On pourrait gloser à l’infini sur cette série entre Warriors et Thunder. De fait, il semblerait qu’il y ait eu mille moments différents où la série a basculé d’un côté puis de l’autre.
Est-ce quand Russell Westbrook a rigolé à l’évocation de la défense suspecte de Stephen Curry ? Est-ce quand Draymond Green a réchappé de justesse au glaive de la justice NBA ? Est-ce quand Klay Thompson a littéralement pris feu au match 6 ? Est-ce quand Kevin Durant et Russell Westbrook ont sabordé le jeu collectif du Thunder pour jouer les héros solitaires ? Est-ce quand Andrew Bogut est sorti de sa léthargie ? Il y en aurait des lignes entières…
Arrogance contre sérénité
Non, selon moi, la série s’est jouée sur une chose simple : l’attitude. Discrets et concentrés en début de série, les joueurs du Thunder ont peu à peu laissé leurs émotions prendre le meilleur sur eux. Les réactions énervées (et énervantes) de Durant et Westbrook après les matchs 5 et 6 en disaient long sur leur impatience et leur incapacité à gérer la pression d’un tel moment.
Plusieurs fois passés à quelques minutes de renverser les champions en titre, les joueurs du Thunder ont fini par péter les plombs, victimes des averses de trois points qui leur sont tombées sur le coin du nez. Mais il faut se mettre à leur place. C’est passablement énervant de faire du bon boulot pendant plusieurs minutes avant de voir tous ses efforts réduits à néant en quelques shoots catapultés de loin (malgré une bonne défense, pour ajouter à l’affront). Et à force, ça use, ça irrite, ça crève…
Et il faut bien là reconnaître la supériorité des Warriors. Leur style de jeu atypique, et les séries explosives qu’ils peuvent poser en attaque, sont carrément désarmantes, pour ne pas dire décourageantes. Deux ou trois possessions mal gérées, quelques erreurs à la filée pour le Thunder, et hop, les Warriors peuvent passer de -8 à +2. En un éclair (avec mauvais jeu de mot), le Thunder s’est précisément fait assassiner à plusieurs reprises, notamment sur les matchs 6 et 7.
Outre la pression immanente à une finale de conférence, cette autre pression (la peur de l’éclat) a donc fini par user les nerfs du Thunder. A l’opposé, les Warriors ont eux dégagé une sérénité de plus en plus manifeste à mesure que la série avançait. Une preuve inexpugnable de l’expérience emmagasinée par ces Warriors lors de leur titre l’an passé. A part pour Draymond Green qui est le chien fou du groupe, l’électron libre qui permet de ne pas tourner en rond (mais qui a fini par se taire), les joueurs cadres des Warriors sont des calmes.
Un triumvirat de sagesse
Leader de la bande, Stephen Curry est un grand cérébral. Longtemps brisé par les blessures, le meneur en cristal, désormais double MVP, a su inverser complètement la trame narrative de sa carrière. Et il l’a fait en se réinventant mentalement avant de se transformer physiquement. Le déficit du 3-1 ne lui a jamais fait peur. Et lui, comme son coach Steve Kerr, ont alors commencé à entonner les notions de plaisir et d’opportunité à tire-larigot. Un moyen sûr de dégoupiller et de se donner le beau rôle : celui de l’équipe rendue humble par la défaite… mais toujours prête pour relever un défi.
Klay Thompson est lui aussi connu pour son flegme, son adoration pour l’univers d’Harry Potter, et son goût très casanier pour les plaisirs simples de la vie, dont son compagnon canin et câlin. Taiseux et discret, l’arrière des Warriors a été tout simplement exceptionnel sur la fin de série. Sans déclaration fracassante, sans trash talking, sans geste déplacé, Thompson a réussi à surmonter ses propres difficultés personnelles pour finir en trombe, et sauver son équipe tout simplement.
