C’est désormais une tradition sur Basket USA : chaque été et chaque hiver, nous vous proposons la lecture de larges extraits d’un ouvrage de basket, soit pour vous distraire sur la plage (comme en ce moment), soit pour occuper les longues soirées au coin du feu.
Après Phil Jackson, Michael Jordan, Larry Bird, Magic Johnson, Allen Iverson et la « Dream Team », nous vous proposons de nous attaquer à un autre monument : Kobe Bryant, quintuple champion NBA qui a pris sa retraite il y a trois ans et qui attend toujours que les Lakers lui donnent un successeur.
Ce livre, « Showboat », est signé Roland Lazenby, l’auteur qui a rédigé la biographie fleuve de Michael Jordan.
Bonne lecture !
Première partie – Deuxième partie – Troisième partie – Quatrième partie – Cinquième partie – Sixième partie – Septième partie – Huitième partie
Ce qu’il fallait comprendre, bien entendu, c’était que Joe Bryant lui-même était un fan de Magic Johnson. Le grand meneur des Lakers représentait quelque chose que Bryant voulait désespérément incarner lui-même, quelque chose qui était désormais clairement hors de sa portée. À la fin de la saison, Joe a été envoyé chez les Houston Rockets avec un second tour de draft contre un autre second tour de draft. Interrogé en 1999 sur le temps qu’il avait passé avec Joe Bryant à San Diego, Bill Walton a répondu en souriant : « C’était un bon joueur mais disons les choses comme ceci : les coaches de NBA ne passaient pas des nuits blanches à se demander comment défendre sur Jelly Bean Bryant… »
Ce transfert signifiait qu’il passait d’une équipe de bas de tableau à une autre, ce dont il n’était pas conscient à l’époque. Il pensait qu’il allait se la couler douce dans l’équipe de Moses Malone. Les Rockets étaient coachés par Del Harris. Ils avaient été en Finales en 1981 mais pour la saison 1982-83, ils avaient prévu de perdre des matches pour acquérir la star de l’université de Virginie Ralph Sampson, avec un bon premier tour de draft. Moses Malone est parti chez les Sixers et Houston s’en est tenu à son plan une longue année durant.
Les Rockets ont fait naufrage, remportant 14 victoires pour 68 défaites, et Jelly Bean a coulé avec eux. Il a tourné à 10 points en 25.4 minutes, sur 81 matches. Le seul qu’il a manqué a fait les gros titres : il s’était fait plumer après une nuit de poker et n’avait même plus assez de monnaie pour prendre un taxi pour rejoindre le bus de l’équipe. Il a été dit que la solution contre une telle déconvenue venait de Pam. Elle lui aurait donné un petit peu plus d’argent que ce qui lui était d’ordinaire accordé par semaine : un billet de 5 dollars planqué au fond de sa chaussette en cas d’urgence de ce genre.
« Joe a gâché sa carrière »
Après cette saison, sa huitième en tant que professionnel, il était clair que plus personne en NBA ne voulait de Jelly Bean, même s’il n’avait que 28 ans et qu’il était dans ses meilleures années en tant que joueur. Bien plus tard, Jerry West ferait le commentaire suivant : « Il a gâché sa carrière. » Paul Westhead s’est toujours demandé pourquoi la star de son université n’était pas devenue un joueur de NBA respecté. Il pensait que cela avait commencé avec son surnom. Puis que cela avait été renforcé par son affaire de drogue. « Je ne sais pas comment il a hérité de ce surnom, a déclaré Westhead en 2015. C’est assez intéressant et pour être honnête, à mesure que sa carrière a avancé, bien après qu’il a quitté La Salle et intégré le basket pro, ce surnom, « Jelly Bean », pouvait être positif ou négatif, suivant qui vous étiez. »
Bob Ryan, qui couvrait la Ligue pour le « Boston Globe » à cette époque, était en accord avec Jerry West. Il a décrit dans l’une de ses colonnes Joe Bryant comme « un parfait rigolo des parquets ». C’était une opinion largement partagée. « Quand je pense à Joe Bryant, que les gens appellent « Jelly Bean », je vois un gars souriant, heureux, très mobile, qui fait des passes dans le dos, m’a dit Westhead. Certaines personnes en NBA pensent que c’est un problème. Pour moi, ça ne l’était pas mais je pense que d’une certaine façon, cela a eu pour effet que le public et les general managers l’ont vu comme étant trop fantaisiste. »
« Ça s’est dégradé pour lui, s’est souvenu son ami Mo Howard. Il était doué et ils ne le laissaient pas faire usage de ses dons. » « J’ai vu de loin comment ça se passait pour lui, j’entendais les commentaires des gens, m’a relaté Westhead. A tous ceux qui voulaient bien m’écouter, je disais : « Ce gars a beaucoup de qualités, beaucoup de talent. Il sait presque tout faire sur un terrain de basket. » J’avais toujours l’impression que personne ne le prenait au sérieux, que les gens pensaient que Joe n’était que le rigolo de service. »
Après la saison 1983, il a fini par quitter le basket et s’est mis à vendre des voitures pour le propriétaire des Rockets, Charlie Thomas. Au début, après cette vie entièrement consacrée au basket, Jelly Bean pensait qu’il aimerait le monde des affaires, le fait de parler à beaucoup de gens, de vendre des vans, des camions et des voitures. Mais le pays se trouvait dans une récession difficile ; les taux d’intérêt étaient hauts, les chiffres des ventes étaient bas. Joe Bryant n’avait aucun diplôme universitaire et pas de véritable identité autre que celle de basketteur.
