À Los Angeles, Fabrice Gautier n’est pas le seul Français à fournir ses services aux Clippers : Doris Martel est employée à plein temps par la franchise de Steve Ballmer. Au sein du staff médical, elle accomplit un travail thérapeutique à base de massages techniques pour aider la prévention des blessures, l’amélioration des performances et la récupération des joueurs.
Originaire du Val de Marne, elle s’est exilée depuis plusieurs années dans la Cité des Anges. Son parcours n’a rien de classique et sa nature, humble et discrète, dissimule une personnalité qui s’est accrochée pour vivre son rêve. Au détour d’un hot dog végétarien avalé rapidement après sa mission d’avant-match pour l’équipe, elle nous reçoit à quelques minutes du coup d’envoi pour nous conter son aventure.
Racontez-nous votre parcours avant votre arrivée à Los Angeles ?
Il n’a rien à voir avec ce que je fais aujourd’hui. J’étais gymnaste rythmique, j’ai fait un peu de haut niveau, je suis passée par le sport études, puis j’ai fait une maîtrise en communication et médiation culturelle avec une spécialité dans l’art. Rien à voir, donc. Mais j’ai toujours eu un rapport avec la danse, le corps, les muscles, etc…
De fait, comment vous êtes-vous orientée vers une discipline médicale ?
Quand je suis arrivée à L.A., j’ai fait pas mal de petits boulots dans la danse, etc… Et en fait, je me suis blessée au genou et on m’a conseillé un espèce de gourou, de magicien, c’était comme ça qu’on le voyait à l’époque. En trois jours, il m’a remis en place et de fait, j’ai voulu apprendre. C’était lui le déclencheur. J’ai repris mes études. J’étais venue un peu sans le sou et les études sont extrêmement chères ici, aux États-Unis. J’ai donc pris des cours de kiné mais en auditeur libre. Pendant trois ans, j’ai pris ces leçons et pour pouvoir pratiquer, j’ai juste passé une certification en massage-thérapie. À l’époque, c’était 125 heures, ce n’est pas énorme alors qu’aujourd’hui, je crois que cela nécessite 500 heures. Cela m’a permis de travailler.
Les Clippers au hasard de multiples rencontres
Pourquoi avoir choisi Los Angeles ?
J’avais envie de partir loin et dans une ville ensoleillée. J’avais des amis ici. Cela fait douze ans. La première fois que je suis venue à Los Angeles, c’était pour des vacances et j’avais kiffé. Je voulais à tout prix y revenir. Je suis revenue sans vraiment savoir ce que j’allais faire mais je voulais apprendre la langue, grandir et prendre la maturité ici. Finalement, j’ai trouvé une niche et je suis restée.
Justement, cette niche se trouve dans le basket. Comment avez-vous intégré ce milieu ?
Il y a plusieurs personnes qui m’ont aidé à rentrer dans le secteur. Le premier, c’est Marko Yrjövuori, un Finnois thérapeute des Lakers. Il avait un camp d’intersaison et j’ai commencé à travailler avec lui et rencontrer les joueurs. De là, j’ai rencontré Ronny (Turiaf), à l’époque aux Clippers. J’ai aussi rencontré le General Manager des Hornets, Dell Demps, à l’époque où la franchise résidait à la Nouvelle Orléans. Il avait entendu parler de moi. J’avais aussi travaillé avec Memphis pendant les playoffs, l’année où ils battent les Clippers (au premier tour, en 2013). Quand mon nom est arrivé aux oreilles de Jasen Powell (athletic trainer des Clippers, également à l’origine de la collaboration entre la franchise et Fabrice Gautier), il a souhaité me rencontrer et c’est de cette manière que j’ai commencé à travailler plus régulièrement.
À la base, vous étiez gymnaste, vous aviez une maîtrise en médiation culturelle. Étiez-vous aussi une fan de basket ?
C’est marrant, en fait, je n’y connaissais pas grand chose en basket et je me suis fait une culture petit à petit. Étrangement, j’ai toujours eu des petits amis dans le basket, donc je connaissais un peu mais ce n’était pas vraiment le sport dans lequel je voulais travailler. Je faisais simplement des recherches pour savoir qui pouvait embaucher au sein des équipes professionnelles de Los Angeles, que ce soit en basket, au hockey, etc… Je suis un peu rentrée par hasard, finalement.
Au final, depuis quand travaillez-vous pour les Clippers ?
C’est ma quatrième saison. Cela se passe très bien. Évidemment, au début, c’est toujours un peu difficile de trouver sa place. Je ne parlais pas forcément très bien la langue mais en fait, il ne s’agit pas vraiment d’une barrière de la langue mais plutôt de culture. Ils ont aussi un anglais un peu « swaggy », avec de l’argot, et c’était un peu difficile pour moi de le décoder au début. Eux ne me comprenaient pas forcément non plus. Je devais souvent me répéter. La première année était donc un peu difficile, d’autant qu’ils devaient aussi s’habituer à voir une nana constamment dans les vestiaires. Aujourd’hui, tout va bien, je fais partie de la famille.
