allemagne. L’Allemagne, on leur a mis une rouste. La Turquie, c’est plus compliqué. C’est peut-être eux qu’il faut éviter. L’Italie, il y a du talent offensif mais défensivement, ce n’est pas ça.
La Croatie amènera un gros effectif, jeune mais avec énormément de potentiel.
J’ai toujours peur des équipes des pays de l’Est car tactiquement et techniquement, elles sont toujours très fortes. Sur le terrain, elles jouent leur vie. Je pense que la France est au-dessus mais il faut quand même les surveiller.
« France-Serbie et la France gagne »
La France est donc ton favori pour cet Eurobasket ?
En finale, je vois France-Serbie et la France gagne. Ce sera un match difficile, j’adore leur coach (ndlr : Sasha Djordjevic), c’est un dieu chez lui, ses joueurs l’écoutent. C’était déjà un demi-coach quand il jouait. Il peut nous déranger stratégiquement. Dans son équipe, il y a du talent : (Milos) Teodosic en premier, Miroslav Raduljica… Avec Boban Marjanovic (bloqué par les Spurs), j’aurais vraiment hésité sur l’issue de la compétition. Cela aurait été beaucoup plus compliqué avec lui sur le terrain. Bien sûr que la France sera médaille d’or, on va les défoncer les Serbes (rires).
Au-delà de l’adversité, quelle peut être la plus grande menace pour l’équipe de France ?
L’excès de confiance. Je te le dis, pour moi, ce sont les meilleurs. Il faut simplement qu’il continue à jouer comme si ce n’était pas le cas. De notre histoire, je pense que c’est la première fois que nous sommes favoris. Il va y avoir une vraie pression mais ce sont des mecs qui sauront vivre avec ça.
Propos recueillis par Jérémy Le Bescont
Photo : Bellenger/IS/FFBB