Le 15 avril 1993, un mois avant la victoire de l’OM sur le Milan AC à Munich en foot, le CSP devient la première équipe française sacrée championne d’Europe tous sports collectifs confondus.
Au Final Four d’Athènes, Limoges déjoue tous les pronostics en battant le Real Madrid d’Arvydas Sabonis puis le Trévise de Toni Kukoc. Inoubliable !
Un sorcier à la baguette
Un homme. Un système. Une vision. Tous les acteurs et témoins de l’épopée européenne du CSP Limoges en 1992-93 s’accordent sur un point : sans le sorcier serbe Bozidar Maljkovic, rien de tout ce qui se passa à Athènes n’aurait été possible. A Athènes et avant. Resituons le contexte. Pour le CSP, la décennie 80 fut royale. Limoges a accédé à l’élite du basket français en 1978. Le club est sacré champion de France à six reprises entre 1983 et 90 sous les ordres de André Buffière, Pierre Dao et Michel Gomez. Il brille aussi sur la scène européenne : Coupe Korac en 1982 et 1983 contre le Sibenik du regretté Drazen Petrovic (disparu il y a presque 20 ans, le 7 juin 1993), Coupe des Coupes en 1988.
Les héros passent à la postérité. Ils ont pour noms Apollo Faye, Ed Murphy, Jean-Michel Sénégal, Hugues Occansey, Clarence Kea, Grégor Beugnot, Jacques Monclar, Don Collins, Stéphane Ostrowski. Et bien sûr Richard Dacoury, arrivé dans le Limousin à 19 ans, l’année de la montée en Nationale 1. Le CSP s’invite dans le dernier carré de l’Euroleague en 1990 à Saragosse. Défait 101-83 par le grand Split, Limoges remporte la petite finale contre l’Aris Salonique (103-91). Les hommes verts font définitivement partie des grands d’Europe. Limoges dans le basket, c’est l’OM ou le PSG en foot. Un palmarès XXL. Des vedettes plein le vestiaire.
Richard Dacoury voulait arrêter
Mais le champion vacille… Au début des années 90, le CSP nage en eaux troubles. Sur le banc, l’expérience Alexandre Gomelsky – monument du basket russe – tourne court. Les coaches défilent (Sweek, Gomelsky, Veyrat, Dobbels). Richard Dacoury se pose beaucoup de questions. Il songe tout simplement à stopper les frais.
« Avant d’apprendre la venue de Bozidar Maljkovic, j’étais prêt à mettre fin à ma carrière. Je ne trouvais plus de plaisir dans le jeu, j’étais frustré de ne pas atteindre le top européen. « Boja » a apporté une nouvelle discipline et une nouvelle façon de travailler. Bien sûr, il était impossible d’imaginer que ça paierait aussi vite. »
« Maljko » est engagé fin décembre 1991. Le Serbe arrive dans le Limousin auréolé de son doublé avec le Jugoplastika Split (1989-90) dans ce que l’on n’appelle pas encore l’Euroleague. Une compétition dont il vient encore d’atteindre la finale avec Barcelone, battu 70-65 par Split. C’était à Paris. Limoges ne remporte aucun titre pour la deuxième année de suite mais « Boja » a obtenu les pleins pouvoirs et il impose son style. Le CSP n’a pas de Toni Kukoc. Alors, il fait avec le matos à sa disposition, en bâtissant une forteresse et un commando. La star, c’est le groupe. Le moteur de l’équipe, c’est la défense. Le stratège serbe impose une véritable discipline de fer. Avec lui, les joueurs réapprennent le sens des mots « autorité », « exigence », « rigueur ». Aux entraînements, ils morflent comme jamais.
