Le match démarre dans plus d’une heure, mais des dizaines de personnes se pressent à l’arrière de la salle de Biscarrosse. Plusieurs dizaines d’autres ont déjà passé le contrôle des billets pour s’installer dans les gradins à trois niveaux, mis à disposition par la mairie. Ou bien sur les chaises en plastique disposées derrière chaque panier. Cette rencontre entre une modeste équipe de Départementale 3 et une formation R2 n’a rien de commun. Elle se joue « à guichets fermés » même.
« Oh oui, on va être plus de 500 », chiffre avec enthousiasme Cécile Fournier, la présidente du Biscarrosse Olympique Basket, qui a vu les places, vendues à un tarif unique de 3 euros, s’écouler à une vitesse folle. Au point de faire quelques déçus au cœur de cette commune de moins de 15 000 âmes, située à 70 kilomètres au sud de Bordeaux.
Ce dimanche 26 novembre, sur le terrain de la salle de L’Arcanson, tandis que les bénévoles s’activent aux derniers préparatifs, les joueurs adverses des Genêts d’Or Haut Mauco Basket sont déjà à l’échauffement. Ils s’apprêtent à vivre l’expérience basket de leur vie à « Bisca ».
Ce « petit club familial » de 200 licenciés a prévu un carré VIP, encore vide, à côté d’un espace médias. En plus de la presse locale, l’AFP, L’Équipe ou encore Le Parisien sont annoncés. Vincent Le Vern, le vice-président, se charge de l’accueil des journalistes accrédités. « Ah tiens, ça me fait penser que je dois publier la compo’ d’équipe sur nos réseaux ! », lâche le référent communication.
« On tourne les gars ! »
Au bout de quelques minutes, l’homme à l’origine de tout cet engouement surgit du vestiaire : Boris Diaw. Dans son ensemble bleu uni, l’ancien joueur NBA paraît détendu. Et à l’aise dans cet environnement qui n’a rien à voir avec les lumières et les artifices de la Grande Ligue américaine sous lesquelles il a joué pendant 14 saisons, jusqu’en 2017. Changement d’échelle. Le MIP 2006 s’est lancé cet été dans ce pari fou de remporter la coupe des Landes, ce qu’il considère comme la « suprématie départementale ». Ici, on parle même de Coupe du monde des Landes. L’homme de 41 ans, qui a grandi dans la ville voisine de Mont-de-Marsan, a embarqué avec lui ses potes de parquet, anciens joueurs de haut niveau comme lui : Simon Darnauzan, Nicolas Gayon, les frères Beesley Kevin et Cédric, Jean-Daniel Barrouillet…
Ils sont tous en short avec lui, prêts à disputer le 1/16e de finale de cette compétition. Après une introduction individuelle des joueurs au speaker, puis une première session de photos d’équipe, Boris Diaw réclame : « On tourne les gars ! » Autour du terrain, on trouve Maxime, 16 ans, membre de la même équipe seniors. Celle-ci est composée d’anciens U17 surclassés, de quelques trentenaires et de la bande à Boris donc, principalement mobilisée pour la Coupe. En championnat, où l’équipe est invaincue (5 victoires), le groupe « mixte » évolue. Maxime n’est pas frustré de ne pas jouer. « On le savait dès le départ », lâche le jeune homme qui veut profiter du « spectacle ».
À ses côtés, on trouve Tom, 17 ans, tout aussi souriant. « J’ai appris plein de trucs avec Boris, sur les écrans, la vision du jeu… », lâche le pivot et l’un des meilleurs marqueurs de l’équipe en championnat, habitué à jouer en bas avec l’ancien professionnel, sur la défense de zone 2-1-2. Un dimanche normal, une cinquantaine de personnes vient assister à leurs matchs. En voir plus de dix fois de plus pour ce match, c’est « extraordinaire ». « Hallucinant », qualifie Thomas, 32 ans, également dans le groupe, qui a grandi en regardant le MIP 2006 à la télévision. « La cohabitation se passe super bien », assure cet ancien cadet France qui apprécie la simplicité des nouveaux arrivants. Leur venue a généré un engouement fou dans leur secteur : « Tout le monde est au courant, les Landes, c’est un village. »
Le club doit maintenant gérer des VIP comme… Thomas Pesquet
« On a tous du mal à y croire, c’est un peu l’expérience d’une vie pour un bénévole de club, surtout pour un petit club, qui est très axé sur les enfants à la base. Ce projet-là est une aubaine pour mettre la lumière sur ce qu’on fait. C’est beaucoup d’efforts pour le club, on s’est un peu professionnalisé mine de rien. Répondre aux normes de sécurité, gérer une foule de 600 personnes, gérer les VIP… On ne savait pas ce que c’était des VIP », décrit Matthieu, le speaker du match.
