Elu au Hall of Fame en 2011, Arvydas Sabonis revenait pour l’occasion aux Etats-Unis pour la première fois depuis huit ans. Il faut dire que le monstre sacré de Lituanie n’aime pas beaucoup être sous les feux de la rampe. Ayant délocalisé sa famille à Malaga pour ne pas avoir à imposer la pression du pays sur les épaules de ses bambins, Sabonis n’est pas intéressé davantage par la vie américaine.
Du moins, il ne l’est plus. Et quand il l’a vraiment été, on l’en a privé.
Le coup de poker de Dale Brown, le coach de LSU
Retour en arrière. On est en 1982. Lors d’une tournée américaine, alors qu’il n’a que 17 ans, Sabonis domine Ralph Sampson (le futur n°1 de la draft en 1983) et fait saliver les scouts locaux au point que le légendaire coach d’Indiana, Bob Knight admette que Sabonis « est probablement le meilleur non-américain que j’ai jamais vu jouer au basket ».
Il n’avait pas trop le choix non plus, Bobby Knight, après avoir été défait, lui et ses Hoosiers, par l’équipe soviétique ! Pour ne rien gâcher, Sabonis totalise ce soir-là 25 points à 9 sur 16 aux tirs et 7 sur 8 aux lancers, plus 8 rebonds et 3 contres. Pas mal à 17 ans !
« Il y a deux ans, il jouait pour l’équipe nationale des juniors. Il n’était pas très bon » relativise Aleksandr Gomelsky, le coach soviétique. « Il a joué tous les jours depuis et maintenant, c’est un bon joueur. Il vient d’un pays de basket. Le basket est très populaire [à Kaunas]. Beaucoup de jeunes garçons grandissent dans des écoles de basket. »
Et Arvydas en fait partie. Le colosse balte n’a cependant pas le droit de quitter le giron soviétique. Une telle pépite ne doit pas pouvoir échapper à l’équipe soviétique qui veut briller lors des compétitions internationales. Mais Sabonis a déjà des envies d’ailleurs.
Dale Brown, le coach de LSU, était devant son poste pour voir le phénomène Sabas et il saisit bientôt la balle au bond en 1986 pour tenter un coup de poker monstrueux. En gros, il veut mettre au point un programme d’échange afin de récupérer Arvydas Sabonis (2m21), le géant lituanien aux mains en or (et aux pieds d’argile), alors âgé de 21 ans seulement.
« Arvydas Sabonis, le Jackie Robinson de la diplomatie internationale »
En fait, Brown se proposait d’organiser un camp de basket à Bâton Rouge puis un autre à Moscou, tout en emmenant son équipe de LSU pour quelques matchs d’exhibition. En retour, c’était le prêt de Sabonis pour une saison avec les Tigers que convoitait Brown.
« Je voulais faire signer un grand traité de paix et tout le toutim. » raconte le coach retraité de 78 ans sur SI.com. « Je voulais en faire quelque chose de clinquant. »
Et pour cause, Brown prétendait offrir une solution à tous les problèmes épineux qui entouraient la question Sabonis. Eh oui, l’Union Soviétique pourrait se féliciter du départ de son pivot prodige car ce dernier allait se montrer aux USA et donc augmenter sa valeur marchande, et donc augmenter la part que le gouvernement allait s’octroyer sur le prochain contrat du joueur. Mais en plus, en étant simplement inscrit dans un programme d’échange universitaire, Sabonis pourrait encore jouer pour l’équipe nationale en conservant son statut d’amateur, nécessaire pour obtenir l’éligibilité olympique pour les Jeux de 1988 à Séoul.
Du coup, Brown a pris sa plus belle plume et s’est lancé dans son incroyable défi. D’abord le richissime Armand Hammer le 21 mai, puis le Président Ronald Reagan le 6 juin. Avec des traits de génies tels que : « Si la diplomatie du ping pong fonctionne, pourquoi pas celle du basketball ? ». Plus loin, Brown s’emballe encore… sans corriger sa propre faute sur le prénom ! « Je vois Arvadis Sabonis comme le Jackie Robinson de la diplomatie internationale. »
Le régime soviétique le « surveillait tout le temps »
Enfin, le 20 avril 1986, il s’adresse carrément à Mikhail Gorbachev: « Cher Secrétaire Général Gorbachev, le monde évolue chaque jour à une vitesse plus rapide et souvent, on n’a pas la chance de s’asseoir et de discuter calmement à cause de ce rythme effréné. Dans cette optique, je compte me rendre à Moscou en espérant avoir la chance de vous rendre visite personnellement concernant un projet qui pourrait être une excellente opportunité d’améliorer les relations entre nos deux grands pays. »
Son voyage à Moscou se révélant un véritable fiasco, Brown se morfond à son retour en Louisiane. Il a alors recours à une étudiante lituanienne du nom de Rima Janulevicius. Etudiante en journalisme à la fac du Missouri, elle accepte d’aller discuter avec la star lituanienne en se soustrayant au service de sécurité soviétique présent dans l’hôtel de l’équipe, à Ferrol, dans la bourgade galicienne où l’URSS jouait ses matchs de poules à l’été 1986.