Young et Zdovc, additions-clés
On n’est plus dans un gymnase, on est dans un camp militaire. Mais « Boja » sait ce qu’il fait. Pour mener Limoges au sommet, il va mettre au point la seule formule viable peut-être. Le CSP tire les barbelés en défense. En attaque, l’équipe bosse jusqu’à la limite des 30 secondes pour user l’adversaire. Enfin, tout le monde est impliqué, avec une rotation efficace. Richard Dacoury doit oublier sa production offensive et se sacrifier pour l’équipe. Comme tous les autres. Il accepte cette mutation nécessaire.
« J’ai cru profondément en Boja », explique « Flying Dac ».
Battu 2-0 en finale du championnat par Pau, Limoges est assuré de disputer le championnat d’Europe des clubs 1992-93. L’histoire est en marche…
Au début de l’exercice, « Mondial Basket » consacre un reportage au CSP. Ça bouge dans le Limousin ! Stéphane Ostrowski (Antibes) et Michael Brooks (Levallois) s’en sont allés. Bozidar Maljkovic a orchestré le recrutement. Limoges s’est offert l’ailier US Michael Young, ancien coéquipier de Hakeem Olajuwon et Clyde Drexler chez les Houston Cougars (deux finales NCAA perdues en 1983 et 84). L’ancien membre de la « Phi Slama Jama », la confrérie des dunkeurs fous, arrive de Reggio Calabria. Il a 31 ans mais tournait à 27.2 points en Italie. C’est un shooteur redoutable et un bon rebondeur. Jimmy Vérove est de retour au club après un détour par Mulhouse. Le Slovène Jurij Zdovc (Bologne), meneur de la dernière grande équipe de Yougoslavie, champion du monde 1990 et défenseur hors pair, le pivot de l’ASVEL Willie Redden et le bondissant Jim Bilba, formé à Cholet, déboulent eux aussi au CSP. Qui change de couleurs : le maillot Adidas sponsorisé par Opel s’efface au profit d’une tunique Nike jaune et grenat. Sponsor : Casino. Ça sent le jackpot…
PAOK et Bologne, la douche froide
« Mondial » témoigne du changement d’époque.
« Y z’ont changé leurs tricots. Ça fait plus américain. Couleurs Washington Redskins. Bien stylisées, bien flashantes, les nouvelles tenues. Ils maintiennent Bozidar Maljkovic. Avec un projet plein d’objectifs et d’ambitions. Avec de nouveaux joueurs pleins de dynamisme et d’enthousiasme. »
« Depuis deux ans, le club était instable », commente Richard Dacoury, capitaine et monument du club.
Heureusement, Maljkovic a repris les choses en main.
« Cette saison, c’est moi qui ai formé l’équipe. J’ai pris le pari de faire à ma façon, de construire le groupe que je désirais. En cas de mauvais résultats, je serai le seul à trinquer. »
« Boja » a voulu une équipe en béton armé, désormais retranchée derrière une porte blindée. Toutes les formations du championnat se casseront les dents sur cette défense. Limoges concède une seule défaite à Pau, lors de la phase retour. Le CSP deviendra champion de France en battant le club béarnais 3-1. Entre-temps, il signe un petit exploit qui ne passe pas inaperçu… L’aventure européenne démarre le 30 septembre avec le 2e tour préliminaire. Match nul 72-72 contre les Anglais de Guildford. Le retour à Beaublanc est une formalité grâce à l’abattage de Michael Young et Jim Bilba (18 pts chacun). Le CSP doit batailler dans la poule A avec le PAOK Salonique de Cliff Levingston, deux fois champion NBA avec Michael Jordan, le Scavolini Pesaro, le Kinder Bologne, Badalone, le Cibona Zagreb et le Maccabi Tel-Aviv. Et là, c’est la douche froide. Les Cerclistes débutent leur parcours par une défaite 67-57 chez le PAOK, pourtant privé de Levingston. Suit un revers 63-76 à domicile contre le Bologne de Sasha Danilovic.
