On a beau avoir été champion d'Europe (deux fois), champion du Monde et même MVP du tournoi, on peut toujours avoir le syndrome de l'imposteur chevillé au corps et à l'âme…
C'est le cas de Ricky Rubio, le jeune meneur espagnol propulsé très (trop ?) tôt dans le monde pro dès l'âge de 14 ans, qui, vingt ans plus tard, n'arrive plus à faire sens de sa vie de basketteur star.
« Je n'ai pas eu d'adolescence, je ne changerais rien de ce que j'ai vécu » explique Ricky Rubio durant un entretien très intimiste, dans les locaux du Masnou Basquetbol, où il a commencé à jouer petit. « Mais j'aurais aimé profiter davantage de la vie comme n'importe quel ado. Je n'ai pratiquement pas eu de week-end depuis que j'ai 14-15 ans ! »
« Je n'ai pas à prendre ce vol. Pourquoi est-ce que j'irai jouer au basket ? »
Actuellement en phase de réflexion sur sa carrière, après une pige à Barcelone pour finir la saison 2023/24, le meneur ibère a quitté la Grande Ligue par la petite porte, libéré par les Cavs en janvier 2023. Aujourd'hui, il parle d'une « expérience brutale » en NBA, où il ne s'est jamais vraiment senti à l'aise.
« À Minneapolis, j'étais une rockstar, surtout la première année. J'étais la sensation de YouTube. Je pense que j'avais envie [d'aller jouer en NBA], mais je ne sais pas à quel point j'étais vraiment bien préparé pour y aller mais, comme j'ai eu du succès [en Europe], j'y suis allé » poursuit-il.
À l'instar de ce qu'ont vécu beaucoup de joueurs européens à leur arrivée en NBA, et à l'extrémité du spectre un Frederic Weis, Ricky Rubio a pris le choc des cultures en pleine poire à son arrivée aux Etats-Unis. À Minnesota en l'occurrence, il n'a jamais vraiment réussi à se construire un cercle d'amis solides. Comme c'était le cas à Barcelone, ou Badalone avant…
« Je n'ai pas réussi à me faire des amis, ce sont seulement des coéquipiers, c'est ma manière de voir les choses. En vérité, ça me coûte beaucoup de m'ouvrir et de me connecter aux autres. Je n'ai pas su non plus faire face aux conflits. Je l'ai vécu avec beaucoup de mes coéquipiers dont les attitudes étaient très autoritaires et je n'ai pas été capable de dire : on ne parle pas comme ça à un serveur ! Mais comment réussir à dire ça à un coéquipier ? À l'époque, je n'ai pas su le faire. Mais j'ai vu des attitudes et des comportements qui ne sont pas corrects, et bien souvent eux-mêmes ne s'en rendent pas compte, c'est leur personnage, c'est leur égo. Parfois, dans le vestiaire, on parle de certaines choses qui n'ont aucun sens, quelle voiture tu as, et les gars sont en compétition pour avoir une meilleure voiture. Mais ça ne fait pas de toi une meilleure personne. J'ai dû me créer un personnage, bien que je ne le voulais pas. Je suis parti aux Etats-Unis pour travailler, mais à aucun moment, je n'ai été sous le charme de leur culture, de leurs traditions. Ils ont converti la NBA en un business, ils ont délaissé l'amour du basket. En Euroleague, ça se passe aussi de la même manière, ils ont organisé le Final Four à Abou Dabi. C'est une décision pour faire plus d'argent. »
Pendant ses six saisons chez les Wolves, Ricky Rubio maintient les apparences, tournant à 10 points, 7 passes et 4 rebonds de moyenne. Mais sans la moindre apparition en playoffs, et en coulisses, avec le cancer de sa maman qui amènera à sa disparition en 2016, la petite pépite catalane perd progressivement pied.
« Ma mère a lutté contre le cancer depuis 2012, et en 2015-16, elle était vraiment mal. Pendant le All-Star Weekend, j'ai décidé de rentrer à Barcelone. J'ai vu ma mère comme jamais je ne l'avais vue avant ! Pendant le voyage de retour, je me disais : je n'ai pas à prendre ce vol. Pourquoi est-ce que j'irai jouer au basket ? Les deux mois suivants, je continuais à penser que je n'avais rien à faire là-bas, que je devrais plutôt être au chevet de ma mère. Par chance, ma mère a attendu mon retour. Je suis rentré à la maison parce qu'on ne jouait pas les playoffs. Mon père m'a dit : je ne pensais pas que tu allais la revoir [vivante]. »
« Quand j'ai reçu le trophée de MVP, j'avais l'impression d'être un faux, de ne pas mériter ça »
Dans les mêmes moments, difficiles à vivre, Ricky Rubio commet une “erreur” dans le monde de la NBA : il fait part de certaines de ses faiblesses à un journaliste qui couvre les Wolves.
