Le rendez-vous a été donné au Marriott « Hotel Ambassador », boulevard Haussmann. Il est 9 heures du matin, ce vendredi, les premiers fans commencent à se presser devant l’entrée en espérant apercevoir les superstars NBA et Mike Mancias nous accueille dans la résidence de luxe privatisée par la fédération américaine. Grant Hill revient d’ailleurs d’une petite marche tandis que nous nous installons avec le préparateur physique de LeBron James.
La veille, les Etats-Unis ont battu la Serbie au terme d’un match épique et le « King » a réalisé un triple-double très rare aux Jeux olympiques, défendant sur Nikola Jokic pendant le « money-time ». Celui qui le prépare depuis désormais vingt ans est-il encore surpris par ce que l’ailier réalise, alors qu’il va sur ses 40 ans ?
« Hier, on parlait justement de ça » nous répond-il dans un sourire. « Il était tôt, le matin, et il soulevait des poids pour se préparer pour le match du soir (face à la Serbie). Et quelqu’un m’a posé cette question. Et je lui ai dit que je n’étais pas surpris car je savais à quel point il travaillait dur. Hier, c’est un parfait exemple. Il a réussi un grand match, un triple-double, mais il était à la salle à huit heures du matin, à faire de la musculation, sans personne pour le regarder autour. Donc non, je ne suis pas surpris. Je serais par contre surpris s’il réalisait ce genre de match en mangeant n’importe comment et sans s’entraîner dur (rires). »
« Ma relation avec LeBron s’est créée sur le travail. Je n’ai pas cherché à être son entraîneur personnel, je ne le lui ai jamais demandé. Moi, je voulais être en NBA »
La relation entre les deux hommes a débuté en 2004, alors que Mike Mancias a mis plusieurs années à pleinement intégrer la NBA.
« Je ne savais pas que c’est ce que je voulais faire avant ma dernière année au lycée, quand j’ai voulu mélanger le basket, le sport et la médecine. Un ami m’a dit qu’il fallait que je m’intéresse à la médecine du sport. Il y avait cette université (University of Texas–Pan American) qui proposait ça, à une heure de chez moi. J’y ai fait mes premières années d’étude. J’aidais l’équipe de basket, de volley, de football… Au milieu de tout ça, je me suis dit que je pouvais faire la même chose au niveau professionnel. Donc j’ai commencé à faire des stages dans des équipes pros, mais aussi des hôpitaux et des cliniques, pour avoir de l’expérience, des informations. Et en 1998, le préparateur physique des Houston Rockets m’a aidé à intégrer le camp pré-Draft de la NBA et c’est là que j’ai commencé à travailler avec les professionnels. Puis les Milwaukee Bucks m’ont pris comme stagiaire pour l’été. Les Cavaliers m’ont aussi proposé un stage, puis un stage à l’année. C’était la deuxième année de LeBron James en NBA, et c’est là qu’on s’est rencontré. »
Entre les deux nait alors un lien de confiance.
« Ma relation avec LeBron s’est créée sur le travail. Je n’ai pas cherché à être son entraîneur personnel, je ne le lui ai jamais demandé. Moi, je voulais être en NBA. Mais il a vu ce que je faisais, il m’a demandé de travailler des choses avec lui. Puis il m’a demandé d’aller chez lui la veille des matchs, pour bosser. Cette routine, le soir qui précédait les jours de match, avec des étirements, des soins, des massages, c’est la routine qu’on a mis en place quasiment toute l’année, en 2006/07, et ils sont allés en Finals NBA. Donc il a vu qu’il jouait bien, qu’il se sentait bien grâce à ce travail de préparation. Et il a compris que plus il se préparait, plus il était performant sur les parquets. »
Mais LeBron James n’est pas arrivé en NBA avec cette routine. Elle s’est construite au fil du temps, même si Mike Mancias nous confie qu’elle lui est apparue essentielle beaucoup plus vite qu’à la plupart des joueurs.