CSP-Olympiakos III, morceau d’anthologie
Le déclic se produit sur le parquet de Badalone (78-62) au rendez-vous suivant. Le CSP compte jusqu’à 24 points d’avance. Young est on fire (31 pts). Le Cibona mord à son tour la poussière. A Pesaro, Limoges obtient son deuxième succès à l’extérieur (15 pts, 4 rbds, 5 ints de Zdovc). Young (35 pions) met le Maccabi au supplice. Contre le leader de la poule, le PAOK, les hommes de Maljkovic obtiennent leur cinquième succès d’affilée. Bologne bat le CSP une seconde fois. Ce sera la seule équipe à le faire cette année-là. A Beaublanc, Limoges se fait surprendre par Badalone malgré les 30 points de Young. Les Jaunes et Grenat réagissent à Zagreb (21 pts de Zdovc) avant de passer Pesaro à la moulinette (61-47). La défaite 70-69 à Tel-Aviv ne change rien : 2e derrière le PAOK, Limoges est qualifié pour les quarts de finale (7 victoires-5 défaites).
Cerise sur le gâteau : le CSP recevra un éventuel match d’appui. Celui-ci aura bien lieu. Limoges craque sous les missiles longue distance du Monténégrin de l’Olympiakos Zarko Paspalj dans le Game 1 mais réagit superbement dans le Match 2 en limitant les Grecs à 53 points. L’acte III est un morceau d’anthologie. Egalisation d’Olympiakos à 40 secondes de la fin (58-58). Paspalj prend le rebond sur un shoot de Frédéric Forte mais mord la ligne. Jurij Zdvoc réussit le panier assassin à 2 secondes de la fin. Beaublanc est en fusion, le CSP ira au Final Four d’Athènes.
Les Galactiques sont limougeauds
Pour le rendez-vous le plus stressant de la saison, Bozidar Maljkovic offre un tout autre visage. Le Serbe affiche une décontraction déconcertante. Une façon de faire tomber la pression.
« Juste avant de partir au Final Four, il nous a dit ceci : « Ces matches seront moins durs que les entraînements, alors prenez du plaisir », raconte Richard Dacoury. « Pour moi, la demi-finale face au Real Madrid fut le moment le plus fort du Final Four. C’était un géant, un mythe en face de nous. Mais on l’a battu et tout est devenu possible. »
Un mythe emmené par le pivot lituanien Arvydas Sabonis, José Biriukov, Antonio Martin et l’Américain Rickey Brown. Le Real avait découpé Bologne (la seule équipe ayant battu le CSP deux fois, on le rappelle) en quarts de finale et tournait à 80 unités. Il est limité à 52 points par le Petit Poucet du carré final, qui déjoue tous les pronostics.
« Je ressens une plus grande émotion encore qu’avec l’équipe de Yougoslavie », confie Jurij Zdovc. « J’ai tout gagné avec la sélection mais rien en club. En équipe nationale, il n’y a que des stars. Ce n’est pas le cas au CSP. La joie est encore plus forte. »
« C’est immense ! Peut-être le plus grand moment de ma carrière », ajoute Richard Dacoury. « On les a fait déjouer, vraiment. Le coach nous a merveilleusement préparés à cette rencontre en nous libérant de toute pression. Contre Olympiakos en quarts de finale, nous jouions la peur au ventre. »
Fred Forte, un steal pour l’histoire
La finale face au Trévise de Toni Kukoc et Terry Teagle, au Stade de la Paix et de l’Amitié, passe en direct sur France 2 et réunira 5 millions de téléspectateurs en moyenne. Ça démarre très mal. Young est à la rue (1/6), contrairement à son compatriote (4/4, 2/2 aux lancers). Huit points pour le CSP en 11 minutes (2/10). Troisième faute de Dacoury en 3 minutes. 19-8 pour le Benetton. Et sans le moindre point de Kukoc ! Jim Bilba sonne la révolte, le CSP passe un 8-0. A la pause, l’écart est de -6 (28-22). Limoges a vécu une sale mi-temps mais ça reste jouable.