Le carré des personnalités s’est bien rempli depuis notre arrivée. Les anciennes joueuses de l’équipe de France féminine, Emmeline Ndongue, Émilie Gomis et Marion Laborde sont là et sont bientôt discrètement rejointes par un spectateur venu « faire de l’ombre » à son ami sur le parquet : Thomas Pesquet. Après la rencontre, le grand amateur de basket sera aussi sollicité en autographes, sinon plus, que Boris Diaw, avant de s’éclipser. Lunaire. « On plane un peu ! », pourra lâcher plus tard la présidente.
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Tandis que la fanfare commence à se faire entendre, le match démarre. Sur le tableau d’affichage, déjà 28 points au compteur pour Biscarrosse. Ce handicap correspond à la différence de niveau de poule entre les deux équipes, à raison de 7 points par strate. Pas aidés par ce règlement en vigueur en coupe, les visiteurs ne se démontent pas. Cette troupe de 23 ans de moyenne d’âge, qui vient d’accéder à la R2, joue sur sa vitesse et va au contact des vieux briscards plus grands et plus physiques. Parfois dépassés par la vitesse du jeu de passe adverse, ils s’accrochent.
Boris fait du Diaw
« On est trop permissifs en défense ! », se disent les vétérans de Biscarrosse sur un temps-mort, avant de revenir en jeu sur un « Un, deux, trois, Bisca ! » En fait, l’écart se stabilise (56-21 après dix minutes, puis 73-37). « Je ne vais pas prendre un temps-mort à chaque fois ! », s’agace même Paco Laulhé, ancien entraîneur de l’Elan Béarnais, à la tête de l’écurie Boris Diaw. Ce dernier reste fidèle à ce qu’il a toujours été : altruiste. Un panier à 3-points en tête de raquette, une finition dessous, quelques contres, et surtout quantité « d’extra-passes »… Boris fait du Diaw.
Deux quart-temps plus tard, le club finit par s’imposer… après avoir perdu d’un point la seconde période. Au final, il y a 35 points d’écart. Alors en décomptant le handicap initial… « Il n’y a que sept points. Sans dire qu’on les a perturbés, on a moins tenu le choc pendant 40 minutes et proposé un beau basket, c’est bien ça le principal », se félicite Nicolas d’Haut-Mauco, entouré de trois de ses joueurs, Louis, Clément et Dylan.
Pas de frustration pour le coach qui sait que certains acteurs du basket landais dénoncent une configuration inéquitable. Face à Biscarrosse, une équipe de national encore en lice pourrait se retrouver à devoir combler un retard de 42 ou 49 points au démarrage…
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Prochain tour en janvier
« On n’a pas forcément fait de calcul de mettre plus ou moins, le but c’est de gagner », lâche de son côté Nicolas Gayon, qui ne s’attendait pas à ce que ce projet génère autant d’attention médiatique. L’ancien joueur de l’Hermine de Nantes ajoute : « Il faut se roder, essayer de retrouver du rythme. Il faut qu’on bosse le physique, qu’on se ré-entraîne un peu, qu’on arrive à retrouver des repères aussi, parce qu’on n’en a pas beaucoup. Si on veut faire bonne figure pour la suite, faut qu’on bosse un peu. » Évidemment que de s’entraîner tous les 15 jours ne facilite rien. « C’est des vieux châssis hein, il faut re-régler tout ! », en sourit leur coach, selon qui l’équipe dispose de peu de créneaux de salle. Les courbatures ? « On verra demain ! », renvoie Nicolas Gayon.
« Les cinq premières minutes, c’est pas beau. On est lent, pas de cardio. Je ne suis pas au top là… On va s’améliorer au fur et à mesure, c’est pour ça qu’il faut qu’on passe des tours », nous confie avec le sourire Boris Diaw, dont le prochain match de Coupe aura lieu en janvier. Celui-ci, au moment du coup de sifflet final, a pris le temps de saluer tous ses adversaires. Puis il s’est patiemment prêté au jeu des autographes et des photos avec la même générosité.
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Dans la plus grande normalité. « Je ne dirais pas que c’est une normalité, on ne s’y ferait pas. On s’y fait car on ne veut pas vivre ça comme des groupies. On vit dans un autre monde, on se dit qu’on va redescendre tous, qu’on va retrouver une autre réalité. Mais il faut en profiter », juge Matthieu le speaker, tandis que la présidente du club savoure : « C’était quand même une belle fête. » Et un joli dimanche de basket dans les Landes.
Propos recueillis à Biscarrosse.