Avec 11 victoires d’affilée avant la coupure du All-Star Game, le Jazz est l’équipe en forme du moment en NBA. Battre coup sur coup les Warriors, les Raptors, les Spurs à deux reprises ou encore les Blazers et les Pelicans, ça n’a rien d’anodin…
Comment expliquer ce succès alors que la formation de l’Utah semblait destinée à une saison compliquée, non seulement après le départ de Gordon Hayward pour Boston, mais encore plus après les pépins rencontrés par Rudy Gobert ?
Basket USA vous propose donc une analyse en cinq points pour comprendre les différents facteurs de ce regain du Jazz.
1- L’explosion inattendue de Donovan Mitchell
Méconnu du grand public avant sa draft, le nom de Donovan Mitchell est désormais sur toutes les lèvres. Sa victoire au dernier concours de dunks a couronné cette explosion au grand jour. Le rookie du Jazz est le leader de son équipe, avec quasiment 20 points par match.
Ainsi qu’il nous l’expliquait récemment, le rookie ne veut pas se reposer sur ses lauriers. Si sa « marque » est résolument lancée après son week-end à LA, l’ancien de Louisville doit désormais assumer sur les planches.
« Oui, à 100% ! Il s’agit d’apprendre pour moi. J’apprends encore à chaque match. Il y a des matchs où je m’en sors bien et d’autres où ça ne marche pas. Mais même quand je m’en sors bien, il y a toujours des erreurs desquelles je peux apprendre. Et c’est ce que j’essaie toujours de faire : je veux construire sur mes erreurs plutôt que de ne retenir que les choses que je fais bien. »
Sa grande force, et il l’a prouvé à plusieurs reprises durant cette série de victoires, c’est son sang-froid dans les moments chauds. Donovan Mitchell a du culot et le reste qui va avec…
« C’est vrai que c’est rare pour un rookie d’être aussi confiant dans les moments chauds », nous confirmait Rudy Gobert. « Donovan, il a vraiment ça, il attaque, il est confiant dans les moments chauds. Il fait encore pas mal d’erreurs mais c’est normal car il est encore jeune. Mais il apprend. Il a ce talent d’être décisif et de vraiment être agressif quand il faut. »
Encore perfectible aux tirs, avec 35% à 3-points et 44% au global, Donovan Mitchell a déjà bien progressé depuis ses années à la fac (« j’en ai eu marre de voir les défenseurs me manquer de respect », a-t-il envoyé au All Star Weekend). Et il ne devrait pas s’arrêter en NBA…
2- Le retour aux affaires de Rudy Gobert
Il aura fallu trois petits matchs pour se mettre en jambes, 2 défaites et 1 victoire, mais par la suite, Rudy Gobert et le Jazz n’ont plus perdu ! Le retour aux affaires du pivot tricolore est effectivement au centre de la résurgence d’Utah.
« Rudy est super important. Il contre beaucoup de tirs mais ce que les gens ne voient pas et ne comprennent pas, c’est que sa seule présence fait peur aux attaquants adverses », nous précisait Donovan Mitchell. « C’est énorme pour nous d’avoir cette présence intérieure.Il pose de très bons écrans et s’ouvre bien vers le cercle. Défensivement, il donne une sensation de sécurité. Même quand tu te fais déborder par ton joueur, tu sais qu’il est derrière. Et offensivement, Rudy continue de progresser. Il a confiance en son jeu et il élargit son arsenal. »
À 12 points et 10 rebonds sur la saison, ses moyennes ne sont pas tellement représentatives du niveau actuel de Rudy Gobert. Le Français retrouve peu à peu son meilleur niveau. Et les résultats du Jazz s’en ressentent !
3- La montée en puissance du duo Rubio – Ingles
Sur ses 47 premiers matchs, le Jazz shootait à 33% sur ses 3-points « ouverts » et 38% sur ses 3-points « grand ouverts ». Sur sa série de succès, ces marques sont montées en flèche, à 44% sur les tirs à 3-points « ouverts » et 45% sur les tirs « grand ouverts » ! Si ça n’a pas pu durer, la faute à une blessure à la hanche, Ricky Rubio a été le fer de lance improbable de cette adresse folle : 59% sur ses tirs à 3-points ailleurs que dans les corners et 51% à mi-distance.