« Je me souviens, dans ma troisième ou quatrième année en NBA, ça ne se passait pas très bien. J'étais dans une mauvaise passe et un journaliste m'a proposé une interview où je me suis un peu ouvert, en expliquant que je dormais mal, que je ne me sentais pas bien. Plus tard, en plein match, sur un lancer franc, un joueur vétéran de l'équipe adverse vient me voir : je voulais te donner un conseil, ne donne aucun de tes points faibles dans la presse parce qu'on va te tomber dessus direct ! Ici, on est tous des requins et quand on voit du sang, on va te sauter dessus ! À partir de là, j'ai compris que je ne pouvais pas me montrer vulnérable. Je vivais dans un monde où tout doit être faux et beau pour réussir. »
Conséquence de cette mentalité ultra-compétitive qui va finir par l'amener au burnout, Ricky Rubio poursuit sa quête de performance sur la scène internationale. Sacré double champion d'Europe très jeune, avec la « Roja » dominatrice de la fin des années 2000, il parvient à son tour à ajouter une ligne au palmarès de sa sélection nationale en Chine, en 2019, quand il la mène au titre de champion du monde, terminant même MVP de la compétition, avec 16 points, 6 passes et 5 rebonds de moyenne.
« C'est une des plus grandes réussites qu'on a eues, surtout collectivement. Même si j'ai gagné le titre de MVP, je n'étais pas euphorique parce que ce n'était pas assez bien pour moi. Quand j'ai reçu le trophée, j'avais l'impression d'être un imposteur, de ne pas mériter ça. Comme dans Space Jam, j'avais la sensation qu'on allait m'enlever mes pouvoirs de basketteur. (…) Pour moi, rien n'était suffisamment bon. Un des prismes à travers lesquels je regardais était celui de Pau Gasol. En termes d'accomplissement, je voulais faire mieux que lui… »
Marqué au fer blanc par le décès de sa mère en 2016, probablement trop romantique pour le monde cruel de la NBA, et possiblement dégoûté de cette poursuite infernale vers la performance à tout prix, Ricky Rubio a craqué.
« Je me souviens à la Coupe du Monde (2023) quand j'ai dit : J'arrête. C'était comme si j'étais en train de mourir, que ma vie n'avait plus aucun sens. Je me suis regardé dans le miroir et j'ai compris que je n'étais plus moi-même, quelque chose ne tournait pas rond. J'ai passé trois jours affreux, je n'arrivais plus à dormir, je faisais des rêves noirs. J'ai demandé de l'aide comme je l'ai pu, et l'après-midi suivante, quand j'ai eu un peu de temps libre, ma femme est venue me voir et je lui ai demandé de m'aider à faire ma valise. Elle a rigolé et m'a entraîné pour faire une balade dehors. Mais je lui ai dit : je ne peux pas faire ma valise, je ne peux pas me balader, tu dois m'aider. »
« J'aimerais jouer au basket sans être Ricky Rubio, mais c'est impossible »
Devenu père en janvier 2020, alors qu'il s'apprête à effectuer un fugace retour à Minnesota en provenance de Phoenix, Ricky Rubio se rend compte de plus en plus évidemment qu'il n'est plus en état (mental) pour gérer le quotidien d'un joueur NBA.
« Je vivais dans la souffrance. Je pensais qu'à n'importe quel moment, j'allais perdre mes qualités. On se transforme en robot avec toute cette routine. Même quand ma femme a accouché à Phoenix, j'avais une table de massage dans la chambre de l'hôpital pour continuer mes soins. Mon rêve avait toujours été d'être père. Après treize jours, j'ai dû laisser ma femme et mon fils nouveau-né avec mes beaux-parents, parce que je devais aller jouer au basket. A posteriori, je me dis que c'était brutal. »
Sa deuxième blessure aux ligaments croisés du genou gauche en décembre 2021, sous la tunique des Cavs, marque un nouveau coup dur. Ricky Rubio est alors à la croisée des chemins.
