J’ai le plus profond respect pour Vincent Collet. Je commence par ça parce qu’à la vue des commentaires sur l’annonce de la non-sélection d’Evan Fournier, je me demande si beaucoup n’ont pas oublié où était l’équipe de France avant qu’il ne la reprenne en main.
Avant 2009, les Bleus n’avaient ainsi récolté que deux médailles en 50 ans (argent aux Jeux olympiques 2000, bronze à l’Euro 2005) et il faut surtout se rappeler de l’anarchie interne pour bien mesurer le chemin parcouru. Après la belle aventure de Sydney, les Bleus explosent à cause d’une histoire de primes qui a laissé de profondes traces, Antoine Rigaudeau mettant sa carrière internationale entre parenthèses pendant quatre ans. En 2003, le groupe se déchire en interne, miné par les jalousies autour de Tony Parker, et se saborde lors du match pour la troisième place, alors qu’une place aux JO d’Athènes lui tendait les bras.
Après 2005, on pense les plaies cicatrisées et la génération Parker/Diaw enfin lancée pour accomplir son destin tricolore. Sauf que l’Euro 2007 est une catastrophe, que les Jeux olympiques de Pékin s’envolent à leur tour et que la suite n’est pas plus glorieuse. Nommé sélectionneur à la surprise générale, Michel Gomez n’arrive pas à qualifier directement les Bleus pour l’Euro 2009 et la France, malgré ses joueurs NBA, doit passer par un tournoi de repêchage pour obtenir la dernière place de la compétition en Pologne…
Je pense qu’il est nécessaire de se remettre ce contexte en tête avant d’émettre des jugements sur Vincent Collet. Avant sa nomination, l’épopée bleue de Tony Parker, Boris Diaw et compagnie ressemblait à un énorme gâchis. Alors qu’il s’agit sans doute de la génération la plus talentueuse de l’histoire du basket français, ils devaient se contenter d’une médaille de bronze à l’Euro 2005, comme seule récompense. Sur huit ans !
Ces évidences rappelées, et parce que l’équipe de France reste tout de même sur quatre médailles lors de ses cinq dernières compétitions (argent à l’Euro 2011, or à l’Euro 2013, bronze à la Coupe du Monde 2014, bronze à l’Euro 2015), l’ancien coach de Strasbourg mérite un minimum d’estime et de considération.
Des calendriers NBA et FIBA de plus en plus incompatibles
« On va déjà essayer de bien finir ce tournoi et d’aller chercher cette médaille de bronze mais on aura une équipe, qui fera la qualification, et si elle a le bonheur de se qualifier, c’est cette équipe-là qui ira aux Jeux olympiques. On n’a jamais pensé à faire deux équipes ».
Avant le match pour la troisième place lors du dernier Euro, Vincent Collet n’envisageait pas de mettre en place deux équipes ou de faire des rappels pour les Jeux olympiques. Sans doute qu’à l’époque, le sélectionneur tricolore et Patrick Beesley, le DTN, ne mesuraient pas totalement l’implication du TQO en pleine période des négociations NBA.
Mais à l’époque, la seule inquiétude concernait Nicolas Batum. Sous contrat jusqu’en 2017 avec Utah, Rudy Gobert était couvert par son bail et le problème d’assurances ne semblait pas se poser à son sujet. Quant à Evan Fournier, la forte possibilité d’une prolongation en cours de saison laissait présager d’un été disponible. Le problème, c’est que les logiques internes de la FIBA et la NBA vont dans des directions opposées et que les joueurs se retrouvent piégés entre les deux.
D’un côté, la FIBA multiplie les tournois de qualification assez inutiles pour engranger des recettes télévisuelles et publicitaires, avant de changer son format de qualification pour créer un système proche de celui de la FIFA. De l’autre, la NBA maintient son calendrier sans tenir compte des modifications voulues par le basket international. Ce « psychodrame » TQO/JO n’est finalement qu’un avant-goût de ce qui se déroulera dans le futur, avec une équipe de France A’ qui devra se charger de qualifier les Bleus pour les grandes compétitions, avant que les NBAers et autres cadres de la sélection ne les remplacent lors des évènements…
Une tournée d’adieux pour la génération Parker/Diaw
Pour Vincent Collet, la logique était claire : il ne devait y avoir qu’une équipe pour faire les TQO/JO cet été. Mais les circonstances exceptionnelles ont obligé le sélectionneur à revoir ses plans.
