Pour certains, c’était leur première fois à l’étranger. Avion, hôtel, des équipes venues des quatre coins du monde… « Comme des vrais professionnels, des joueurs ‘réels’ » en somme, formule Miloud Si Arab, capitaine de l’Equipe de France 2K, en ajoutant : « C’était tout nouveau pour nous, c’est assez impressionnant. Les Américains, eux, ont l’habitude de ce genre de compétition. »
À l’origine, 61 équipes étaient en lice, un record, avec des sessions de qualifications continentales dans sept zones, de grandes finales mondiales en Suède en novembre dernier…
Ce dispositif aux airs de Coupe du monde « classique », également porté par la FIBA, a un nom : eFIBA (dont c’était la deuxième saison). Soit le pendant e-sport des compétitions internationales.
Et les tricolores, malgré la pression de ce grand rendez-vous, une compétition en LAN (présentiel) rarement vue avec une telle envergure, ne sont pas passés à côté : un parcours jusqu’en finale, perdue face à la « Dream Team » américaine composée des meilleurs joueurs de la NBA 2K League. De quoi obtenir les félicitations de Jean-Pierre Siutat en personne : « Cette expérience inédite nous permet de positionner la France sur la scène e-sportive internationale en pleine croissance. »
Comprendre ce phénomène de société
Le président de la Fédération française voyait là un nouveau retour sur l’investissement engagé par l’institution basket. Retour en 2020, quand la FFBB s’empare du sujet en créant sa marque (FFBB Esports), en pleine épidémie de Covid, au moment où tout le basket amateur a été mis à l’arrêt. « Énormément de clubs ont mis des tournois 2K en place », se souvient Mathieu Chamiot, chargé de missions innovations à la Fédération, contacté par BasketUSA.
La Fédé, dont le cœur de métier est d’organiser des compétitions physiques sur terrain, sort de son cadre et cherche alors à comprendre ce « phénomène de société », « saisir ce qui se passe sur le territoire pour réussir à le ‘structurer’ »… Bien que « très divisée » aux yeux de la FFBB, la scène NBA 2K est déjà active en France, à travers HallofGame notamment.
Une première équipe nationale est montée et envoie un « signal à la scène 2K » avec une demi-finale lors du FIBA Esport Open 3, suivie d’une finale européenne lors de la première saison eFIBA (défaite au buzzer contre le rival turc). La FIBA décide ensuite d’organiser une compétition d’une autre ampleur, celle évoquée plus haut. La France, pour y faire bonne figure, doit se renouveler. Car certains joueurs, précédemment mobilisés, « ne continuent pas l’aventure, car ils ont besoin d’activités rémunérées », rapporte Mathieu Chamiot.
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Quid de la rémunération ?
La rémunération reste l’un des enjeux du développement de la pratique. Alors qu’un autre membre de l’équipe de France, Yacine Jemel, premier Français « drafté » en NBA 2K League, est rémunéré au sein de la très puissante ligue américaine, affiliée à la NBA, la réalité sur le Vieux Continent est tout autre. Affilié à l’équipe e-sport F9 Hetic basée à Montreuil, Miloud Si Arab (alias MiiLsO) ne touche par exemple pas de salaire.
Lorsqu’il évoluait au LDLC OL, lié à l’Olympique lyonnais, le trentenaire évoluait sous un statut de « semi-professionnel ». « On travaillait quand même à côté », rapporte l’ancien plombier, amateur de NBA, qui n’était pas du tout pratiquant de basket « réel ». Il dit avoir pu s’imaginer un avenir professionnel avec la structure lyonnaise. Mais l’aventure s’est arrêtée brutalement à l’été 2023, le club historique de l’e-sport ayant cessé ses activités.
Le capitaine de l’équipe nationale, qui a davantage eu un rôle de coach en Suède, ajoute : « Si j’en ai la possibilité (d’être pro), ce serait avec plaisir. Mais ça me paraît vraiment compliqué… » Ancien joueur dans plusieurs structures dont Nanterre Gaming, Maxime Lecat avait repris les rênes de l’Equipe de France 2K pour cette deuxième saison de l’eFIBA. Âgé de 29 ans, ce professeur des écoles basé à Paris n’a pas de contrat avec la Fédération.
« Même si à terme, c’est quelque qu’elle aimerait mettre en place, professionnaliser la scène et faire le pont entre le basket et 2K pour que les gars s’intéressent au sport. Et montrer que sur 2K, on fait de belles choses », lâche le sélectionneur qui n’est pas « choqué » et, au contraire, trouve « cool » que des amateurs de jeux vidéo découvrent le basket via 2K.
Après les finales suédoises, ses joueurs ont pu repartir avec un petit quelque chose. Le « cash-prize » de la compétition était de 50 000 €. Grâce à sa deuxième place, la France est repartie avec un peu plus de 12 000 €, une somme qui a été répartie entre tous les participants. Ce qui est toujours ça de pris pour eux, alors que selon Mathieu Chamiot, la Fédération dispose d’un budget de « quelques dizaines de milliers d’euros » pour le volet e-sport, pour soutenir notamment les finales du championnat de France. Une broutille à l’échelle du budget global (37 millions d’euros sur la saison 2019/20).
Le soutien de Sylvain Francisco
Ces enjeux pécuniaires n’ont pas empêché Maxime Lecat et ses hommes d’essayer « d’être pros » dans leur préparation de la compétition. Beaucoup de séances vidéos, observation des tendances de joueurs…
Coach de jeunes au niveau régional, dans le monde « réel », Maxime Lecat avait même préparé des « short chart » des joueurs affrontés. Il ajoute : « Il n’y a pas de prépa physique, mais c’est mental, l’approche d’une soirée de match, comment gérer notre frustration… »
Un peu comme l’équipe de France « classique » finalement. D’ailleurs, les joueurs ont été reçus au siège de la FFBB, qui vient de lancer une étude pour analyser les pratiques des fans de basket et les fans de jeux vidéo, avant d’aller en Suède. Chacun a dû signer l’équivalent d’une charte éthique. Autre « pont » symbolique existant entre les deux mondes, l’arrière tricolore Sylvain Francisco a eu un mot de soutien aux joueurs e-sport.
La suite ?
Et puis « quand on se retrouve en finale avec l’hymne, ça fait toujours quelque chose. Ça a beau n’être que du e-sport, c’est rendre fier pas mal de gens », formule Maxime Lecat. Reste que malgré le développement de l’e-sport, les protagonistes interrogés ont du mal à se projeter sur les années à venir.
« Ça va tellement vite… On est quand même dépendant de ce que peut permettre l’éditeur de jeu. Si demain 2K nous dit ‘C’est fini’, on n’aura pas d’autres de choix que d’accepter », re-situe le sélectionneur, selon qui le dynamisme actuel de la scène représente « une goutte d’eau dans la goutte d’eau » pour l’ultra-puissante NBA.
« On est tributaire d’un éditeur américain qui tient à son produit. On travaille avec eux sur certains aspects pour mettre en avant la Fédé. Mais on ne sait pas quelle ligne va être prise par l’éditeur pour se développer, si les Fédé peuvent commercialiser quelque chose. Il y a des compétitions internationales, on y participe de la meilleure manière possible. Malgré tout, on arrive à être performant. Et on structure autant qu’on peut », termine Mathieu Chamiot.