« C’était un mois incroyable, un vrai tourbillon. Tout est parti du jeu de Ricky », affirme Donovan Mitchell. « Son retour nous a lancés sur cette série. Il a tourné à 28 points, 6 rebonds et 7 passes avant de se blesser. Mais il a donné le ton pour cette série de victoires ! Il était différent à son retour. Il était plus vocal, plus concentré, il ne souriait plus autant. Il était plus sérieux et complètement différent. On s’est tous nourri de ça ! »
Souvent critiqué pour sa production offensive, Ricky Rubio a-t-il trouvé son rythme de croisière ? Le meneur catalan nous a déjà fait le coup par le passé, à Minnesota, avec de bons passages sans confirmation… Mais le rookie y croit !
« Offensivement, jouer aux côtés de Ricky m’a énormément aidé. Je veux devenir un meilleur passeur et lui est un des meilleurs dans le domaine. Il lance des passes dans le dos sans raison qui sont en plein dans le mille. Je voulais jouer comme lui pour le Rising Stars, finir avec 15 passes… »
Dans la même famille des joueurs complémentaires transfigurés, Joe Ingles est un sacré client ! L’international australien a par exemple tourné à 17 points, 5 rebonds et 5 passes sur ses cinq derniers matchs. Avec des pourcentages proches du 50% à deux comme à 3-points, « Jinglin Joe » est tout simplement en feu.
« Joe Ingles a été très important pour ma confiance », ajoute Donovan Mitchell. « Je n’ai pas forcément très bien shooté dernièrement mais en dernier quart, il me regarde histoire de dire, c’est maintenant ! Ce qui s’est passé avant n’importe plus : c’est maintenant qu’il faut être fort. Quand on a des coéquipiers comme ça qui sont réceptifs et acceptent de donner des conseils, c’est énorme. On veut tous le succès les uns pour les autres dans notre équipe. »
4- Une identité de jeu claire et nette
En bon vétéran, Joe Ingles (30 ans) apporte ses conseils dans les vestiaires mais surtout une présence rassurante dans le jeu. Avec son faux-rythme permanent et son jeu tranquille, il réalise simplement la meilleure saison de sa carrière.
Mieux, avec un geste de tir qui est par contre très rapide, et très précis à 45% de réussite (n°1 en NBA), Joe Ingles est en train de mettre la NBA à feu et à sang.
« On veut shooter », clame haut et fort Quin Snyder. « C’est notre identité, et on veut des pénétrations aussi. On veut attaquer le cercle d’abord, et en faisant ça, on fait plier la défense et on obtient des tirs ouverts. Quand Joe [Ingles] est agressif, c’est le type de confiance que l’équipe ressent. Je veux la même chose pour Jonas [Jerebko] et Raul [Neto]. Je veux que les gars prennent leurs tirs quand ils sont ouverts, et si on les rate, et bien, on devra défendre à nouveau. »
Mais la défense n’est pas un problème pour le Jazz, 4e en la matière en NBA. Comme l’indique Quin Snyder, Utah a une identité de jeu claire et nette : on défend fort jusqu’à la sécurisation du rebond, et après on court et on prend les tirs ouverts. Le coach appelle son style de jeu : le basket avec l’avantage.
« Il faut garder l’avantage », expliquait Rudy Gobert dans une excellente story d’ESPN. « Il faut les punir. »
Il s’agit donc de jouer avec beaucoup d’écrans, et notamment des écrans qui précèdent la prise en mains du ballon. En d’autres termes, le poseur d’écran donne un avantage à son coéquipier qui doit le conserver avec des décisions rapides.
C’est ce temps d’avance, ou ces quelques centimètres de décalage, qui permettent aux Ricky Rubio, Joe Ingles ou Donovan Mitchell de se défaire de la défense pour scorer. Et ça marche aussi pour le banc, un des meilleurs en NBA avec près de 40 points par match et un Net Rating proche de +4.
Utah compte effectivement des atouts de valeur avec Alec Burks, Jonas Jerebko, le rookie Royce O’Neale ou encore le back-up de Rudy Gobert, Ekpe Udoh, pour faire la différence. Alors que, blessé, Thabo Sefolosha dispense ses bons conseils.
