La Scotiabank Arena est désormais habituée à ce ballet incessant. Finale NBA oblige, il a gagné en intensité. Dans les heures qui précédent le coup d’envoi, ils sont désormais des centaines de journalistes à multiplier les allers-retours entre le parquet et la « media room ». Chacun profite de cet avant-match pour récolter quelques informations de première main, au détour d’une conservation de couloir. L’un de ceux-là est particulièrement doué dans ce domaine : Shams Charania.
Dirigeant, membre de staff, confrère et joueur, y compris après une conférence de presse, le journaliste semble être dans l’échange quasi-permanent. On ne devient pas l’un des « insiders » les plus suivis de la galaxie NBA en restant dans son coin. Il vient de lâcher son smartphone, « scotché » à ses mains et oreilles, lorsqu’on lui demande comment il décrirait son travail à quelqu’un qui ne le connaît pas.
Élégant ensemble noir avec chemise blanche sur le dos, barbe et coiffure impeccables, il réfléchit puis lâche : « Je me considère d’abord comme un journaliste, un analyste NBA. Je suis en mesure de rapporter des informations, raconter des histoires et signer des chroniques pour The Athletic, ce qui est incroyable. Et je profite de Stadium, cette plateforme géniale de vidéos pour des interviews en solo avec Klay Thompson ou Kyrie Irving par exemple. »
« Le fait d’avoir démarré aussi tôt m’a aussi aidé »
Ni plus, ni moins. Modeste, l’homme qui flirte avec les 500 000 abonnés sur Twitter ? « Vous savez, pour moi ce travail, c’est le mix entre travailler dur et avoir de la chance. Tu dois être chanceux, avoir des ouvertures, j’en ai eu beaucoup durant toute ma vie. Le fait d’avoir démarré aussi tôt m’a aussi aidé. » C’est peu d’écrire que ce reporter de 25 ans (« j’ai le sentiment d’en avoir 35 ! ») a toujours eu un temps d’avance dans sa catégorie.
Retour en arrière, durant ses années lycée, quand il décide que, « reporter, agent ou dirigeant… », il fera carrière dans le monde NBA. Quoi de plus logique pour ce jeune homme qui passe une partie de ses journées, avec ses camarades de classe, à rafraichir les pages de RealGM et HoopsHype. À 17 ans, le natif de Chicago, dont les parents sont originaires du Pakistan, signe ses premiers récaps des matchs des Bulls pour un blog local. Peu importe si l’audience reste modeste, le jeune homme, déjà passionné par « cet aspect de l’industrie NBA » que sont les transferts, met la main dans l’engrenage.
Cette première expérience lui ouvre les portes de RealGM justement, dont l’éditeur Chris Reina est rapidement impressionné par l’éthique de travail et le professionnalisme affichés par le jeune homme : « Il avait dès le départ une vision très claire de sa carrière : devenir journaliste basket. » En marge de ses premiers pas dans la profession, il doit encore suivre son cursus en communication à l’université de Loyola, à Chicago.
Quitter son cours à cause… d’Anthony Bennett !
Malgré ses absences en cours, il tient à poursuivre l’école en parallèle de son activité professionnelle et de la voie royale qui semble s’y tracer. Quitte à vivre certaines situations cocasses. Un jour de septembre 2015 à l’université par exemple, il décide subitement de quitter la classe. L’explication ? Il vient d’apprendre qu’Anthony Bennett est coupé par les Wolves ! « Je suis sorti de classe vingt minutes« , racontait-il au Chicago Tribune, « et au moment de revenir, le professeur m’a regardé devant tout le monde, l’air de dire : ‘On va devoir parler après le cours’. Alors tu essayes d’expliquer la situation mais tu comprends leur vision aussi. »
Minnesota forward Anthony Bennett has reached agreement on a contract buyout, soon to free him on waivers, league sources tell Yahoo.
