Avant d’être immortalisé par Shawn Kemp dans les années 1990, le numéro 40 des Sonics avait été porté par un autre joueur talentueux, un certain John Brisker.
Un joueur au destin unique et tragique, entre révoltes raciales à l’Université de Toledo dans les Etats-Unis des années Martin Luther King, le succès et la belle vie de All-Star en ABA, et une fin mystérieuse qui confine au mythique dans l’Ouganda du dictateur Amin Dada.
Double All-Star en ABA mais joueur lambda vite disparu des radars, après seulement trois saisons en NBA, à Seattle, John Brisker est une des plus grosses énigmes de l’histoire.
Misère et frustrations dès l’enfance
Joueur star de son lycée, la Hamtramck High School dans la banlieue de Detroit, avec 24 points et 20 rebonds de moyenne (en 1965), aux côtés d’un certain Rudy Tomjanovich, le jeune Brisker n’a pourtant pas la vie facile dès l’enfance. Avec sa mère devenue hémiplégique suite à un AVC, il doit grandir plus vite que ses petits camarades. Sans en avoir les moyens…
« On a déménagé quinze à vingt fois quand j’étais gamin. Parce qu’on ne pouvait pas payer le loyer… Je vivais dans une cité quand j’étais au lycée. Beaucoup de choses me frustraient et j’allais les exprimer dehors en allant shooter le ballon. »
Révolté de nature par ce parcours du combattant, (il travaillait dans un lave-auto à l’âge de 11 ans, avant d’être concierge jusqu’à ses 18 ans), le jeune homme se console en jouant du jazz avec sa trompette, qu’il apprend à maîtriser dès le CM1. Ambitionnant une école de la conférence Big Ten, John Brisker doit finalement se contenter de la fac de Toledo en 1965.
« Toledo m’a fait la meilleure offre. Ils m’ont donné une voiture, un appartement et une garde-robe. J’ai juste demandé où il fallait que je signe ! Je m’en fichais de quelle école c’était. Mais quand je suis arrivé là-bas, j’avais des gens qui étaient contre moi à cause de ma couleur de peau. Je n’avais jamais expérimenté de préjudice comme ça dans ma vie. J’ai commencé à me poser des questions. Et je n’y obtenais aucune réponse… J’ai changé. Je suis devenu hostile car je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais pas aussi appartenir à ce monde-là. Je me le demande toujours. »
Privé de jeu pour sa première année, bien qu’il domine l’équipe première aux entraînements, John Brisker va se démultiplier pour canaliser « sa violence ». Artiste réprimé sur les planches, l’étudiant se venge en évoluant au poste de « tight end » pour l’équipe de football, s’essayant même au tuba pour la fanfare !
Boule d’énergie qui se transforme en usine à basket sur le terrain, cet ailier aux épaules de déménageur fait du dégât avec 14 points et 8 rebonds rebonds de moyenne pour ses saisons sophomore et junior. Mais le sort s’acharne à nouveau contre lui dans son année senior, en 1968 quand, après un entraînement raté, John Brisker se fait carrément exclure de l’équipe, son université le déclarant soudainement inéligible pour la fin de saison.
Mis ainsi hors-circuit, il attire pourtant les convoitises d’équipes NBA, mais aussi NFL, avant la Draft de 1969. S’il est bien sélectionné par les Sixers, il l’est lors du tour supplémentaire, ajouté en fin de Draft. Pas tellement attendu dans la Grande Ligue, la faute à une fin de carrière universitaire écourtée et une réputation qui commence déjà à prendre une ampleur négative, il opte pour l’ABA, chez les Pittsburgh Pipers.
Là, dans un nouveau contrepied, il va tourner à 29 points de moyenne, s’attirant des comparaisons avec Oscar Robertson et Jerry West pour sa capacité à noircir la feuille de stats, avec des rebonds, des passes et, de l’intensité, pour aller avec ses paniers !
Un caractère bien trempé
Surnommé « le champion poids-lourd de l’ABA » pour sa propension à sortir les coudes et son amour du contact, mais aussi parce qu’il « se faisait expulser de plus de matchs qu’un gamin à un strip club avec une fausse carte d’identité », John Brisker est toujours sorti du lot, peu importe la Ligue.
Lui préférait dire qu’il était simplement un « joueur agressif, un compétiteur ». Et il n’hésitait pas à sortir de sacrées « punchlines » : « Je suis prêt à tout pour ramener Pittsburgh en playoffs, même si cela veut dire qu’il faut casser la jambe d’un adversaire. »
Lors du All-Star Game ABA de 1971, John Brisker a fait encore plus fort : il serait allé retrouver le commissionner de la Ligue dans les tribunes, pour lui intimer de le payer de sa propre poche le bonus de 300 dollars qui lui était dû ! Et sur le champ en sus ! Dire que le garçon n’avait pas froid aux yeux relève de l’euphémisme pour celui qui, durant la pause de la mi-temps d’un match d’ABA, s’est ramené plusieurs minutes en retard, après avoir bastonné un de ses propres coéquipiers, trop véhément à ses yeux.
Ou qui s’est fait arrêter après une baston à l’extérieur du Three Rivers Stadium, lors des World Series de baseball en 1971. Figurez-vous que ce vieux John s’était tout simplement battu avec plusieurs flics, en envoyant deux à l’hôpital… parce qu’il ne voulait pas quitter un taxi !
