Assis face aux membres des médias, LeBron James récidive. Pour la quatrième fois des playoffs, sa mémoire eidétique laisse tout le monde bouche bée alors qu’il énumère avec une précision d’orfèvre ses six balles perdues dans la défaite des Cavs à Boston lors du Game 5 de la finale de la conférence Est. Si les prouesses des joueurs NBA tournent en boucle sur les écrans de toutes tailles, le rôle central joué par la mémoire est souvent oubliée.
Mettez-vous par exemple à la place de Draymond Green avant un match des NBA Finals. Vous devez vous rappeler le plan de jeu de votre équipe, les systèmes et les tendances de votre adversaire, et les erreurs faites lors de matchs précédents pour éviter de les répéter. Le tout dans une ambiance assourdissante avec 20 000 personnes qui vous crient dessus pendant 48 minutes pour le meilleur ou pour le pire.
Chris Paul : »En NBA, vous devez avoir la mémoire courte »
Cet aspect cérébral est donc essentiel mais peut également se retourner contre vous. Voulez-vous par exemple garder en tête vos tirs ratés ? Oui, si vous voulez améliorer votre sélection de tirs. Non, si vos échecs sapent votre moral. Il faut donc faire preuve d’une mémoire sélective ou, comme Chris Paul notait après la lourde défaite des Rockets face aux Warriors lors du Game 3 de la finale de la conférence Ouest, d’une mémoire courte.
« En NBA, vous devez avoir la mémoire courte. Vous ne pouvez pas penser aux pourcentages et à des choses de ce genre, » explique-t-il. « Quand vous jouez, vous savez que vous n’avez besoin que d’un tir pour relancer la machine. »
Pendant la même rencontre, Stephen Curry, jusqu’ici maladroit face aux Texans, nous a offert l’illustration parfaite des propos de son adversaire. Un tir à dix mètres sur la tête d’Eric Gordon lui avait servi de déclic pour enchainer quatre autres banderilles et finir avec 35 points. Après le match, le double MVP utilisa un mot pour expliquer comment il avait réussi à retrouver son adresse, « amnésie ».
Lors du Game 3 des Finals, après avoir raté ses neufs premières tentatives de loin, cette capacité à oublier lui a permis de ne pas tergiverser pour prendre et marquer un tir à 3-points capital avec deux minutes et 38 secondes à jouer.
Pour Steve Kerr, « c’est une vraie qualité et un test de votre volonté que d’être à 0 sur 10 et de mettre un tir aussi important. » Cette qualité n’est cependant pas innée. Nous sommes donc allés demander aux coéquipiers et aux entraineurs de Stephen Curry, comment arrive-t-il à atteindre cet état amnésique ?
« Il s’est construit un état d’esprit qui lui a permis d’atteindre la situation dans laquelle il est aujourd’hui, » explique Steve Kerr et cet état d’esprit est avant tout alimenté par une confiance à toute épreuve.
« C’est un peu de ce qui a dans vos gènes et beaucoup de travail mental. Jusqu’à quel point vous pouvez conditionner votre esprit à passer outre. Et Steph a toujours été un joueur confiant, » nous décrit Bruce Fraser, l’assistant coach qui travaille personnellement avec Curry depuis quatre ans.
Cette confiance n’est toutefois pas irrationnelle. Stephen Curry travaille inlassablement sur son tir, jour après jour. « Répétition, répétition, répétition, » martèle Shaun Livingston quand on aborde le sujet. Combien de fois avez-vous vu un clip de Stephen Curry marquant X nombres de tirs à 3-points de suite ou faire un absurde 92 sur 100 après l’entrainement ? Si certains exemples créent le buzz sur les réseaux sociaux, le meneur reste lui fidèle à sa routine avec ou sans caméra.
« Mentalement, c’est le top du top »
C’est pour cette raison que le doute ne s’immisce jamais dans son esprit et qu’il continue à tirer.
« C’est ce qui fait la différence entre les joueurs lambdas et les superstars, » continue Shaun Livingston. « Ils comprennent qu’ils peuvent avoir des jours sans mais c’est en insistant que vous retrouvez votre rythme et votre gestuelle. »
Bruce Fraser va lui plus loin en soulignant que Stephen Curry « n’arrête jamais de tirer même s’il est maladroit car il sait que ça va finir par tourner. » L’assistant, qui a notamment travaillé avec Steve Nash à Phoenix et qui s’occupe également de Kevin Durant, n’a jamais vu un joueur avec un mental aussi solide.
« Tous ces grands joueurs sont vraiment costauds mentalement. On ne peut pas être à ce niveau sans l’être, » concède-t-il. « Et même chez les meilleurs, il y a différents niveaux mais un gars comme Steph, mentalement, c’est le top du top. »
Si Stephen Curry s’est forgé ce mental d’acier depuis le plus jeune âge, alors que son frêle physique ne lui permettait pas de dominer, il a également dû continuer à progresser une fois arrivé en NBA. Privé de son adresse lors du dernier match, il s’est par exemple mis au service du collectif. Il a pris cinq rebonds importants et délivré six passes décisives tout en minimisant ses pertes de balles.
Depuis les premières Finals en 2015 jusqu’à celles de cette année, Bruce Fraser a été le témoin de l’évolution de son protégé.
« Il a progressé en particulier en maturité et grâce à l’expérience engrangée, » détaille-t-il. Par maturité, j’entends juste son âge. Il a pris de la bouteille et ça l’a aidé. Expérience car il a maintenant participé à quatre finales et a joué dans de gros, gros matchs où il a dû surmonter des moments difficiles. Il a vraiment amélioré cet aspect de son jeu. »
Derrière le double MVP, Quinn Cook est lui aux antipodes de son illustre ainé. Dans sa première réelle saison NBA, le MVP 2017 de la G-League tourne à 44% à 3-points mais une fois propulsé sur le devant de la scène, après la blessure de Curry, il a toutefois alterné le bon et le moins bon.
Lors du Game 5 de la finale de conférence, il a même eu l’occasion de tuer le match à 40 secondes du buzzer mais a raté le tir le plus important de sa carrière, finissant la rencontre à 0 sur 3 de loin. Cette situation lui a servi de leçon pour prendre encore plus conscience de la difficulté d’avoir une mémoire courte quand l’enjeu est aussi élevé.
« C’est quelque chose que vous développez avec le temps, » explique-t-il. « J’ai toujours su que je ne jouais pas bien quand je suis frustré ou quand je doute mais c’est vraiment quand j’ai commencé à jouer avec des gars plus forts et plus âgés que moi que j’ai appris qu’il fallait oublier et passer à autre chose. Prendre le même tir avec la même confiance car tu sais le boulot que tu as fourni donc il n’y a aucune raison de ne pas avoir confiance en soi. Et puis pour Steph, en plus de ça, il sait qu’il est le meilleur shooteur de l’histoire. S’il en rate deux de suite, il sait qu’il peut en mettre dix de suite. Quoi qu’il arrive, il tire toujours avec la même confiance. »
Mercredi soir, il était à 2 sur 15 aux tirs…. La suite, vous la connaissez. Stephen Curry, lui, a déjà oublié.
Propos recueillis à Oakland et Cleveland.