Le débat est sempiternel à Oklahoma City. Alors que le Thunder compte Kevin Durant, le MVP de la saison passée, dans ses rangs, c’est souvent Russell Westbrook qui tend à tirer la couverture sur lui. Toujours placée mais jamais couronnée, la franchise d’OKC continuera de débattre sur la place de chacune de ses deux superstars tant qu’elle n’aura pas atteint le sommet de la montagne et soulevé le trophée.
Si ce débat est évidemment légitime, il n’en reste pas moins que certaines idées véhiculées autour du fonctionnement interne du duo Westbrook – Durant sont elles complètement fausses. Pour y voir plus clair, il faut faire tomber plusieurs préjugés, tout autant sur le joueur Westbrook que sur le tandem Westbrook – Durant.
Le cas Westbrook : se faire l’avocat du Diable (de Tasmanie)
La première chose, c’est qu’il faut relativiser l’impression visuelle quand il s’agit de Westbrook. Véritable phénomène physique, Russell Westbrook réalise au quotidien ce que le joueur lambda (même en NBA) ne parvient à faire qu’une ou deux fois dans sa vie de basketteur. Ainsi, quand il déboule à fond la caisse en contre-attaque, Westbrook peut tout aussi bien nous lâcher une énorme cagade que réaliser le dunk de l’année ! Dans l’un comme dans l’autre cas, il ne faut ni crier au scandale, ni crier au génie ! Westbrook est comme ça : une boule d’énergie, un diable de Tasmanie des parquets, un concentré de basket !
Mais si l’on évite de tomber dans les critiques extrêmes du « tout noir » ou « tout blanc », on peut effectivement voir qu’il existe cinquante nuances de Russ. En termes de shooting d’abord, l’idée générale est que Westbrook déclenche à tout-va. Et donc perturbe le rythme d’attaque. Et pire, pique des cartouches à Kevin Durant, meilleur shooteur que lui.
Si l’on procède par ordre : d’abord, non, Westbrook ne déclenche pas à tout-va. En fait, si l’on analyse ses « zones de tirs » en saison régulière et en playoffs, on voit bien que le meneur du Thunder est plutôt très adroit dans le petit périmètre (les quatre zones les plus proches du panier). La critique tient par contre pour la zone intermédiaire et les tirs extérieurs (surtout en playoffs) quand Westbrook est tombé sous la moyenne NBA. Là encore, ce constat peut être facilement pondéré du fait que Westbrook a souvent hérité de « ballons empoisonnés » à balancer de loin en fin de possessions.
Pour ce qui est de perturber l’attaque du Thunder, Westbrook est l’objet d’un faux-procès. S’il a effectivement tendance à accélérer le processus en prenant parfois des tirs en première intention, qui mériteraient probablement un travail de préparation et de circulation du ballon en amont, c’est cependant le plan de jeu de coach Brooks. Jouer le jeu rapide et pousser le ballon font partie des prérogatives de Westbrook et c’est donc son boulot de maintenir, à tous moments, la pression sur la défense adverse. On attribue souvent à Westbrook de faire des mauvais choix en attaque, mais c’est en fait une partie intégrante de la stratégie du Thunder.
Finalement, oui, Russell Westbrook marche un peu sur les plates-bandes de Kevin Durant. Respectueux à l’extrême et même carrément timoré, le MVP en titre se laisse un peu marcher sur les pieds par son copain Russell; mais c’est parce que les deux s’aiment bien et que Durant n’est pas un violent. Dans le monde cruel de la NBA, il ne s’agit pourtant pas de faire dans le copinage quand l’objectif est, chaque saison, d’aller décrocher le titre suprême.
Rééquilibrer les forces : Scott Brooks sur le banc des accusés
Dans une analyse fouillée concernant le duo du Thunder, les statisticiens d’Harvard ont démontré que Durant était le leader ultime de l’équipe. Un constat indiscutable sanctionné par les chiffres. Quand Westbrook prend plus de tirs que Durant, OKC gagne certes 71% de ses matchs; mais c’est moins que les 80% de victoires quand Durant prend plus de tirs que Westbrook. Déclinée en différentiel de points et différentiel de points ajusté, la comparaison penche toujours en faveur de KD.
Pourcentage de victoires | Différentiel de points | Différentiel de points ajusté | Nombre de matchs | |
Westbrook > Durant | 71% | +5.81 | +5.99 | 31 |
Durant > Westbrook | 80% | +9.00 | +10.96 | 15 |
(Source : Harvard Sports Analysis)
Il est donc établi statistiquement que Russell Westbrook dépasse un peu trop son domaine réservé et empiète sur celui de son collègue Durant. Nombre d’observateurs de la NBA, dont Shaq, l’ont également souligné en disant que le Thunder gagnerait certainement à ce que Westbrook reste parfois en retrait, pour le « bien de l’équipe ».