« Dans les vestiaires, on a réalisé qu’on n’était qu’à -6 en jouant un basket faible », raconte Dacoury. « On savait que si on le voulait, c’était possible. Le reste fut historique. »
Trévise reprend un peu d’air (+10) mais Bilba entame son show. Un contre sur Stefano Rusconi. Faute sur Dacoury (4 fautes) qui armait à 3 points. Le CSP passe un 10-0 à Trévise et prend les devants 44-43 ! Kukoc se réveille derrière l’arc, Bilba s’arrache. Rusconi est éliminé, Kukoc égalise (55-55) sur un shoot primé. Le Croate va encore dégainer pour flinguer Limoges. Mais Fred Forte réussit une interception pour l’éternité. Aux lancers, Zdovc sécurise le premier sacre européen d’une équipe française tous sports collectifs confondus. Vainqueur 59-55, le CSP Limoges est champion d’Europe ! Jusqu’au bout, l’équipe de Bozidar Maljkovic aura édifié une ligne Maginot (61.7 pts encaissés en moyenne sur l’ensemble de la compétition, 53.5 sur les deux derniers matches).
Richard Dacoury :
« On a réussi à concrétiser un rêve que personne ne pensait possible. C’était une compétition dans laquelle je ne pouvais pas imaginer une équipe française gagner. Je n’ai qu’un seul regret : cette année-là, le trophée était laid. Je rêvais d’avoir le vieux dans les mains. Ce Limoges 1993 n’était sans doute pas le plus talentueux mais c’était une équipe hyper solidaire, très soudée. On a surpris tout le monde. J’ai été vite éjecté face à Trévise mais j’avais réalisé un match complet contre Madrid. »
« Je suis content pour la ville et les gens de Limoges », déclara Bozidar Maljkovic. « L’équipe a totalement adhéré à ma philosophie du basket et elle a bien travaillé. »
Plus tard, il ajouta :
« Des trois équipes que j’ai menées au titre européen – Split en 1989 et 90, Limoges en 1993, le Panathinaïkos en 1996 -, Split était la plus talentueuse, il n’y a pas de discussion. Mais à mes yeux, le titre du CSP fut le plus important. Ce Final Four à Athènes fut absolument magique. C’est quelque chose qui arrive une fois en 100 ans. Nous avions travaillé tellement dur… Ça se comprend : à Limoges, il pleuvait tout le temps et il n’y avait rien d’autre à faire ! Nous avions deux surdoués, Michael (Young) et Jurij (Zdovc). J’ai bâti l’équipe autour d’eux. Mike était un basketteur prodigieux et un être humain incroyable. Définitivement le meilleur joueur américain avec lequel j’aie travaillé. »
Le parcours du CSP
– 2e tour préliminaire
30.09.1992 : Guildford Kings-Limoges 72-72
08.10.1992 : Limoges-Guilford Kings 71-57
– Matches de poule
05.11.1992 : PAOK Salonique-Limoges 67-57
26.11.1992 : Limoges-Kinder Bologne 63-76
03.12.1992 : Badalone-Limoges 62-78
10.12.1992 : Limoges-Cibona Zagreb 83-52
17.12.1992 : Scavolini Pesaro-Limoges 61-76
07.01.1993 : Limoges-Maccabi Tel-Aviv 75-63
20.01.1993 : Limoges-PAOK Salonique 60-58
28.01.1993 : Kinder Bologne-Limoges 70-67
04.02.1993 : Limoges-Badalone 65-73
10.02.1993 : Cibona Zagreb-Limoges 58-62
18.02.1993 : Limoges-Scavolini Pesaro 61-47
25.02.1993 : Maccabi Tel-Aviv-Limoges 70-69
– Quarts de finale
11.03.1993 : Olympiakos-Limoges 70-67
15.03.1993 : Limoges-Olympiakos 59-53
17.03.1993 : Limoges-Olympiakos 60-58
– Final Four d’Athènes
13.04.1993 : Limoges-Real Madrid 62-52
15.04.1993 : Limoges-Benetton Trévise 59-55