Ce n’était vraiment pas une période facile pour les Bryant, alors que ceux-ci étaient revenus s’installer à Philadelphie. La seule chose que Joe avait – en dehors de la famille, que sa femme avait portée à bout de bras – était sa relation avec Sonny Hill. Il avait continué à jouer en Baker League, où il pouvait donner libre cours à ses talents de showman et où le public continuait de lui montrer son affection. De plus, il avait commencé à coacher en Sonny Hill League et il avait découvert qu’il adorait ça.
Partir en Europe ? Le plus dur est de convaincre Pam
Hill, quant à lui, avait un faible pour Bryant, en qui il voyait sa meilleure « success story ». Mais le lien était beaucoup plus profond que cela. Beaucoup de joueurs de ses ligues étaient encore jeunes et immatures. En prenant de l’âge, ils comprendraient combien Hill avait été important dans leurs vies et ils en viendraient à chérir leur expérience au sein de sa ligue. Jelly Bean, lui, a été l’un de ceux qui l’ont compris très tôt. Il savourait le temps qu’il passait dans les ligues de Hill. Sa présence chaque été ajoutait du poids à la ligue. Elle contribuait aussi à soutenir Hill lui-même, dans cette tâche très éprouvante consistant à faire en sorte que tout se passe bien.
Sonny Hill savait que Bryant avait encore beaucoup de choses à dire sur un terrain de basket. Aussi, il l’a encouragé à aller jouer en Europe. Il y avait de l’argent à se faire là-bas, disait-il à Joe. De bien des façons, c’était la dernière chose que Pam Bryant voulait entendre. Elle avait trimballé sa jeune progéniture de Philly à San Diego puis à Houston, tenant le ménage à bout de bras avec un mari absent, accaparé par la NBA. Et maintenant, il venait lui parler d’un déménagement en Europe ?
L’idée a pris des mois avant de se concrétiser. Pendant ce temps, ils ont vécu à Houston, où Joe essayait de vendre des voitures. Quand on lui a demandé plus tard ce qu’elle aimait à Houston, Pam a répondu de manière détournée : « Les chevaux. » Elle qui voulait donner une image parfaite de tout n’avait rien à dire au sujet de son expérience au Texas. Maintenant, Joe insistait pour partir en Italie. Ses enfants envisageaient déjà la difficulté qu’ils auraient à se faire des amis. Et le fait qu’ils devraient en changer après chaque déménagement…
Joe a mis en avant le fait que ce ne serait qu’une petite année, une opportunité de connaître un endroit différent. De plus, ils avaient besoin de cet argent. Les goûts de Pam étaient coûteux. Elle préférait rester dans leur jolie maison dans la banlieue chic de Philadelphie. « Elle ne voulait pas entendre parler de quitter une nouvelle fois Philly », s’est souvenu Joe. Mais elle a fini par accepter, à contrecœur.