En effet, le tournoi de Manille a clairement démontré qu’il nous manquait un intimidateur défensif, capable d’occuper la raquette. La présence de Rudy Gobert était donc indispensable, d’autant plus qu’Alexis Ajinça s’était exclu du groupe et qu’il représentait notre seul « 7 pieds ». Avec lui à son niveau de l’Euro 2013, un retour de Rudy Gobert n’était pas forcément automatique. Sans lui, une entorse aux règles pré-établies devenait inéluctable. D’ailleurs, Kim Tillie et Adrien Moerman semblaient parfaitement au courant et avaient accepté leur sort.
La question, c’était donc de savoir si le retour de Rudy Gobert devait rester une exception ou pouvait déboucher sur un éventuel retour d’Evan Fournier, voire Ian Mahinmi. Je pense que le fait de garder Nicolas Batum dans le groupe, même s’il ne devait jouer qu’un ou deux matchs du TQO, montrait clairement que Vincent Collet et son staff voulaient absolument limiter ces remplacements. D’autant que Thomas Heurtel a montré à Manille qu’il pouvait être le joker offensif attendu en sortie de banc et que Antoine Diot et Charles Kahudi sont des hommes de mission défensive qui seront sans doute précieux à Rio.
Sans parler des indéboulonnables (Tony Parker, Nando De Colo, Nicolas Batum, Boris Diaw), j’ai vu beaucoup de critiques sur le fait que Vincent Collet privilégiait les cadres (Florent Pietrus, Mickaël Gelabale) pour une tournée d’adieux et ses hommes de confiance (Antoine Diot). C’est vrai et c’est une pure logique de sélectionneur, qui fait les choix en fonction de ce qu’il considère le mieux pour l’équipe à un moment donné. Sans oublier que ses relations avec Thomas Heurtel ou Joffrey Lauvergne n’ont pas toujours été au beau fixe et qu’on se souvient que, rappelé l’an passé, le meneur avait été « retenu » dans des circonstances étranges par son club…
« Choisir, c’est renoncer ». Et choisir dans des conditions qu’on ne maîtrise pas totalement, c’est risquer de créer des secousses qu’on domine encore moins.
La cicatrice de la demi-finale face à l’Espagne
Vincent Collet a dû faire une entaille dans ses principes pour rappeler Rudy Gobert. Il a choisi de la limiter au maximum en en changeant pas le reste du groupe. C’est terrible pour Evan Fournier, qui devait renégocier son contrat, qui a sans doute fait une croix sur plusieurs millions d’euros pour être disponible au plus vite et qui s’entraînait en vue de la compétition.
Comme le rappelle L’Equipe, ce choix pourrait profondément peser sur la future relation entre l’arrière d’Orlando et l’équipe de France, alors qu’il sera inévitablement amené à y jouer un rôle essentiel lors du départ de Tony Parker, Mickaël Gelabale et Florent Pietrus. Mais il n’y avait pas de bon choix pour Vincent Collet, il a fait le sien avec ses principes, qui ont porté les Bleus à quatre médailles, et qui vont peut-être leur faire mal dans le futur.
Ce choix, c’est surtout la preuve qu’aux yeux du sélectionneur, Evan Fournier n’est pas encore indispensable à l’équipe de France. Ayant suivi les Bleus lors de leurs trois dernières campagnes, j’ai souvent entendu Vincent Collet expliquer à quel point le joueur d’Orlando était talentueux mais qu’il avait besoin d’être « coaché », canalisé. Et je me souviens aussi de cette impression lors de la conférence de presse qui a suivi la demi-finale face à l’Espagne, l’an dernier. Interrogé pour savoir pourquoi il avait remisé ses jeunes au placard en fin de match, notamment Evan Fournier, l’entraîneur répondait que l’arrière aurait sans doute plus joué s’il n’avait pas tenté un lay-up impossible en contre-attaque, au lieu de servir Mickaël Gelabale seul sous le cercle.
D’un possible +10 à huit minutes de la fin, l’Espagne était revenue à six points des Bleus en une fraction de seconde. À partir de ce moment-là, Vincent Collet s’était recroquevillé sur son cinq majeur, fermant son banc et faisant « le choix de la raison et du respect des très grands joueurs ». Dix mois après, c’est la même logique qui semble encore s’appliquer.
Pour le meilleur ou pour le pire…