« Tu es sûre de vouloir que j'aille là-bas ? Parce que c'est un gros billet quoi… » En interrogeant ainsi sa mère avant de prendre le chemin de la « Tony Parker Adéquat Academy » (TPAA), Ilan était conscient de ce que ce projet impliquait. Le rêve du jeune homme est de devenir basketteur professionnel. Y parvenir en restant en Nouvelle-Calédonie, où il vivait et où sa mère est directrice de magasins, paraissait compliqué.
« Elle voulait absolument que je vienne ici », rapporte le jeune homme de 16 ans qui parle de frais annuels de « 27 000 euros (ndlr : la direction parle de 29 450 €) » tout compris (logement, nourriture…). « Ma mère a fait un prêt à la banque et puis voilà… »
Et le voilà qu'il a débarqué, en septembre dernier, au quartier de Gerland à Lyon (Rhône), dans les infrastructures ultra modernes de cette école inaugurée en 2019 par l'ancienne légende des Spurs. Et où, depuis, environ une centaine de jeunes ont complété leur formation.
« La structure est unique, mieux que partout en France. C'est même mieux que ce que j'attendais », assure le lycéen, qui s'entraîne deux fois par jour et suit 20 heures de cours par semaine – pas plus de quatre par jour – en filière générale. Ilan, qui espère obtenir une bourse l'an prochain, entend passer ses trois années de lycée ici, avec son rêve en tête. À défaut de devenir pro, « j'irais au moins travailler dans ce monde-là, parce qu'ici y a toutes les formations, comme le BPJEPS ».
180 « Académiciens » aux profils variés
Ce brevet professionnel compte parmi les nombreux cursus proposés au sein d'une école, où se croisent aujourd'hui 180 « Académiciens » aux trajectoires variées. On compte 40 lycéens comme Ilan – suivis par le spécialiste des cours particuliers Acadomia (l'établissement est aussi partenaire avec le groupe d'intérim Adéquat) – ainsi que 100 apprentis intégrés à la TPAA Formation. Ceux-là entrent dans les aides liés aux opérateurs (OPCO), avec des salaires pris en charge par les entreprises.
Il faut également compter 20 joueurs du centre de formation de l'Asvel et 20 joueuses du pendant féminin. Pour ces derniers, les clubs prennent en charge la formation. Résultat : « environ 150 Académiciens sur 180 n’ont pas eu la barrière financière cette année », chiffre Xavier Lucas, le directeur de l'école, qui nous répond par mail.
Sans cette prise en charge, Stanley Risal, également croisé dans les couloirs de l'établissement, n'aurait pas été en mesure de suivre. Celui-ci a été repéré en Martinique et a rejoint le centre de formation il y a deux ans. « Je suis sur le bon chemin (pour devenir pro) », assure cet intérieur qui dit s'épanouir dans les lieux.
« L'internat, la cantine, le terrain de basket juste à côté ouvert 24H/24… et l'école est juste en face. Tout est au même endroit », énumère le jeune homme de 16 ans qui apprécie l'écosystème. « C'est quelque chose d'assez unique, avec une unité de lieu. Ce qui permet d'optimiser le travail de ces jeunes. C'est proposer de continuer sa passion, pouvoir croire en ses rêves, tout en faisant des cours et en ne faisant pas une croix sur la partie emploi », résume Gaëtan Muller, le cofondateur des lieux, dont le nom est apposé sur l'un des terrains. Idem pour Tony Parker et Nicolas Batum, l'autre grand actionnaire.
Un modèle américain revendiqué
Gaëtan Muller assure que l'établissement, qui revendique un « modèle américain », reçoit tous les ans « plusieurs dizaines, voire centaines » de candidatures de jeunes à la recherche de « perfectionnement ». Mais en étant conscients que les élus vers le monde professionnel sont peu nombreux.
« Ceux qui rentrent en centre de formation chez nous sont maintenant pratiquement à 60% sur le circuit pro derrière », chiffre toutefois le responsable en pensant à tous ceux qui ont été de « près de ou de loin » en lien avec la structure : Théo Maledon, Matthew Strazel, Noa Essengue ou encore le « pur produit » Zaccharie Risacher.