Cet été 1984, avant qu’ils ne partent pour l’Italie, Kobe a regardé à la télé l’équipe olympique américaine se préparer pour les Jeux olympiques de Los Angeles. Sa préparation consistait en une série de matches contre des joueurs professionnels. C’était la première fois qu’il entendait parler de Michael Jordan. « C’était une équipe d’étudiants, s’est-il souvenu. Ils se préparaient pour les Jeux. Ils évoluaient contre une équipe de pros. Ce gars part en dribble en contre-attaque puis décolle – je pense que c’était face à Magic. Il s’est envolé et il a dunké devant Magic. Ce n’était pas censé arriver. Qui était ce jeune gars ? Je n’aimais pas ce gars car mon gars, c’était Magic. Je pense que c’est la première fois que je l’ai vu. »
Chapitre 8 – L’ITALIE
Le visage noir apparaît amusé, capturé avec un petit sourire en coin parmi un entourage de joueurs blancs, « caucasiens » comme disent les Américains, lors d’un camp d’été en Italie. Il est tout seul en bas à droite de la photo, devant deux rangées de visages italiens tout sourire. Ils sont plus vieux que lui mais comme semble l’indiquer son regard, le jeune Kobe Bryant sait qu’il est déjà un bien meilleur joueur que n’importe lequel d’entre eux ne le sera jamais. Au-dessus d’eux se tient le héros souriant Joe Bryant, l’invité vedette du camp, tête haute, le visage baigné de sa propre lumière.
Des amis de cette époque ont noté que contrairement à Jelly Bean, qui souriait tout le temps, Kobe était l’exact opposé, particulièrement lorsqu’il était sur un terrain. « Il avait toujours le visage grave, très sérieux quand il jouait, s’est souvenu Michella Rotella, un garçon plus âgé qui en décousait souvent avec le jeune Bryant sur un terrain du village de Ciriglio, dans la montagne toscane. Aucun sourire. Très déterminé. » « Il était toujours très sérieux pour tout ce qu’il faisait qui était lié au sport, avec beaucoup d’intensité », s’est souvenue sa sœur Sharia.
« L’esprit de Kobe n’était focalisé que sur une seule chose : gagner, gagner, gagner », m’a rapporté Jacomo Vittori, un autre ami d’enfance d’Italie. « Lorsqu’il avait 8 ans et que j’en avais 11, nous jouions dans la même ligue, se souvenait Sharia en 1999. Les autres enfants voulaient seulement jouer. Lui, c’était : « Je veux gagner. » Une fois, il ne restait que 30 secondes à jouer, on était à moins 2 et il disait : « Donne-moi la balle. » Je veux dire, il était à fond dedans. Il a toujours été comme ça. »
Il a dit que la première fois qu’il a réalisé qu’il pouvait prendre des matches à son compte, c’était « quand (il était) très jeune, vers 9 ou 10 ans. Je me produisais dans des ligues de jeunes. Quand le sort du match est en jeu et qu’on est au pied du mur, je pars au combat. Dans une telle situation, soit tu te bats, soit tu t’en vas. Et moi, je me suis toujours battu. »
Des années plus tard, aux yeux de ses coaches chez les Los Angeles Lakers, l’Italie apparaîtrait comme le lieu où il avait appris à ignorer ses coéquipiers moins talentueux et moins expérimentés pour ne compter que sur ses propres capacités. Quand il jouait de manière égoïste chez les Lakers, certains de ses coaches se disaient en aparté que Kobe Bryant était « reparti en Italie ». « Il était vraiment perso », s’est rappelé Jacomo Vittori, ajoutant que cet égoïsme venait du fait que Kobe était très largement meilleur que tous les autres joueurs. « Tout le monde le remarquait. C’était le seul enfant noir ici. Il était très doué. »
De l’élégance en toutes circonstances
C’est durant ces années de formation qu’il a commencé à montrer des traits de caractère qu’il partageait avec sa mère. Il était son petit garçon chéri et elle adorait le vêtir comme un petit homme très chic, dans des pulls et des habits très élégants, pas tellement comme un enfant mais plutôt comme un adulte miniature. Pam Bryant avait elle-même un certain maintien. Même lorsqu’il était tout petit, Kobe avait quelque chose de similaire dans ses manières. L’Italie et le fait d’être principalement élevé dans la culture européenne le façonneraient définitivement. Ils en feraient un homme différent, tout particulièrement au moment d’intégrer le basket pro américain.