Avec Steve Kerr pour compléter cette triade de Grands Sages (et non de « petits singes »), les Warriors ont toujours gardé les pieds sur terre. Sans un mot plus haut que l’autre. Un temps menacée, leur saison historique l’est devenue plus encore avec cette issue heureuse et ce nouvel accessit en finale NBA, et après le déroulement rocambolesque de cette finale de conférence Ouest imprévisible et fascinante jusqu’au bout.
S’il y a bien une leçon à retenir pour Oklahoma City, c’est de rester plus fidèle encore au plan de jeu ébauché par le coaching staff. Malgré les hauts et les bas, les Warriors ont continué de faire confiance à leur système de jeu, au mouvement du ballon prôné inlassablement par Steve Kerr à chaque temps mort. Dans le début de match calamiteux des Warriors hier soir, dont un 0/7 pour Thompson, Kerr martelait encore de garder confiance, de continuer à se passer la balle, « on va finir par trouver notre rythme » scandait-il dans la tempête. Il parlait même de « groove ».
En gardant le cap, les Warriors sont arrivés à destination. A l’inverse, en s’en écartant, le Thunder s’est lui perdu en chemin.
Seule la victoire fait le grand joueur
Et le pire dans l’histoire, c’est que les stars du Thunder s’en sont écartés, presque malgré eux, « à cause » de leurs qualités individuelles (mais aussi de leurs mauvaises habitudes). Kevin Durant et Russell Westbrook ont encore payé très cher leur pêché d’orgueil. Le Thunder injouable des matchs 3 et 4 s’est effectivement fissuré, dans l’attitude comme dans le jeu, en voulant battre les Warriors dans la prise de risque offensive. En pensant que les individualités primeraient sur le collectif… Mais ça ne marche pas comme ça !
Par exemple, une pénétration dans le désordre de Westbrook, qui ne savait pas ce qu’il allait faire avant de se lancer à l’assaut de la peinture adverse, c’est une prise de risque non calculée. Ça sort du plan de jeu. A l’inverse, un tir en première intention dans le coin de Klay, ou un tir à trois points de Curry (car il vient de récupérer un autre défenseur sur le dos), c’est tout bon, car ça fait partie du plan de jeu. C’est un risque calculé.
Si toutes les superstars NBA se croient supérieures les unes aux autres, et qu’il en sera ainsi pour de nombreuses générations (et tant mieux dans le fond), Durant et Westbrook se sont tout de même pris une leçon de réalisme de la part des « Splash Bros ». Ils ont pouffé en conf’ de presse, mais ce sont Curry et Thompson qui ont maintenant la banane. Et tout part de la discipline. Aussi forts soient-ils individuellement, Durant et Westbrook doivent accepter de rester dans une discipline de jeu. Peut-être moins talentueux, Thompson et Curry l’ont à nouveau prouvé en faisant confiance à leur équipe, à leurs coachs, à leur philosophie.
A voir un Durant énervé et agité sur le banc hier soir (calmé par l’assistant coach Mark Bryant), puis rapidement remis sur le terrain pour ne pas faire de vagues, on peut comprendre la difficulté qu’avait un Scott Brooks à maîtriser ces pur-sang… ces egos… Le Thunder a encore tant à apprendre, mais avec coach Donovan, il pourrait bien revenir à l’essentiel.
« Qu’est-ce qui va me rester ? Les habitudes qu’on a pu construire sur ces playoffs. » explique Billy Donovan. « On doit continuer à travailler là-dessus. »
Être sûr de ses qualités est une chose, mais les mettre au profit d’une cause commune, et donc faire des sacrifices, c’en est une autre. Aucune individualité ne doit dépasser le collectif, et les Warriors l’ont bien compris. Les stars du Thunder peuvent se gausser, s’auto-congratuler et, au fond, se rassurer sur leur propre statut dans la ligue avec leurs récompenses individuelles. Mais ils n’ont toujours pas réussi à faire gagner leur équipe. Seule la victoire fait le grand joueur.
Pretty much this entire series in one 7-second video. pic.twitter.com/aDZsuXPqzM
— Rachel Nichols (@Rachel__Nichols) May 31, 2016