Le problème, c’est que Kevin Durant joue ailier et que Russell Westbrook joue meneur. Et si Westbrook déborde, c’est tout simplement parce que le garçon déborde d’énergie… et que son fonds de commerce, c’est précisément de jouer à fond chaque instant ! A l’inverse, KD est un placide. Celui qui va faire le boulot tout en discrétion, à force de bombes longue distance, ou de pénétrations bien senties pour peser sur une défense. Dans cette équation, il est donc bien difficile de lutter contre le naturel (sans qu’il revienne au galop) !
En fait, le véritable problème est de dégager une philosophie de jeu qui convienne à cet incroyable tandem. On le sait, les deux stars s’entendent à merveille hors des parquets malgré de nombreuses rumeurs faisant état de tensions. Tous deux compétiteurs féroces, ils veulent avant tout aller chercher le titre ensemble. Pour cela, il leur faut trouver un équilibre où chacun joue sur ses forces sans forcer le trait. En somme, il leur faudrait un coach qui établisse clairement ses attentes. Accusé Scott Brooks, levez-vous !
On se souvient notamment de l’insoutenable légèreté du coaching de Scott Brooks lors du premier tour des derniers playoffs face aux Grizzlies. Repoussés dans leurs ultimes retranchements, les joueurs du Thunder s’en sont sortis par la grâce de plusieurs « petits miracles »… mais le fond du problème était alors criant : Westbrook surjouait et OKC jouait à contre-sens. Individualiste à souhait et carrément caricatural, le jeu du Thunder révélait le peu d’impact qu’a le coaching de Brooks en situation de pression extrême.
Air chaud et air froid dans le ciel d’Oklahoma
De manière générale, OKC est répertoriée (à juste titre) comme étant cette équipe qui gagne sur le simple fait de son talent. Et plus précisément, sur le talent de ses deux vedettes, Westbrook et Durant, seuls coéquipiers présents dans le Top 5 des meilleurs joueurs NBA selon Sports Illustrated. Mais cette vision des choses est évidemment réductrice quand on sait que le Thunder dispose de Serge Ibaka, Reggie Jackson, Steven Adams ou encore Jeremy Lamb qui sont tous des joueurs talentueux capables d’apporter aussi bien au scoring que dans les autres aspects du jeu.
Plus que son duo de All-Stars, c’est tout l’effectif du Thunder qui doit désormais être mis en valeur. La draft de Mitch McGary ainsi que l’arrivée d’Anthony Morrow sont de très bons choix de la part de Sam Presti… mais la confiance maintenue à Scott Brooks interroge ! Comment le coach d’OKC va-t-il faire pour impliquer davantage les autres joueurs autour de Westbrook et Durant ? Ibaka et Jackson ont notamment prouvé qu’ils méritaient de toucher plus de ballons en attaque.
Avec le départ de Thabo Sefolosha vers Atlanta, OKC dispose désormais d’une place vacante dans son cinq majeur. Et Brooks a quant à lui la possibilité d’imprimer enfin la marque d’un renouveau en lançant Reggie Jackson aux côtés de Westbrook et Durant. Si tel est le cas, le jeu du Thunder pourrait bien gagner en cohérence et en fluidité avec deux « meneurs » sur le parquet d’entrée de jeu. Parallèlement, cette saison devrait également inaugurer la promotion de Steven Adams dans le cinq majeur, alors que Kendrick Perkins entre dans la dernière année de son contrat (à plus de 9 millions de dollars la saison !).
Entre l’explosion immanquable de Westbrook et la force tranquille de Durant, il y a effectivement un duel permanent entre le chaud et le froid à OKC. Mais c’est bien ça le Thunder ! Le tonnerre, ce n’est rien d’autre que la rencontre de l’air chaud et de l’air froid dans l’atmosphère.
Mi-ange, mi-démon, Russell Westbrook, c’est l’éclair qui travers le ciel et transperce la nuit et Kevin Durant, c’est l’orage qui suit, avec la grêle, les bourrasques de vent et l’éclaircie qui ne manqueront pas de suivre. Avec la pression qui monte à mesure que se rapproche la fin de contrat pour Kevin Durant, le Thunder doit plus que jamais se trouver une identité collective autour de ses étoiles filantes.