« Un rôle maternel, parfois proche d’un psy »
Vous avez connu les deux propriétaires des Clippers : Donald Sterling et Steve Ballmer. Avez-vous ressenti une différence depuis l’arrivée de ce dernier ?
En fait, les propriétaires, on ne les voit pas forcément beaucoup. La première fois que j’ai rencontré Donald Sterling, c’était pendant les playoffs et mon supérieur hiérarchique m’avait conseillé de ne pas trop lui parler et de garder mes distances. Ça s’est donc résumé à des « Bonjour, au revoir », je n’ai pas vraiment eu d’interaction avec lui. Steve Ballmer est un peu plus présent, il continue tout le monde et ça m’est arrivé de rentrer dans le Staples Center, qu’il me voit de loin et m’interpelle par un « Hey, Doris ! Comment ça va ? » Il est assez incroyable, en fait.
Comme Fabrice Gautier dans l’ostéopathie, vous êtes physiquement très proches des joueurs. Est-ce que cela amène à créer des liens ? Quel est votre rapport avec eux ?
J’ai plutôt une relation de maman, en fait. Surtout depuis la première saison, une fois qu’ils ont passé le cap des tentatives de séduction. J’ai dix ans de plus qu’eux et ils ont bien compris que j’étais là pour travailler. J’ai plutôt ce rôle maternel, qui les rassure, de confidente, parfois proche d’un psy. Je passe des heures avec eux et c’est vrai qu’ils peuvent me raconter ce qu’il se passe chez eux, leurs sentiments vis à vis de leurs niveaux de performance. Oui, c’est un peu comme une relation familiale.
Par quel terme doit-on vous qualifier : masseuse ou thérapeute ?
Je ne suis pas masseuse. Quand on utilise ce terme, on pense aux massages relaxants et ce n’est pas du tout ce que je fais. J’emprunte aux techniques des kinés, des ostéos, des chiropracteurs. Je ne fais pas vraiment de massages, disons qu’il s’agit de thérapie neuro-musculaire.
Comment ce travail thérapeutique affecte t-il leur équilibre, physique ou émotionnel ?
Il n’y a pas vraiment d’impact sur leur état émotionnel car tout ce que je fais est très technique. Le travail que je fais leur permet d’améliorer leurs performances : de courir plus vite, sauter plus haut ou encore d’avoir un shoot plus précis.
« L’une des équipes qui offre le plus aux joueurs en terme de staff médical »
Pour que l’on puisse se faire une idée, de quelle manière cela a t-il une influence sur leurs performances ?
Pour donner un exemple, un joueur qui ne manque jamais sa préparation d’avant-match, c’est Jamal Crawford. Il a réalisé que cela lui permettait d’être plus précis et sur un joueur comme lui qui shoote beaucoup, tu as certains muscles qui travaillent beaucoup dans la levée de bras et avec la répétition des mouvements, ils deviennent plus tendus, peuvent développer du tissu cicatriciel et de fait, ils perdent un peu de la souplesse et de l’amplitude du mouvement. À force de shooter, le bras peut se bloquer à un certain niveau. Le fait de travailler sur le muscle, les nerfs et les ligaments permet de retrouver un mouvement neutre à même de lui offrir plus de confort au moment du shoot ou de ne pas compenser avec le reste du corps.
Quelle importance a l’équipe médicale au sein des Clippers ?
En fait, on est l’une des équipes qui offre le plus aux joueurs en termes de staff médical. Il n’y a pas beaucoup d’équipes qui ont, comme nous, un entraîneur en chef, un assistant à plein temps, je suis à plein temps. On a aussi un chiropracteur. De temps en temps, on bosse avec Fabrice (Gautier). On a deux stagiaires. Donc, on a une grosse équipe et les joueurs voient la différence.
Est-ce que les joueurs ont rapidement compris l’intérêt de ce travail pour eux ?
Ils ont l’habitude car il y avait quelqu’un avant moi et qui est parti.Il y a des joueurs qui arrivent d’une autre équipe et en pré-saison, ils disent ne pas avoir besoin de nos soins. Cela peut me prendre toute la pré-saison de préparer un joueur qui n’a jamais eu l’habitude d’être touché pour qu’il comprenne qu’il y a un réel impact sur son jeu, sur la prévention des blessures et sur sa longévité. Or, par exemple, il y a des joueurs qui se sont fait une entorse et le fait d’avoir travaillé régulièrement sur un problème au niveau de certains muscles, cela permet de souffrir seulement d’une entorse de niveau 1, plutôt que de niveaux 2 ou 3. Quand ils finissent par le comprendre, ils adhèrent.