« Je lui ai alors demandé comment on pouvait faire pour que [son départ vers les Etats-Unis] arrive. Et il m’a regardé comme si j’étais Cendrillon et a dit qu’il n’en savait rien. » relate Rima Janulevicius. « C’était moi qui avais alors des étoiles plein les yeux. Il savait que rien ne pourrait arriver. C’était l’Union Soviétique. On ne pouvait rien y faire. Et encore plus quand on s’appelle Sabonis, on ne peut rien faire. Ils le surveillaient tout le temps. »
Durant le sommet de Genève en 1985, Reagan et Gorbachev avaient certes traité du désarmement atomique, une priorité au lendemain de la Guerre Froide, mais ils avaient également loué l’idée plus générale de « l’utilité d’élargir les échanges, dans les domaines de la science, de l’éducation, de la médecine et du sport. » Mais visiblement, cela n’englobait pas la perspective d’un échange universitaire pour l’athlète d’élite, Arvydas Sabonis.
Les dernières cartouches de Brown furent épuisées quand sa rencontre à l’ambassade soviétique de Washington ne fut pas suivie d’effets et que son ultime appel du pied lors la Coupe du monde des Clubs champions en Argentine est tombé à plat. Fatigué et bientôt blessé gravement au tendon d’Achille, Sabas jette l’éponge. Et les instances soviétiques sanctionnent.
« Merci pour votre lettre et l’invitation à Arvydas Sabonis de jouer pour l’équipe de l’Université de Louisiane. Nous apprécions fortement votre intérêt d’avoir un joueur soviétique dans le championnat NCAA. Arvidas a l’intention de continuer ses études à l’Académie agricole de Lituanie et de jouer pour le Zalgiris et les équipes nationales. Il apprécie vraiment le soutien et l’appréciation des fans de basket de l’Union Soviétique. »
Sabas, le rêve américain… par procuration ?
Après avoir échoué de deux petits points pour réaliser le doublé mondial après la victoire en Colombie en 1982, Sabonis et son équipe soviétique sont donc bel et bien bloqués de l’autre côté du Rideau de fer. Il faudra attendre l’été 1995, soit neuf ans plus tard, pour que Sabonis puisse enfin franchir l’Atlantique pour aller jouer à Portland.
Entre temps, il est allé mystifié les défenses espagnoles et européennes avec Valladolid puis au sein du grand Real de Madrid. Elu dans le meilleur cinq des rookies à l’âge de 31 ans, Sabonis n’a pas mis longtemps à convaincre l’Oncle Sam de son talent balle en mains. Avec 14 points et 8 rebonds de moyenne (à 55% de réussite) pour sa première campagne, le géant balte a rapidement conquis l’Oregon… et toute la NBA ! Parmi les géants de l’histoire de la ligue, Sabas est un seigneur !
Depuis, les choses ont bien changé. Et si le clan Sabonis a beaucoup déménagé entre l’Espagne, les Etats-Unis, la Lituanie puis à nouveau l’Espagne et enfin à nouveau la Lituanie, Arvydas peut se féliciter d’avoir protégé ses enfants des attentes qui gravitent autour de leur nom de famille célèbre.
Le 15 avril 2014, la boucle était enfin bouclée entre les Sabonis et la NCAA puisque le fiston Domantas signait à Gonzaga. Pas forcément convaincu de prime abord, le vénérable patriarche a finalement été convaincu de laisser partir son fils pour le Nord-Ouest américain. Ce n’est finalement qu’un juste retour des choses, aussi à ce niveau, puisque « Domas » retourne en fait là d’où il vient, lui le natif de Portland en 1996…
Son portrait: Le Tsar aux mains d’argent
Sa biographie en vidéo, et en musique balte