« Défensivement, j’ai probablement dû poser un million de questions à Thabo Sefolosha », confirme Donovan Mitchell. « Je le regardais à la télé quand il défendait sur LeBron pendant les finales [2012]. Il a joué avec Durant, Westbrook, donc je lui demande plein de trucs : comment il mange, comment il s’étire, comment il gère les longs road trips… Il m’a donné beaucoup de super conseils. Et le mieux dans tout ça, c’est qu’il ne se lasse pas de me les donner. »
5- Une culture de plus en plus ancrée
Fidèle à son jeu et ses valeurs, le Jazz peut donc compter sur des joueurs d’expérience tels que Thabo Sefolosha mais aussi Joe Ingles et Ricky Rubio, avec beaucoup de vécu et d’expérience internationale. C’est cette culture du haut niveau qui permet d’utiliser au mieux les qualités d’un Royce O’Neale ou d’intégrer comme il se doit un Jae Crowder.
« J’ai vu un gars qui fait déjà partie de l’équipe et qui s’est jeté dans ce groupe », confiait Quin Snyder après le premier match de son nouveau joueur. « Quand on est un joueur intelligent avec un bon sens du jeu, c’est facile de s’intégrer dans un groupe qui joue collectif. Et ce ce qu’il a fait. »
Le Jazz est une vraie équipe avec un vrai collectif. La preuve, elle peut s’imposer sans Donovan Michell, comme face à San Antonio quand il était malade, ou alors quand le rookie lâche des petits matchs d’attaque. Ainsi que le tweet de Rudy Gobert l’indiquait à l’arrivée de Jae Crowder, avec tout une symbolique du hashtag (défense en mot clé), le Jazz a développé une culture du collectif qui n’a pas manqué de frapper l’ancien des Cavs…
« Je veux simplement m’intégrer à ce groupe… Je veux jouer dur et reprendre du plaisir, tout simplement. J’adore jouer à l’intérieur d’un système et prendre du plaisir avec mes coéquipiers. Je crois vraiment que ça va bien marcher pour moi ici. Je l’ai senti dès que j’ai franchi le pas de leur porte. À rencontrer les gens de la franchise et les coaches, j’ai le sentiment que ça pourrait être chez moi pour longtemps. »
Coach formateur qui s’appuie sur un système bien défini construit sur un assise défensive établie, Quin Snyder dispose de véritables soldats dans l’Utah. Un effectif qui possède des ressources pour compenser le manque offensif généré par le départ de Gordon Hayward. Pour la bonne ambiance dans le vestiaire, c’est juste une conséquence logique du reste…
« Le truc avec notre équipe, c’est qu’on ne peut pas savoir si on est sur une série de victoires ou de défaites car on est toujours heureux », assure Donovan Mitchell. « On est content d’être les uns avec les autres, et ce n’est pas toujours le cas en NBA, je suis en train de m’en rendre compte. On aime la compagnie les uns des autres, sur et en dehors du terrain. On a foi en nos coéquipiers quand on a cette alchimie hors terrain. »
Conclusion
Revenu dans le positif au bilan, à 30 victoires pour 28 défaites, le Jazz a repris position dans le peloton de la conférence Ouest, à la 10e place. Mais avec cette dynamique et ce fonds de jeu, Utah est à nouveau dans le coup et peut décemment espérer accrocher le Top 8. Et le Jazz a d’autant plus sa carte à jouer dans la course aux playoffs qu’il dispose d’un des calendriers les plus faciles pour ce dernier tronçon de matchs. Avec 15 de leurs 25 dernières rencontres à la maison…
« On ne pense pas à cette série. C’est la saison régulière », conclut Quin Snyder. « Je ne compte pas les séries noires, ou les séries de victoires. C’est bien que ce soit une série parce que ça veut dire qu’on gagne. Mais pour ce qui est du comptable, on ne met rien sur nos tableaux et on ne grave rien sur les arbres. On doit simplement jouer au basket, et c’est ce qu’on va faire. »
« Business as usual », donc. Mais si cette saison ne se conclut pas en playoffs, le Jazz aura tout de même su se prouver à lui-même que le départ de Gordon Hayward n’a pas renvoyé ses ambitions dans les abysses de la ligue.
Propos recueillis à Portland et à Los Angeles