« Avant ça, il n’avait pas vraiment de routine. Il s’étirait de lui-même mais il n’utilisait pas de glace, il faisait de la musculation peut-être une fois toutes les deux ou trois semaines. Il avait 19 ans, il avait des jambes fraîches, beaucoup d’énergie, il était déjà très costaud, c’était déjà un bon joueur mais après les matchs, il s’en allait. Il ne faisait pas de soins et donc c’était très intéressant de voir l’évolution de son programme. »
« À l’époque, il n’y avait donc qu’un seul préparateur par équipe. Maintenant, il y en a cinq ou six… »
Aujourd’hui, le préparateur physique du « King » sort un livre, « Game Plan – Ma méthode pour exceller sur la durée », évidemment préfacé par LeBron James, pour partager ses préceptes et ce qu’il a appris et développé durant ses vingt ans aux côtés de l’ailier de Team USA et des autres athlètes qu’il a pu côtoyer.
Dans une industrie qu’il a vu changer, et se professionnaliser.
« Au début, à Cleveland, j’étais un stagiaire et je ne faisais pas tous les voyages, seulement ceux qui duraient plusieurs jours. J’ai fait ça pendant un an puis Dan Gilbert a acheté l’équipe (en 2005) et il a demandé aux joueurs ce dont ils avaient besoin. Ils lui ont dit qu’ils voulaient deux préparateurs physiques à plein temps, parce qu’un seul ne suffisait pas. J’ai donc posé ma candidature pour le poste et je l’ai eu. À l’époque, il n’y avait donc qu’un seul préparateur par équipe. Maintenant, il y en a cinq ou six… »
Et si LeBron James a dit que Mike Mancias était la clé de sa longévité, et qu’il n’aurait jamais pu jouer aussi longtemps sans lui, l’intéressé tempère, mettant surtout en avant le flair du basketteur.
« Il s’est toujours entouré des bonnes personnes au bon moment. Il avait déjà des gens autour de lui, des vétérans qui connaissaient la NBA, avec Nike, qui le conseillait, qui lui disait de prendre soin de son corps. Et puis il faut être franc : Nike avait investi 100 millions de dollars sur ce gamin de 19 ans donc ils voulaient voir leur retour sur investissement. Et nos chemins se sont croisés au moment parfait. »
Comme Steve Kerr l’expliquait avec Stephen Curry, l’élément qui explique le mieux la longévité de LeBron James, selon Mike Mancias, c’est donc son attachement à sa routine physique.
« Il se met au défi de faire cette routine chaque jour de l’année. Car il y a un effet domino, sur ses performances lors des matchs. Donc il faut trouver des défis chaque jour pour faire cette routine, malgré la fatigue. Parce qu’on développe cette mentalité de relever des défis, même si ce sont des petits défis du quotidien. »
De son côté, le préparateur physique observe en permanence son poulain, pendant les matchs.
« J’ai assisté à la plupart de ses matchs, au premier rang, et je vois comment il se déplace, les coups qu’il prend. Donc quand on va dans la salle de musculation, je peux reproduire ça pour qu’il soit plus à l’aise dans ces mouvements spécifiques et face aux chocs auxquels il est confronté lorsqu’il est sur le terrain. »
Ces dernières années, il a ainsi adapté l’entraînement de LeBron James, pour davantage travailler les réflexes. À la manière des joueurs de tennis.
« Plus on vieillit, dans le sport ou dans la vie en général, et plus on perd les réflexes. On peut toujours aller vite mais les changements de rythme sont plus compliqués, et c’est une chose sur laquelle on travaille beaucoup ces dernières années. Sur le fait de continuer à aller vite, mais surtout à changer de direction plus vite. Tout en restant sous contrôle. Car plus on vieillit, plus on perd ce temps de réaction. Donc on fait beaucoup de travail sur la coordination oeil/main, sur le cerveau, du travail neuromusculaire avec des lumières, des objets à attraper. Mais aussi sur le fait de s’arrêter et redémarrer rapidement. » Visiblement, ça fonctionne plutôt pas mal…