Quand on lui a demandé quelle était l’influence de ces années d’apprentissage en Italie lorsqu’il a intégré la NBA, Bryant a répondu : « Je saute haut. Tout le reste est taillé à la mode italienne. » La mode italienne a bien réussi à toute la famille. Le jeu fantaisiste de Joe, avec ses feintes et ses passes dans le dos, tous ces trucs qui faisaient hurler le public de Philly, passait très bien en Italie. Il n’a fallu qu’un seul match à Joe pour se rendre compte qu’il pourrait gagner sa vie là-bas et bénéficier, de nouveau, de cette affection du public qui lui manquait tant. Bluffés par le maniement de balle de Joe, les Italiens n’avaient qu’un seul et unique mot à la bouche pour décrire son jeu : « Elégance. »
De fait, l’Italie s’est avérée être un endroit merveilleux pour la jeune famille de Joe Bryant, une force qui a rapproché tous ses membres. Dans le même temps, elle a renforcé d’autres choses, des choses qu’ils ne verraient pas sur le moment, des choses qui seraient difficiles à identifier et à comprendre parmi toutes les grandes passions qu’ils ont découvertes en Italie. Des choses qui ont jeté un froid dans leur vie. Des choses que le jeune Kobe Bean intégrerait pleinement et ferait siennes. Tout comme elle l’avait fait en Amérique, la famille Bryant a déménagé plusieurs fois en Italie, ce qui a contribué à établir l’aliénation comme une norme. Elle s’est imposée à Kobe toute sa vie durant. Enfant, il avait du mal à se faire des amis ; dès qu’il y parvenait, le temps était venu de leur dire « Ciao ».
Les Bryant se sont tout d’abord installés à Rieti. Kobe est allé à l’école quelques semaines après son sixième anniversaire. Sharia avait 8 ans, Shaya 7. Rieti est une petite ville antique située à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Rome. Elle est connue pour avoir été la patrie des Sabines, ces femmes qui ont été enlevées par la première génération de Romains pour peupler la Ville éternelle. Bordée par le Velino et un très beau lac, cette région montagneuse était devenue une sorte de retraite résidentielle, très prisée des papes.
Les Bryant s’y sentaient bien. Le club de Joe leur avait mis une maison et une voiture à disposition. Ils ne parlaient pas l’italien mais les enfants s’amusaient des après-midis entiers à l’apprendre, en jouant. En quelques mois, ils ont acquis un certain niveau de confort dans un monde complètement différent de celui qu’ils avaient laissé derrière eux. Cette expérience aurait pour effet de tisser des liens très forts dans le clan. « On se sentait très bien là-bas, s’est souvenu Kobe. C’était l’endroit idéal pour nous. C’est l’état d’esprit qu’on a développé en Italie. La base, c’est la famille. Quand vous avez ça, tout le reste est cool. Que vous marquiez 50 points ou 0, votre famille sera là. Les Italiens ressentent la même chose. Ce sont des gens chaleureux. »
Accompagner papa aux matches, la meilleure des écoles
Ainsi, sa famille est devenue le pilier de cette confiance que son père n’arrêtait pas de mettre en avant. Joe Bryant a expliqué plus tard qu’il avait toujours regretté son propre manque de confiance en lui, ajoutant que ses échecs venaient en partie de là. Il semblait déterminé à ce que son fils n’ait pas cette faiblesse. Ce qui a également développé la confiance de Kobe, c’est qu’il a été spectateur très jeune de nombreux matches, dont certains en déplacement. Il voyageait dans le bus de l’équipe, aux côtés de son papa. Chaque formation professionnelle avait sa propre équipe de jeunes ; évoluer dans cette équipe de jeunes et aller aux entraînements avec son père a rapidement jeté les bases de sa compréhension du jeu.