« Le joueur dont je suis le plus proche ? Sûrement DeAndre »
Comment se décompose l’une de votre journée-type ?
Lors d’une journée de match comme celle-ci (face aux Pacers), ils arrivent le matin et j’ai un plan pour chaque joueur. Ils sont tous différents, ils ont chacun leurs propres problèmes et je bosse donc avec plusieurs joueurs le matin. Après, ils vont voir la personne qui s’occupe du renforcement musculaire (strength conditioning), ils reviennent vers moi puis vont shooter. Après, je reprends mon premier joueur vers 15h et je continue jusqu’à 18h (ce jour-ci, le match débute à 18h30). Ensuite, cela dépend des besoins des joueurs : soit je reste après le match et on fait de la récupération, ou je retourne comme aujourd’hui au centre d’entraînement pour préparer les bains et certains joueurs reviennent car ils ont besoin d’une attention particulière.
Il y a t-il des joueurs plus rigoureux que d’autres dans leur travail de préparation, de conditionnement ?
C’est vrai qu’il y a des joueurs plus sérieux que d’autres. En tout cas, les joueurs un peu plus âgés connaissent leurs corps et savent exactement ce dont ils ont besoin pour pouvoir être opérationnels sur le terrain. Les vétérans ou les joueurs avec plus d’expérience, comme Chris Paul, Blake (Griffin), Jamal Crawford ou DeAndre (Jordan), sont hyper sérieux et ils se rendent compte en travaillant avec nous qu’ils en ont besoin pour pouvoir avancer.
De quel joueur êtes-vous le plus proche ?
Sûrement DeAndre. Je pense que c’est avec lui dont je suis le plus proche car depuis que je suis là, ces quatre dernières années, j’ai vraiment vu une évolution, que ce soit dans sa vie privée ou sur le terrain, où il a gagné en maturité. C’est vrai que c’est un joueur avec qui j’ai beaucoup discuté et travaillé. Mais j’ai une relation différente avec tout le monde.
La jeunesse face à ses rêves : « Il n’y a pas de barrière »
Nous sommes à Los Angeles et même si vous travaillez pour les Clippers, je me dois de poser la question : Lakers ou Clippers ?
Clippers, évidemment ! Mais en fait, à la base, je n’étais fan de rien. Au début, j’ai travaillé avec Marco qui bossait pour les Lakers au début mais cela ne faisait pas spécialement de moi une fan de la franchise. J’aime bien les Clippers parce que j’ai connu un peu les Lakers et ici, c’est un peu plus familial, les gens sont plus à l’écoute, c’est un peu moins strass et paillettes. Les enfants des joueurs viennent de temps en temps, c’est une atmosphère un peu plus authentique que les Lakers, qui sont un peu plus « Hollywood ».
Quelle est la suite pour vous ? Envisagez-vous de poursuivre ici avec les Clippers ?
Pour le moment, je suis là. Je n’ai pas de proposition en France ou à l’étranger donc, pour le moment, tant que j’ai du travail ici, je reste. J’ai été démarchée par d’autres équipes mais j’aime bien mon équipe, j’aime mon boss et la manière dont je suis traitée. Je suis respectée, ici. Donc, pour le moment, je suis là. S’il y a d’autres opportunités qui se présentent, on verra.
Même si vous n’êtes pas initialement une fan de basket, avez-vous conscience que votre histoire et votre parcours au sein d’une franchise NBA peuvent susciter l’admiration sur le sol français ?
Oui, oui. J’avoue que lorsque je suis arrivée, les joueurs ne représentaient rien de particulier pour moi. Je n’ai pas eu ce rapport d’admiration avec eux. Mais le fait d’être des banlieues, de partir dans un pays dont je ne parlais pas forcément la langue, de ne pas avoir le « background » pour travailler dans cette atmosphère, d’être une femme, d’être noire… c’est vrai que je commence à m’en rendre compte. Mais au début, j’étais simplement là pour bosser et je ne comprenais pas forcément ce que cela pouvait représenter. Au bout du compte, je pense que c’est une bonne image à donner pour les jeunes en France. Cela démontre que, quels que soient leurs objectifs, ils peuvent faire ce qu’ils veulent : il n’y a pas forcément de barrière. Je n’ai pas forcément été loin à l’école mais j’ai travaillé dur pour y arriver et c’est possible. Ce n’est pas parce que je n’ai pas de Bac S que je ne peux pas faire un métier dans le milieu médical. En fait, le problème, c’est qu’en France, on nous pose un peu trop de barrières et si je peux apporter une vision d’espoir et d’optimisme, si cela peut inspirer les jeunes, surtout les jeunes de cité, à accomplir leur rêve, c’est très bien.
Propos recueillis à Los Angeles
En janvier prochain, Doris Martel lancera un site nourri de conseils pour corriger sa posture ou lutter contre les maux quotidiens. L’adresse à noter ? www.triphysical.com