« La première fois que j’ai joué contre Brisker, il s’est simplement retourné vers moi et m’a bousculé », racontait Billy Knight dans le fameux livre « Loose Balls » de Terry Pluto. « Je ne lui avais rien fait. Il me foutait les jetons ! »
L’histoire raconte que la tête de John Brisker était mise à prix en ABA, à 500 dollars en fait ! Alors que sa propre équipe de Pittsburgh avait quant à elle recruté un joueur de foot US pour se le coltiner à l’entraînement… jusqu’à ce que les deux hommes aillent chercher leurs pistolets respectifs au vestiaire !
Retraité à 28 ans
Débarqué à Seattle en 1972, John Brisker tombe à nouveau sur un os. De taille, en la personne de Bill Russell, la légende des Celtics devenue coach des Sonics à l’été 1973. La relation entre les deux hommes sera pour le moins compliquée, entre espoir de relancer un talent et difficulté à gérer un caractériel vieillissant.
En 1974, John Brisker est envoyé au purgatoire, à savoir l’infâme Eastern Basketball League (la G-League de l’époque pour ainsi dire). Il ne tarde pas à montrer de quel bois il est fait, et se chauffe : avec 51 points pour son premier match. Puis 58 dans le second ! Malheureusement pour lui exilé, à force de brûler tous ses ponts avec la NBA, John Brisker accepte finalement un buyout de son contrat avec les Sonics. Après trois ans seulement.
En 1976, alors qu’il n’a que 28 ans. Au lieu du million de départ, il n’obtiendra que la moitié, coupé brutalement à mi-chemin de son contrat à Seattle.
« Je croyais qu’il allait le tuer ! » racontait Slick Watts au sujet de l’attitude de John Bisker contre Bill Russell dans le Seattle Times. « On était tous pétrifiés. Mais on savait qu’il n’avait rien contre nous. Il voulait en découdre avec le coach. »
Dans la niche de Bill Russell, John Brisker ne jouera que 21 matchs cette saison. Le 14 février 1975, une défaite dans le derby de Grand Nord-Ouest à Portland, il prouve pourtant qu’il en a encore sous la semelle, avec une séquence de 7 points en 14 minutes. Ce sera pourtant son dernier match en NBA.
Privé de ballon, des chèques qui vont avec et de l’attention qu’il a toujours su attirer sur lui depuis ses années « artistes » au lycée, John Brisker n’en demeure pas moins toujours aussi aigri et amer. Il bascule dans le côté obscur alors que plusieurs de ses business coulent à pic, et que son couple bat de l’aile et finit en vilain divorce après des violences conjugales.
« C’est tout le problème. Le coeur du problème », assène Spencer Haywood, le pivot star des Sonics. « À l’époque, si tu disais à quelqu’un qu’il avait des problèmes pour gérer ses colères, qu’il fallait aller consulter un psychologue, on te répondait d’aller te faire voir, de te mêler de tes oignons et que tu étais fou ! John était typiquement le gars qui ne voulait pas en entendre parler. Quand on lui proposait une discussion, tu t’exposais à te battre à ton tour avec John. »
Abattu pour avoir tenu tête à un dictateur !
Endetté, divorcé puis remarié, John Brisker veut refaire sa vie. Etudiant passionné par la cause afro-américaine, au point de faire la Une de la presse locale à Toledo quand il a mené la révolte après qu’un de ses coéquipiers, noir de peau, ait été exclu de l’équipe, il rêve de créer des liens entre l’Afrique et des entreprises menées par des dirigeants noirs américains.
Proche des Black Panthers, il se lance ainsi dans l’import – export avec l’Afrique, avec un de ses collaborateurs, un dénommé Benjamin Lewis. Les deux hommes d’affaires côtoient visiblement les grandes pontes de l’Ouganda du dictateur Idi Amin Dada.
Spencer Haywood avait pourtant prévenu son ancien coéquipier de cesser ses activités hautement dangereuses, essayant même de lui piquer son passeport pour le retenir au pays. En vain, l’ancien Condor de Pittsburgh s’envole à nouveau vers l’Afrique, mère nourricière. Pour un aller sans retour…
En l’occurrence, le dernier signe de vie de John Brisker est le coup de fil qu’il a passé à sa deuxième femme, le 11 avril 1978.
De nombreuses théories flottent sur la fin tragique de John Brisker, parfois assez farfelues. Certaines évoquent une disparition préméditée, sous une nouvelle identité, pour échapper à son lourd passé et ses créanciers ! D’autres rapportent qu’il avait été engagé comme mercenaire dans la guerre civile qui déchirait alors l’Ouganda.
« Il est allé en Ouganda en tant que mercenaire et il se battait là-bas », affirme son ancien coéquipier Tom Burleson. « Sa femme y est allée avec lui, et il a été capturé par les hommes d’Amin Dada. Ce dernier l’a préparé et ils l’ont servi, lui et sa femme, en banquet ! »
Une autre, « la légende » la plus communément acceptée, narre qu’il aurait tout simplement été à nouveau rattrapé par son fichu caractère de cochon. Un faux-pas évident dans une réunion au sommet face à un dictateur.
“De ce qu’il se dit, il était assis à la table d’un des rois qu’il y a là-bas, et une dispute aurait éclaté », racontait Slick Watts, la légende des Sonics. « Brisker ne voulait pas lâcher le morceau, il n’en démordait pas. Mais dans ce pays, tu ne peux pas manquer de respect à un roi. Apparemment le gars avait déjà son flingue prêt à tirer, planqué dans la dinde ou quelque chose comme ça, il a dégainé et pan… il a abattu Brisker. C’est en tout cas ce que raconte la légende.”
Un rapport explique que les deux Américains étaient accusés d’activités criminelles. Suivis de près par le régime ougandais, ils ont été enlevés de leurs chambres à l’hôtel Kampala International. On ne les a jamais revus…