Rétrospectivement, son séjour en Italie a été la meilleure école de basket qu’on puisse imaginer. « J’ai commencé à pratiquer ce sport là-bas, m’a-t-il dit. C’était super parce que j’ai d’abord appris les fondamentaux. Je pense que la plupart des jeunes qui grandissent ici, en Amérique, apprennent d’abord les dribbles fantaisistes. En Italie, ils vous apprennent les fondamentaux, les vrais, et laissent de côté tout le nuisible. »
Encore une fois, il semblait avoir une conscience très aiguë de tout le « nuisible » qui avait causé la perte de son père. Certains coaches ont été en désaccord, plus tard, avec cela, affirmant que cette expérience avait apporté à Bryant cette capacité propre à se mettre à part, une forme d’isolement qui en faisait un coéquipier douteux. Pourtant, même ses détracteurs ne pouvaient nier la qualité et la précision de nombreux aspects de son jeu. « Je pense que c’est en Italie qu’il a acquis les bases, m’a indiqué Leon Douglas, coéquipier de Joe dans le championnat italien. Il pouvait jouer à tous les postes et se familiariser avec les subtilités de chaque position. »
Durant toute sa carrière, quand il a eu des lacunes dans un domaine, Bryant s’est employé pour les combler. Il faisait ce qui était nécessaire pour construire chaque élément de son arsenal. Avec un acharnement presque dément, autre fruit de son expérience italienne. En fait, il semblait ne jamais s’arrêter de travailler son basket, même à son plus jeune âge. Quand il ne jouait pas, il regardait des vidéos de stars de NBA. Et d’après Vittorio, qui a passé de nombreuses heures avec lui lorsqu’il était enfant, « Kobe voulait toujours jouer. Toujours. »
Durant les années suivantes, il a montré qu’il avait déjà développé une faculté de concentration et élaboré ce qu’il appellerait plus tard « le code ». Il savait depuis son plus jeune âge qu’il voulait être basketteur professionnel, ce qui voulait dire qu’il avait peu de temps à perdre dans la vie de tous les jours. Ce séjour en Italie s’est révélé essentiel pour faire de lui le joueur qu’il voulait être. Les gens étaient géniaux. L’ambiance était hyper détendue. Il y avait de la passion partout, des nombreuses cathédrales et chapelles de la Renaissance aux salles de basket, remplies de fans dansant et chantant.
« Je me suis attiré beaucoup d’ennuis en ouvrant trop ma bouche »
C’est à la fois cette expérience et l’insistance de Joe qui ont alimenté, chez Kobe, cette indéfectible confiance en soi. Cependant, en se développant, cette confiance l’a amené à mépriser encore plus ses coéquipiers. Dans les années qui ont suivi, certains de ses coéquipiers en Italie ont évoqué leur ressentiment. Ils avaient beaucoup à dire au sujet de son comportement à leur égard. Ils s’en sont plaints à l’époque, au point que ses coaches italiens ont commencé à l’écarter des matches pour que les autres joueurs puissent s’exprimer. « Je m’attirais beaucoup d’ennuis quand j’étais jeune, en ouvrant trop ma bouche. Je parlais, je parlais, je parlais, ce qui énervait encore plus les autres gars », s’est rappelé Kobe.
C’est au cours de ces premières années en Italie que les Bryant ont vu l’avenir de leur fils. Ils l’ont poussé dans cette voie. « Ils ont des mini-paniers pour les jeunes de 7 ans, expliquait Joe à l’époque. Un jour, l’équipe de Kobe a marqué 22 points et lui 16. Ils l’ont surclassé pour le faire évoluer avec les gamins de 10 ans et il les a dominés eux aussi. Il a une ceinture jaune de karaté. Et il a également pris des cours de danse. »
En tant qu’étrangers dans un pays étranger, les enfants Bryant et leurs parents ont appris à compter les uns sur les autres. « On s’adaptait à une autre culture, s’est souvenu Kobe. Ma famille et moi devions vraiment nous serrer les coudes. C’était comme arriver dans un autre monde. On ne connaissait personne là-bas. Tout ce qu’on avait, c’était nous. Dans ces conditions, vous devez être solidaire. Très solidaire. »
Ce changement culturel a lui aussi influé sur la vie de basketteur de Joe Bryant. Le football est le sport roi en Europe du Sud mais les Italiens se passionnent énormément pour leurs équipes de basket. Dans la Botte, chaque équipe n’avait droit qu’à deux Américains. Ces joueurs expatriés étaient généralement satisfaits de leur salaire et de leur situation. Le calendrier du championnat italien leur permettait d’avoir une vie de famille, contrairement au rouleau compresseur qu’est la NBA avec ses trois à cinq matches par semaine et ses déplacements incessants.