« J'ai vécu des moments très compliqués [psychologiquement], et je ne veux pas du tout grossir le trait, mais un soir à l'hôtel, je me suis dit que je ne voulais plus continuer comme ça, pas seulement le basket, mais avec la vie tout court ! J'ai une famille, j'ai un petit garçon… Et pourtant, j'ai eu cette pensée pendant une seconde, avec la sensation que quelque chose venait prendre le contrôle de moi-même. Je peux comprendre les gens qui, bien qu'ils aient beaucoup de succès, se sont malheureusement donné la mort, ou les gens normaux qui disent qu'ils n'en peuvent plus parce qu'il y a des moments comme ça où tout pèse tellement lourd sur vos épaules. »
Revenu chez lui dans son fief natal d'El Masnou, sur la côte catalane, Ricky Rubio réfléchit encore à quel sens donner à la suite de sa carrière. Car, à 34 ans seulement, le magicien des parquets a encore quelques tours à jouer à ses adversaires sur les planches…
« J'aimerais jouer au basket sans être Ricky Rubio, mais c'est impossible. Je veux jouer au basket, mais je ne peux pas. J'essaye de voir si je peux y arriver. La réponse devient de plus en plus claire. »
Ricky Rubio | Pourcentage | Rebonds | |||||||||||||
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Saison | Equipe | MJ | Min | Tirs | 3pts | LF | Off | Def | Tot | Pd | Fte | Int | Bp | Ct | Pts |
2011-12 | MIN | 41 | 34 | 35.7 | 34.0 | 80.3 | 0.5 | 3.7 | 4.2 | 8.2 | 2.4 | 2.2 | 3.2 | 0.2 | 10.6 |
2012-13 | MIN | 57 | 30 | 36.0 | 29.3 | 79.9 | 0.8 | 3.3 | 4.0 | 7.3 | 2.5 | 2.4 | 3.0 | 0.1 | 10.7 |
2013-14 | MIN | 82 | 32 | 38.1 | 33.1 | 80.2 | 0.7 | 3.4 | 4.2 | 8.6 | 2.7 | 2.3 | 2.7 | 0.1 | 9.5 |
2014-15 | MIN | 22 | 32 | 35.6 | 25.5 | 80.3 | 0.9 | 4.8 | 5.7 | 8.8 | 2.7 | 1.7 | 2.9 | 0.1 | 10.3 |
2015-16 | MIN | 76 | 31 | 37.4 | 32.6 | 84.7 | 0.5 | 3.8 | 4.3 | 8.7 | 2.6 | 2.1 | 2.5 | 0.1 | 10.1 |
2016-17 | MIN | 75 | 33 | 40.2 | 30.6 | 89.1 | 0.9 | 3.2 | 4.1 | 9.1 | 2.7 | 1.7 | 2.6 | 0.1 | 11.2 |
2017-18 | UTH | 77 | 29 | 41.8 | 35.2 | 86.6 | 0.6 | 4.0 | 4.6 | 5.3 | 2.7 | 1.6 | 2.7 | 0.1 | 13.1 |
2018-19 | UTH | 68 | 28 | 40.4 | 31.1 | 85.5 | 0.5 | 3.1 | 3.6 | 6.1 | 2.7 | 1.3 | 2.7 | 0.2 | 12.7 |
2019-20 | PHX | 65 | 31 | 41.5 | 36.1 | 86.3 | 0.7 | 4.0 | 4.7 | 8.8 | 2.6 | 1.5 | 2.7 | 0.2 | 13.0 |
2020-21 | MIN | 68 | 26 | 38.8 | 30.8 | 86.7 | 0.4 | 2.9 | 3.3 | 6.4 | 2.0 | 1.4 | 1.6 | 0.1 | 8.6 |
2021-22 | CLE | 34 | 29 | 36.3 | 33.9 | 85.4 | 0.4 | 3.7 | 4.2 | 6.6 | 2.2 | 1.4 | 2.7 | 0.2 | 13.1 |
Total | 665 | 30 | 38.9 | 32.6 | 84.3 | 0.6 | 3.5 | 4.2 | 7.6 | 2.5 | 1.8 | 2.6 | 0.1 | 11.1 |
Comment lire les stats ? MJ = matches joués ; Min = Minutes ; Tirs = Tirs réussis / Tirs tentés ; 3pts = 3-points / 3-points tentés ; LF = lancers-francs réussis / lancers-francs tentés ; Off = rebond offensif ; Def= rebond défensif ; Tot = Total des rebonds ; Pd = passes décisives ; Fte : Fautes personnelles ; Int = Interceptions ; Bp = Balles perdues ; Ct : Contres ; Pts = Points.