« Et la particularité est d'avoir aussi des jeunes qui n'ont pas été détectés. Donc là, effectivement, le parcours est beaucoup plus dur, on ne va pas se mentir. Et les portes sont moins grandes », reprend le responsable qui insiste en parallèle sur la notion d' « employabilité », au cœur du projet. Selon Xavier Lucas, il est encore « difficile d’établir un vrai taux d’insertion. Pour autant, nos apprentis reçoivent un écho très favorable des entreprises et arrivent à trouver une opportunité assez facilement. »
3 millions d'euros de dettes cumulées…
Malgré ces bonnes dynamiques constatées, cela coince niveau économique. Dans une enquête de France Info, consacrée aux investissements de Tony Parker, ce dernier a avoué que le modèle était « en train d'être redéfini ». En cause, des coûts pédagogiques, de restauration, d'encadrement périscolaire et sportif « importants ». Selon la Chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes, les postes hébergement, restauration et scolarité ont carrément… quintuplé entre 2018/2019 (119 400 €) et 2022/2023 (615 000 €)
Résultat, plus de trois millions d'euros de dettes cumulées en 2022 pour ACA Gestion, société gestionnaire de la TPAA. Comme l'expliquait « TP », les associés ne souhaitaient pas faire peser l'intégralité de cette charge sur les élèves lors des premières années. D'où une tendance à l'explosion des coûts de formation aujourd'hui.
« Si les conditions de formation des joueurs sont bonnes, le coût annuel du centre de formation a triplé depuis son déménagement et atteint plus d’un million d’euros en 2022/2023. Concomitamment, le coût annuel d’un joueur au centre de formation a doublé entre 2018/2019 (20 000 €) et 2022/2023 (40 000 €), sans qu’il ne soit possible de mesurer une amélioration sur le plan sportif », écrit la Chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes qui a sorti au début d'année un rapport d'observations sur l'Asvel.
Le projet de Saint-Ouen bien plus modeste
Dans ce contexte financier, un projet est tombé à l'eau : la Tony Parker Academy Saint-Ouen, qui avait l'ambition de « démocratiser l’excellence ». Son ouverture en région parisienne était prévue pour septembre 2025. Mais des difficultés du promoteur Réalités, mises en avant par Tony Parker, ont imposé de revoir le projet à la baisse avec un bien plus modeste programme public intégré aux collèges et lycées voisins, comme l'a rapporté Les Échos. Un virage qui n'a pas manqué de créer des remous localement.
« Au-delà de l’enthousiasme, de la belle opportunité, et de la volonté d’établir une deuxième Academy, et il y a surtout un sentiment de sagesse, de stabilité, de raison pour assurer la plus grande efficacité à notre projet et s’assurer d’accueillir des jeunes dans les meilleures conditions pour leur réussite », assume aujourd'hui Xavier Lucas.
Ce dernier précise par ailleurs que la structure n'est pas touchée par la vague de départs de prospects européens qui rejoignent la NCAA, attirés par les dollars du NIL.
« La conséquence est davantage pour les centres de formation des clubs que pour la TPAA. Tous les revenus reviennent directement aux clubs. Pour la TPAA, cela ne représente absolument rien », assure le dirigeant, en ajoutant, plus largement : « Selon moi, c’est encore à la marge et il est encore trop tôt pour parler d’impact. Et puis, on peut aussi prendre le contre-pied et se dire que cette situation ne fait finalement que crédibiliser le fond de notre projet, et notre approche qui mise sur le long terme. »
L'enjeu restant toujours de « trouver le bon équilibre. Notre entreprise est jeune et n’a pu s’appuyer sur aucun modèle du même type de par notre approche innovante. Nous avons comme tout projet de ce type, ‘en mode startup', expérimenté différents leviers avec des résultats plus ou moins favorables. Sur ces bases, nous sommes aujourd’hui en train de trouver le bon compromis afin d’arriver à pérenniser notre activité. »