En Italie, l’accent était mis sur l’entraînement, généralement deux fois par jour, ce qui était impensable dans le basket pro américain. Il n’y avait qu’un seul match par semaine – presque toujours le dimanche –, dans une saison qui durait le plus souvent d’octobre à mai. « Je peux emmener les enfants à l’école et aller les chercher l’après-midi », déclara Joe au « Philadelphia Tribune ».
Une famille enfin épanouie
Jelly Bean s’était senti limité par la NBA. Là, c’était complètement différent. Il a rapidement pris la mesure de la compétition en Italie et c’est devenu une star tournant à 30 points par match (beaucoup d’Italiens qu’il affrontait avaient aux alentours de 18 ans). S’il avait envie de déployer son jeu flamboyant, « no problem ». Les fans chantaient des chansons en hommage à ses qualités. « Vous savez qui est meilleur que Magic ou Jabbar ?, disaient les paroles d’une chanson que Kobe a mémorisée en italien. C’est Joseph, Joseph Bryant ! »
A la fin de l’hiver 1986, Joe affichait une moyenne de 37.8 points à Rieti. Son plus grand fan était le petit garçon qui le suivait à l’entraînement presque tous les après-midis. « Il jouait avec un tel charisme !, s’est souvenu plus tard Kobe au sujet de la carrière de son père en Europe. Il m’a appris à prendre plaisir à jouer. » En plus de permettre à Joe de passer plus de temps avec ses enfants, ce déménagement a adouci sa relation avec Pam. Celle-ci s’est améliorée par rapport à sa vie antérieure. « Pam et moi passons plus de temps ensemble que lorsque j’étais en NBA, a confié Joe à un journaliste en 1986. Nous sommes les meilleurs amis du monde aujourd’hui. Nous sommes amis et amoureux. On s’entraîne ensemble et on fait du jogging ensemble. On court 8 à 10 bornes. Pam peut courir 13 à 16 kilomètres. On va peut-être faire une course l’année prochaine. Pam était très déçue de quitter Philadelphie mais elle s’est très bien adaptée à la vie en Italie. »
En plus de jouer au basket, Kobe et ses sœurs ont pris des cours de danse classique. Shaya aimait le karaté, presque autant que son frère. Ils sont allés à l’école catholique, dirigée par des sœurs très pragmatiques. Les enfants Bryant ont bénéficié d’un enseignement extraordinaire. « Les enfants parlent si bien qu’ils ont été interviewés à la télévision nationale, a déclaré Joe. Mon père devait leur rappeler de parler anglais ! Pam et moi avons appris l’italien cette saison. Je peux lire les pages Sport. Ils sont vraiment féroces envers les footballeurs qui font un mauvais match… »
Le football dominait le paysage italien, à tel point que les rares terrains de basket publics servaient aussi de petits terrains de football. Tout ce temps passé dans un pays étranger a commencé à renforcer la nature solitaire que Kobe partageait avec sa mère, une nature également confortée par son désir de shooter tout seul et de travailler son jeu. Lorsque des enfants italiens se présentaient pour jouer, Bryant partageait le terrain avec eux jusqu’à ce qu’un plus grand nombre arrive… et que cela soit suffisant pour imposer un match de football ! Il finissait alors par accepter de jouer au foot, sa grande taille et sa silhouette élancée se prêtant bien à une pige au poste de gardien de but. Certains feraient remarquer plus tard qu’il avait aussi les compétences requises pour devenir un grand buteur, ce qui reflétait à la fois la qualité de ses appuis et celle de son dribble.
À suivre…
Paru chez le même éditeur
Phil Jackson, « Un coach, onze titres NBA » (14 mai 2014)
Roland Lazenby, « Michael Jordan, The Life » (17 juin 2015)
Jack McCallum, « Dream Team » (8 juin 2016)
Kent Babb, « Allen Iverson, Not a game » (9 novembre 2016)
Jackie MacMullan, « Larry Bird-Magic Johnson, quand le jeu était à nous » (31 mai 2017)
Julien Müller et Anthony Saliou, « Top 50 : Les légendes de la NBA » (10 octobre 2018)
Marcus Thompson II, « Stephen Curry, Golden » (31 octobre 2018)
Julien Müller et Elvis Roquand, « Petit quiz basket » (28 novembre 2018)
George Eddy, « Mon histoire avec la NBA » (6 mars 2019)
Jackie MacMullan, « Shaq sans filtre » (3 juillet 2019)
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