— Shams Charania (@ShamsCharania) September 22, 2015
Son autre souci lors de ses débuts, à son jeune âge, c’est la difficulté de s’accréditer pour les matchs. Chez les Bulls, pas question de délivrer le précieux sésame à un étudiant. Alors il contourne le problème… en rendant visite aux franchises voisines plus clémentes. Trois heures et demi de route pour aller à Indianapolis suivre les Pacers, ou bien une heure et demi vers Milwaukee et ses Bucks. Qui dit plus petits marchés dit moins d’attention médiatique, donc plus de faciliter pour y accéder. De toute façon, « être présent vaut toujours le coup », résume-t-il en référence à son interview solo avec Dwyane Wade, à seulement 18 ans, alors qu’il craignait de revenir bredouille.
Ainsi, pas à pas, il tisse son réseau. Les contacts et les informations s’accumulent. Sa clé pour nouer des relations avec ses futures sources ? « Être le plus honnête et juste possible. Traiter tout le monde de la même façon, avec respect et faire comprendre que c’est un échange. » Son jeune âge ? Ils sont finalement peu à le connaître, et qu’importe. « Si quelqu’un me le demande, je le dis », décrivait-il. « Mais ce n’est pas la première question qu’on pose dans la vie quotidienne, que ce soit par téléphone, email ou message. »
Fou de joie avec ses premières « breaking news »
Le jeune homme se fait sa réputation et commence à sortir ses premiers scoops. Sa toute première « breaking news » dont il a mémoire ? « Je crois que c’était la signature d’un contrat de 10 jours de Malcolm Thomas avec les Bulls », hésite-t-il. « Il y a eu aussi le contrat de 10 jours de Shavlik Randolph avec les Celtics. C’était énorme pour moi à l’époque, j’en sautais au plafond ! » Il en sourit car ces premières annonces autour de contrats mineurs, « D League, Euroleague ou Ligue chinoise », semblent désormais lointaines.
À chaque fois, le nombre de sources varient. Deux, trois, quatre. Parfois une seule suffit. « Cela dépend à qui tu parles », nous décrit-il sans vouloir en dévoiler davantage. « Je crois que beaucoup de journalistes balancent des choses basées sur des informations de troisième rang », juge Chris Reina, « alors que tout ce qu’il obtenait provenait de la source directe, le joueur en question, l’agent ou l’équipe. Et pas un gars des Celtics qui dit quelque chose à propos des Spurs. »
Adoubé par « Woj »
En décembre 2013, il signe sans doute son premier gros fait d’arme : le transfert de Luol Deng des Bulls vers les Cavs. Ce scoop lui permet d’être salué, le jour-même, par celui qui est déjà la référence en matière de « breaking news », un certain Adrian Wojnarowski.
https://twitter.com/wojespn/status/420442994236325889
« Tu es reconnu par tes pairs, des journalistes que j’ai admiré, Adrian Wojnarowski, Lee Jenkins, Brian Windhorst », décrivait-il au Chicago Tribune. En 2015, il commence à faire équipe avec « Woj » pour The Vertical, l’entité basket de Yahoo!, pour un duo de choc. Après plusieurs années de collaboration, le « père » finit par être recruté par ESPN, vers lequel il migre sans oublier d’adouber le « fils » : « Le meilleur jeune journaliste basket de la planète », selon lui.
Depuis, Shams a lui aussi changé de boutique et les deux hommes sont en concurrence féroce. Lorsqu’on lui demande comment il voit cette bataille du scoop à distance, il préfère ne pas s’étendre. Pas davantage d’ailleurs sur ce qu’il a pu apprendre de son ancien collègue. Le reporter veut écrire sa propre histoire.
BTW side note on NBA today – I'm loving this best of 7 matchup between Woj and Shams. Shams had a great summer, Woj absolutely dominated the trade deadline. Series tied at 1-1
— Brandon Sprague (@BrandonSprague) February 8, 2018
Demain, il sera peut-être le premier à annoncer le transfert d’Anthony Davis vers les Lakers, son « gros sujet » du moment. Cette hypothèse le fait sourire. « Quand tu annonces le transfert de Jimmy Butler à Philadelphie », prend-t-il en exemple, « tu es dans ce rush, dans cette adrénaline au moment de tweeter. Au final, le but est d’informer le public, les masses. Je veux être au courant de ce qui se passe dans la ligue autant que les fans. » Avec toujours un temps d’avance sur les autres, bien sûr.
À Toronto.